Jean-Louis Murat est probablement l’un des artistes les plus singuliers de la chanson populaire française. Il livre aujourd’hui Innamorato, album hybride composé principalement de versions live de morceaux tirés de son album précédent, Il Francese, et de quatre titres studios inédits.
Auteur-compositeur-interprète prolifique, Jean-Louis Murat n’en finit pas d’étonner. Depuis plus de 40 ans, il s’est attaché à explorer des esthétiques musicales sans cesse renouvelées. Né en 1954 à La Bourboule en Auvergne, l’artiste fonde à 25 ans le groupe de rock Clara. Puis, remarqué par William Sheller, il débute sa carrière solo en 1981 et sort son premier 45 tours Suicidez-vous, le peuple est mort. 38 ans après, sa créativité ne s’est toujours pas tarie et, depuis quelques années, il continue même de sortir une moyenne d’un album par an. Le 28 septembre dernier, il présentait ainsi Il Francese, opus marqué par des instrumentations électroniques et son utilisation du vocodeur. La sortie de cet album est suivie d’une tournée qui le conduit notamment à Décines, dans la salle du Toboggan, pour un concert dont les enregistrements figurent sur son nouvel album Innamorato, sorti aujourd’hui. Mais il ne s’agit pas pour autant d’un album live, car il contient également quatre morceaux studio jusqu’alors inédits, dont certains n’avaient été dévoilés qu’au cours de la tournée.
L’esthétique générale qui se dégage de la prestation de Jean-Louis Murat à Décines tranche avec les arrangements électros des chansons de Il Francese. Il semble être revenu à des instrumentations électriques plus épurées, parfois plus posées et placides, optant donc pour un certain minimalisme. Ici, c’est en effet le son clair de la guitare électrique qui traverse toute sa performance, avec un timbre et certains traits mélodiques qui peuvent évoquer, dans une certaine mesure, le style de Mark Knopfler du groupe Dire Straits. Une démarche qui peut aussi renvoyer à son éducation musicale, rythmée entre autres par le rock anglais des Rolling Stones, ainsi que la folk américaine de Bob Dylan et de Neil Young. C’était d’ailleurs sur les chansons du « Loner » que Jean-Louis Murat, de son propre aveu, a appris à jouer de la guitare. Cette sonorité épurée, couplée à la basse et la batterie de Fred Jimenez et Stéphane Reynaud, ses fidèles et anciens compagnons de route, instaure une ambiance assez confidentielle et envoûtante. Elle se trouve également magnifiée par un effet de réverbération et d’écho planant. Cependant, les interventions de Jean-Louis Murat savent parfois se faire plus incisives et rageuses, voire rugissantes, en particulier pendant Les jours du jaguar.
On remarque également que la batterie de Stéphane Reynaud semble assez effacée dans les deux premières chansons (« Ciné Vox » et « Hold Up »), ainsi que dans « Il neige ». Cependant, elle s’affirme progressivement pendant la chanson « Gazoline », à la fin de laquelle elle est marquée, détonante et groovy, aspect également perceptible à l’écoute de « Kids ». Elle y met aussi en avant un jeu de cymbale et de charleston marqué qui rappelle presque le style des Rolling Stones à la période de leur album Some Girls (1978). Dans le même temps, le jeu de guitare de Jean-Louis Murat adopte des accents blues rock encore plus manifestes que dans les autres chansons du concert. La basse, quant à elle, dispose d’un rôle mélodique en parfaite harmonie avec la guitare, notamment dans « Kids », une des seules chansons de l’album pendant laquelle l’artiste manie par moments la langue anglaise.
Dans le même temps que le discours instrumental est revitalisé, la voix même de Jean-Louis Murat reste au centre de l’ensemble. On ne se lasse pas de son timbre qui allie une nonchalance à une sensualité certaine et des tonalités parfois légèrement plaintives, qui constitue sa marque de fabrique depuis le début de sa carrière. On constate également que l’artiste est toujours aussi porté à travailler davantage la sonorité des mots que leur sens. C’est très certainement cet aspect qui le rapproche d’interprètes comme Christophe, Jacques Higelin ou encore Hubert-Félix Thiéfaine, personnalités qui, comme lui, ont été très souvent désignées comme des outsiders de la chanson française. Cet aspect expérimental est particulièrement présent dans la chanson « Il neige », pendant laquelle il n’hésite pas à explorer les registres plus aigus de sa voix et à imiter ce qui semble être le sifflement des oiseaux. Notons également que pour son interprétation de « Je me souviens », c’est sa voix seule a capella qui résonne et porte toute la chanson. Elle lui permet également de mettre en avant des textes énigmatiques, dans lesquels on perçoit une tendance au spleen. Cette dernière semble d’ailleurs refléter ses influences jadis puisées dans la poésie et la littérature romantique d’auteurs tels que Chateaubriand ou Lamartine.
La deuxième partie de cet album s’articule quant à elle autour de quatre titres studio que Jean-Louis Murat avait probablement laissés en réserve lors des sessions de Il Francese. De par son jeu sur les textures et les timbres vocaux, on peut déceler une certaine continuité par rapport à la dynamique qu’il avait engagée avec Il Francese. Ainsi dans « Ben », on retrouve l’emploi du vocodeur qui marquait déjà des chansons comme « Ciné vox », ainsi que des basses et des parties de synthétiseurs à l’aspect quasi expérimental qui dénotent par rapport à la voix mélodieuse de l’artiste. A l’inverse, c’est un jeu de type blues rock et de facture plus classique qu’on retrouve à l’écoute de « Par toi-même hideux » et « Autant en faire quelque chose », superposé à quelques mélodies réalisées au synthétiseur.
Avec Innamorato, Jean-Louis Murat démontre encore une fois son talent pour allier une esthétique rock classique et des expressions musicales plutôt modernes. Même si ses chansons paraissent crépusculaires et restent imprégnées du mode mineur, elles sonnent également comme autant de lanternes qui aident à traverser les ténèbres, les grands moments de mélancolie et la solitude qui nous guette tous à un moment de notre vie. Il le disait d’ailleurs lui-même à propos de son art : « Ce n’est pas mal comme métier. Je n’ai pas de frais de psy comme ça. Juste une guitare. ». C’est, en somme, le meilleur remède contre les maux du cœur et de l’âme.
L’album Innamorato de Jean-Louis Murat sort le 19 avril 2019 chez Le Label/PIAS.