L’Homme étoilé, infirmier et illustrateur, publie sa première fiction, Je suis au-delà de la mort, aux éditions Le Lombard. Équipé de son coupe-vent et de ses bottes de pluie, Unidivers est parti à la rencontre de l’illustrateur, en dédicace au festival Quai des Bulles 2023.
Dans le brouhaha ambiant de l’espace presse du festival Quai des Bulles, nous voilà avec L’Homme étoilé, Xavier de son vrai nom, le « marshmallow dans une armoire à glace », comme il se surnomme lui-même sur son profil Instagram. Dessinateur autodidacte et infirmier en soins palliatifs, l’auteur de À la vie (2020) et de Je serai là (2021), aux éditions Calmann-Lévy, a toujours baigné dans l’univers de la bande dessinée.
Né à Bruxelles, c’est avec le neuvième art que Xavier apprend à lire et que ses premières histoires naissent. Amusée, la rédaction l’interroge quant à son premier souvenir de dessin : « J’ai un dessin qui doit dater de mes dix ans : j’y ai esquissé une espèce de monstre qui ressemble à la créature de Frankenstein avec un policier. Le monstre est en train de pleurer parce qu’il cherche sa maman et le policier ne sait pas trop comment réagir ». Si ses premiers rêves dessinés gravitent autour d’un détective privé nommé John, qui a une moustache, des boucles d’oreille et qui fume « parce que c’était l’idée que je me faisais d’un mec cool » s’esclaffe-t-il, ses illustrations se sont tournées vers des récits qui témoignent de ses expériences d’accompagnement de patients en soins palliatifs. En 2016, alors qu’il partage ses dessins sur Instagram, l’Homme étoilé se décide à publier ses récits : « Je pense qu’il y avait plusieurs motivations : d’une part, une vocation d’hommage, l’idée de partager l’histoire de personnes qui ont compté pour moi dans mon parcours de soignant, mais aussi d’homme », exprime-t-il. « D’autre part, de démystifier le milieu des soins palliatifs qui est toujours perçu comme anxiogène ».
Une nouvelle page se tourne avec Je suis au-delà de la mort aux éditions Le Lombard : cette première fiction du dessinateur retrace l’histoire de Jean, jeune rocker pour qui les portes de l’industrie musicale commencent à s’ouvrir. Elles se referment très vite à l’annonce de son cancer. Dans son cheminement à travers la maladie, il fait la rencontre de Frank, son voisin de chambre. Si le « crabe » plane au-dessus d’eux, la naissance d’une amitié également, le tout en musique. Au fil de la bande dessinée, Jean le rocker et Frank le crooner nous partagent des musiques de Sinatra et Katatonia. « Ce sont vraiment des chansons que je trouve pour la plupart très fragiles, poétiques et émotionnellement riches. Elles peuvent apporter quelque chose en plus quand tu lis la BD », explique le dessinateur.
« Peut-être que le dessin a pu m’aider à débriefer des situations difficiles, à mieux me comprendre et me connaître et, finalement, à m’améliorer dans mon métier. »
Au-delà de l’épreuve du cancer auxquels sont confrontés Jean et Frank, c’est surtout la perspective de « célébrer la vie tant qu’elle est là » qui est insufflée dans cet album. Je suis au-delà de la mort apparaît comme une métaphore de la conception même des soins palliatifs : un lieu où l’on ne considère pas les patients comme des personnes que l’on doit uniquement soigner, mais comme des malades que l’on accompagne. Au-delà de la maladie, Jean cherche à revenir à la simplicité du présent. Au-delà de la maladie, il y a l’accompagnement médical, psychologique et humain. « Entre les lignes, Frank n’est ni plus ni moins que l’Homme étoilé de Jean. Celui qui lui rappelle que la vie est encore là et qu’il faut la saisir tant qu’elle est là. »
On retrouve un peu de l’Homme étoilé dans Frank, mais aussi dans le personnage de Jean, dont les traits, la barbe et les boucles d’oreille ne sont pas sans rappeler les traits de l’illustrateur. « C’était plus facile de dessiner quelqu’un qui me ressemble parce que ça me permettait d’être dans une vraie empathie avec mon personnage, de ressentir ce qu’il a pu ressentir à chaque chapitre de l’histoire », raconte l’’illustrateur. Et, en même temps, lorsque les traitements impactent physiquement le héros, ses attributs disparaissent, laissant le personnage de Jean sans aucun apparat : « Je voulais qu’il soit assez quelconque, que tout le monde puisse se fondre en lui, puisse se retrouver un petit peu en lui ».
Les personnages antinomiques du « rocker qui n’a pas du tout une attitude de rockeur et le crooner, fan de Sinatra, qui est bien plus rock and roll que le rocker » révèlent ensemble la quête d’un rêve inaccompli. « Est-ce que ce n’est pas l’histoire de tout le monde, quand la maladie vient frapper, de te demander si tu t’es accompli dans la vie ? », interroge l’Homme étoilé. Dans Je suis au-delà de la mort, c’est le rêve d’un voyage en Norvège qui refait surface et qui lie les deux personnages.
On lit dans les remerciements de la BD « À toi, till Norge, for alltid ! » (“À toi, en Norvège pour toujours”). L’album s’inspire en effet d’un patient rencontré un matin de 2009 à qui l’on venait d’annoncer que sa maladie ne répondait plus aux traitements. En discutant avec ce patient, ils se sont découverts un rêve commun : la Norvège. Comme une urgence d’accomplir ce rêve que cet homme ne réaliserait pas, l’Homme étoilé, douze ans plus tard, pendant l’écriture de sa fiction, s’est rendu dans la “république couronnée” et ses nombreux fjords.
« Lorsque les médecins disent “on arrête les traitements”, ce que le patient reçoit c’est : “je vais mourir plus tôt que Je ne l’aurais prévu”. Et je me demande comment tu chemines dans la vie quand la perspective de la mort se fait imminente et évidente. »
Cette annonce ne vient pas seulement impacter le patient, mais aussi ses proches. Pour le personnage de Jean, c’est sa compagne, Cécile, qui l’accompagne dans cette traversée, avec douceur. Confronté à la maladie et à ses remises en question, Jean est porté à bout de bras par Cécile. Alors que le héros tend à se concentrer sur lui-même, elle est un « soutien immuable, un point d’ancrage dans la vie et le combat de Jean », sourit l’illustrateur. Ce « petit morceau de bienveillance » illumine le roman graphique, avec humour par moments, mais aussi avec émotion : « Mais qui s’occupera de moi ? ».
Je suis au-delà de la mort, avec sa douceur et sa poésie, révèle au lecteur sa propre finitude mais surtout, l’importance de saisir l’instant présent. Dans un album riche en couleurs, en musique et en décors, les traits simples de l’illustrateur visent avec justesse les émotions qui traversent ces êtres dessinés. Une célébration de la vie … et des rêves !