Cela ressemble à une fable de La Fontaine. Mais celle qui figure plutôt dans « L’Enfer » des bibliothèques, à ne pas mettre entre toutes les mains. Sauf que racontée par Ducoudray et dessinée par Dumontheuil, elle devient un objet à haut enjeu culturel. Enfin c’est ce que l’on raconte.
Oyez, oyez bonnes gens! Vous voulez de la luxure, du libertinage débridé, du coquin déguisé, de la fesse et du téton libérés ? Un peu de légèreté dans cette rentrée morose ? Cette BD est faite pour vous. Le titre donne le ton. Impudence: « caractère, comportement d’une personne qui transgresse sciemment et sans honte les convenances sociales en matière de sexualité ». On est fixé. Comme si cela ne suffisait pas, une maxime d’ouverture confirme l’impression première: « Le lit conjugal sera sans coup férir le champ de bataille du siècle à venir ». Le siècle de ce constat, c’est celui des Lumières, dispensées selon le Marquis « sans discernement » à n’importe qui et même à des cochers qui parlent comme Molière. On est bien au XVIIIe siècle et dans l’univers de Nicolas Ducoudray, les gens du peuple versifient du Ronsard, la lavandière déclame Le Bon Avis du marquis de Boufflers sur la place. La « populace » est cultivée et le noble s’ennuie. Logique donc que dans un mélange harmonieux, la misère frappe aussi les hommes à perruques, la misère sexuelle surtout, celle du Comte de Dardille, qui doit se soumettre à l’épreuve du Congrès. Pas de politique derrière ce défi. Pas d’université d’été. Pas d’élection. Plutôt une demande lancée par sa jeune épouse devant notaire : il devra la contenter bibliquement sous l’œil de Dieu ! Pensez donc : après six mois de noces, l’idée de l’effleurer ne lui est même pas venue au Comte, lui le fétichiste des soldats de plomb, plus attiré par le sabre d’un officier miniature que par les lacets des corsets des gentes dames.
Freud n’est pas encore né, mais le Marquis, voisin appelé à la rescousse, solidaire du désarroi de son ami, se doute que cela se passe plutôt en haut qu’en bas. Alors commencent les pérégrinations pour changer le haut afin de redresser le bas. Bordels façon Toulouse-Lautrec, « observatoire des sens » façon glace sans tain, club échangiste façon course d’orientation de nuit, hypnotisme façon Michel Leeb, tout est tenté pour redresser la situation. Le suspense est à son comble et on ne vous racontera pas l’issue.
Il ne faut pas croire pourtant que ces 80 pages sont consacrées uniquement à la gaudriole. Au détour des pages vous trouverez des clins d’œil à l’Olympia de Manet, à la Naissance de Vénus de Botticelli, aux vers de Ronsard ou au texte de la Princesse de Clèves. Puisque l’on vous a dit que nous étions au siècle des Lumières, celles-ci nous ont donc été dispensées à nous aussi, pauvres lecteurs du XXIe siècle grâce à la magie des mots de Ducoudray qu’il vous faudra prendre et reprendre à plusieurs reprises pour en goûter toute la finesse et les jeux de mots cachés. Algamatophilie, narratophilie, inversion autant de perversions que vous ne soupçonniez pas, mais dont la connaissance vous permettra désormais de briller lors de vos soirées mondaines. Et peut-être de tenter quelque expérience ? La culture, cela se partage, cela s’étale même comme la confiture et Ducoudray comble des lacunes insoupçonnées.
Pour ne pas être en reste, le trait de Dumontheuil fait merveille. Dessinant des personnages aux traits outranciers, il manie le pinceau en évitant de tomber dans le vulgaire. La caricature et l’humour permettent d’outrepasser la bienséance. Dumontheil ignore la ligne droite, cela tombe bien, le scénario le convie à dessiner des fesses et des nez, des courbes et des déliés plutôt que des parallèles. Même ses maisons, ses ponts refusent le trait rectiligne pour s’incurver et s’arrondir voluptueusement. Pour lui, le dessin est un jeu et il nous emmène avec lui à partager ce plaisir presque enfantin de raconter des histoires avec ses crayons. Comme dans les tableaux des Brueghel, on cherche dans les coins des anecdotes, des saynètes et des personnages inconvenants.
Textes façon Molière. Peintures façon Brueghel, on vous a prévenus, cette BD est un puits sans fond de culture. Enfin, un bon prétexte surtout pour lire et regarder la « chose » façon … Dumontheil et Ducoudray.