Henry Le Bal, le poète de la singularité insulaire et de la beauté questionnée s’est retrouvé embarqué dans une très inamovible, remarquable et émouvante nef : la cathédrale Saint-Corentin de Quimper. Bienheureux reclus dans un effarant espace de résonance, il délivre – avec le photographe Thierry Bécouarn – un témoignage captivant d’un événement à la fois cataclysmique et invisible. Derrière les portes closes d’un édifice plein de désirs et de mystère.
– Que se passe-t-il derrière cette porte ?
– Un livre est en train d’être effeuillé.
– Quelle est l’histoire de ce livre ?
– La prise de conscience d’un cri.
Edmond Jabès, Le Livre des Questions
Par chance et aussi par vouloir(*), Henry Le Bal, le poète et dramaturge quimpérois, a pu arpenter, de nuit, le chantier quotidiennement déserté de la cathédrale Saint-Corentin de Quimper. Reclus, bienheureux et bouleversé, in Cathedra. Quelque chose a voulu avoir un témoin, quelque chose a voulu qu’une trace soit conservée de cet intrigant spectacle, de cette blessure. Mais pas seulement conservé, pas uniquement. Il fallait, apparemment, que quelque chose aussi se passe, advienne pour que de ce passé émerge autre chose. De l’apparence de catastrophe d’un vaisseau de pierre centenaire éventrée s’élèvent les strophes du poète. Pour quérir, pour guérir, interroger les rapports du dehors et du dedans, de l’avant, du maintenant et de l’après. In cathedra, discours inverse de celui qui est proclamé ex cathedra, le poème n’a pas force de loi, le poème surgit du cœur lacéré, mots et émotions en abîme face à la beauté brimée, abîmée ou délaissée…
Autre chose émerge donc, un livre, livre qui est le contenant de l’événement. L’événement c’est l’émergence au cœur d’une cathédrale en chantier d’un poème, dialogue intérieur inspiré transcrit sur le papier par Henry Le Bal et de son pendant iconique, lumière intérieure mise en poème par le photographe Thierry Becouarn. Les bâches tendues pour protéger les œuvres demeurées là pendant la durée des travaux jouent le rôle de décors, tentures, linceuls. Cette danse de voiles révèle ce qui ne se devine même pas en temps « normal », en masquant au regard elle appelle au dévoilement du désir par delà le regard. L’émotion de l’esquisse, l’exquise sensation de saisir dans sa fugacité une invisible beauté au-delà du beau.
Une cathédrale en travaux, un sol en chaos de tranchées et de bruyantes machines, des tentures immenses pour protéger boiseries et œuvres d’art, un décor de théâtre avec ses masques et accessoires. L’apparence première d’une dévastation brutale, celle du sacré. La sacré saccagé, éventré dans le vacarme ; puis dans le silence, un pas-à-pas dans les vestiges. Être là, chaque nuit, en ce hors de tout, au cœur de la ville, du monde. Être là en ce qui n’était plus qu’un espace profane… jusqu’à ressentir, peu à peu, à la fin, une présence, là, tout là… La présence s’offrant en un face à face, par son absence même. La présence, là, toute, dans ce décor de l’absence. (Henry Le Bal, p.9)
Depuis des siècles la cathédrale est là. Elle veille. Sa présence est immuable. Elle est admirée autant qu’ignorée, on passe à côté, parfois dedans, pour la sérénité, pour la beauté, pour la curiosité. Et puis soudain, quoique que de l’extérieur elle soit encore ce signe dressé, silencieux, immuable, un événement. La cathédrale est fermée, le lieu devient un chantier ! «Chantier interdit au public» le lieu enchanté. Là, l’édifice ancestral, qui laisse un peu indifférent devient, (redevient ?) signe interrogateur, il devient question, symbole… Quel drame se trame derrière les murs extérieurs, qu’advient-il de l’apaisante atmosphère intérieure, la lumière pacificatrice est-elle voilée, dénaturée, torturée ? Quelle tragédie se noue derrière le décor de théâtre que devient la façade ? L’inaccoutumé, l’inhabituel deviennent les vecteurs, les aiguillons de l’aspiration au sacré. Le caché attise la soif de vision.
Les poètes sérieux nous l’on apprit, Dante, Keats, Blake, Rimbaud… le poème est une vision. Henry Le Bal et Thierry Becouarn n’ont pas répondu à une curiosité mal placée, ils n’ont pas fait œuvre de témoins du passé. Ils ont répondu par un poème-icône à la soif de vision, ils ont arpenté l’événement, voyants dans la nuit, naufragés dans l’obscure forêt du saccage, pour en ramener l’essence/les sens.
Tout en toi est un jeu de lumière
en lequel j’avance tel en un lent dévoilement…
Un pas dans le chaos
l’autre en les lignes d’or d’une harmonique
Par quel éclairage de toi vois-je ici ce radeau ?
De quel haut ce bleu et ce rouge à terre sont-ils le naufrage
ou l’arc-en-ciel vague ?
In Cathedra, Henry Le Bal, photographies de Thierry Becouarn, éditions Palantines, 2015, 79 p, 19,5€
(*) « Par chance et aussi par vouloir, je dors en Bretagne ce soir » … extrait de la chanson Je dors en Bretagne ce soir de Gilles Servat.
Le samedi 20 juin 2015, Henry Le Bal et Thierry Becouarn présenteront In Cathedra à la librairie Ravy à Quimper, 10 rue de la Providence.