Un concert de Jacques Higelin, c’est l’assurance d’une présence, d’une voix, d’excellents musiciens, et en prime, le talent d’un fabuleux comédien d’impro (passé par le cours Simon) qui fait un cinéma incroyable. Une pincée de Klapisch, un zeste de Jeunet, un soupçon de Keaton, des dialogues à la Prévert… car tout défile, le ciel, la poussière, les aéroports, les trains, les filles, Line Renaud, Vincent Lambert (« la-men-table »), la mort…Mais à la bande-son, un seul et unique, le grand « frère » Jacques. Oui, c’est çà, un long métrage de fraternité.
Vendredi 17 octobre 2013 au Liberté à Rennes, moteur, on tournait :
– A la vie, à la mort. Délire d’alarme immédiatement suivi d’un soliloque sur la pluie la veille, et cet « enfoiré de régisseur » à qui il a fait « la séquence du vieux qui gueule ». Vieux, vieux, pas tant que çà, même si le blazer signe un âge plus respectable que le ti-shirt (autre rôle de la veste : dissimuler une bouée naissante? Il a arrêté de fumer !)
– Le retour du printemps. Toute petite anticipation météorologique, lieu improbable (la salle d’attente de la gare de Nantes), mais vrai hommage à Trénet. S’ensuit une ronchonnerie sur « les endroits trop grands » qu’il n’aime pas. Le Liberté, trop grand ? Menteur ! Je me rappelle d’un concert dans la pinède à Juan les Pins, sous la voûte étoilée – vaste, s’il en est ! A minuit, les musiciens fatigués après de nombreux rappels s’éclipsaient les uns après les autres. Lui a continué de chanter, à soliloquer au piano pendant deux bonnes heures…
– Un grain de poussière, un fils de la terre et du vent…qui n’a vraiment aucune notion de géographie, car pour lui, « Rennes, c’est pas tout à fait la Bretagne. C’est un peu comme si vous voulez aller à New-York, mais que vous arrêtez à Orly ». Complètement à l’ouest, Jacques !
– Être là, en vie. En se foutant de l’apparence… « tant que je ne ressemble pas à Michel Delpech » précise-t-il, avant de dire qu’il l’aime bien… et de rendre un hommage appuyé à Line Renaud : « elle a la classe, celle qui vient du cœur. Rien à voir avec le sex-appeal. C’est facile d’en avoir quand t’es jeune, mais tu verras plus tard… »
– Paris-New-York. « Je vais vous le chanter comme s’il y avait un bébé à côté », çà démarre piano, avec juste trois guitares. Puis les percus déboulent (extraordinaire Dominique Mahut), enflent, et vous êtes dans une station de subway, 42e rue. Quelle énergie !
– La joie de vivre. Être là, en vie. Deux titres pour une certitude : « la mort est toujours là, elle est le berceau de la vie ». Il s’énerve en pensant à Vincent Lambert (ndlr : le jeune homme dans un long coma à qui la justice refuse l’euthanasie passive souhaitée par sa compagne, mais bannie par ses parents) et fustige les gens qui courent tout le temps. « Mais où vont-ils ? » Lui flâne, s’attarde sur une petite chienne, mignonne (le pianiste assure toujours, en fond).
– Oesophage-boogie, cardiac’ blues. Il lui faut un docteur, blues-t-il. M’est avis qu’il lui faut d’abord des spectateurs. Le public le sent bien et reprend en chœur « à s’en faire péter les vaisseaux ».
– Rendez-vous en gare d’Angoulême. La correspondance entre deux inconnus ravive un souvenir. Celui d’une femme aperçue place de la République à Paris. Elle était au téléphone. Lui a noté son expression et s’était dit « tiens, elle doit parler à son amoureux » – et on sent qu’il aurait aimé que ce soit lui. Il recroisera Sandrine Bonnaire plus tard, dans le train. Cela donnera un Duo d’anges heureux (qu’il chante seul ce soir, hélas).
– Hey man, t’as pas oublié quelque chose ? Et voilà le Champagne ! servi juste par lui au piano et Dominique Mahut aux percus. Un pur bonheur. Évidemment, tout le monde en veut d’autres. Mais le flacon est vide. Qu’importe, c’était pas du mousseux et l’ivresse de la poésie a fait son effet dans tout le public. Hold tight !