Maîtresse de conférence à l’université Rennes 2, Fanny Bugnon explore le parcours de la douarneniste Joséphine Pencalet dans son nouvel ouvrage L’élection interdite, Itinéraire de Jospéhine Pencalet, ouvrière bretonne (1886 – 1972), publié aux éditions Seuil en mai 2024. À l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, le 8 mars 2024, Unidivers avait plongé dans cette histoire en mots et en illustrations. Figure de la grève des sardinières à Douarnenez en 1924 et première femme élue à un conseil municipal en France, elle incarne la condition des femmes en Bretagne.
« Il y a 80 ans, les Françaises obtenaient le droit de vote. Il y a 99 ans, une poignée de femmes étaient pourtant élues, et parmi elles, la Douarneniste, Joséphine Pencalet. »
Fanny Bugnon.
Douarnenez est une petite commune du Finistère qui se développe rapidement dans la deuxième moitié du XIXème siècle avec l’appertisation. Avec cette nouvelle technique de conservation des aliments, des conserveries de poissons et de légumes vont éclore sur le littoral breton, notamment à Douarnenez. Ce « champignon industriel », comme le nomme l’historienne Fanny Bugnon, est marqué par cette industrie où près de trois mille ouvrières travaillent au début des années 1920. Parmi elles, celles que l’on surnomme les « têtes de sardine » ou Penn sardin travaillent dans les friteries. Dans ces conserveries de sardines sur-représentées par les femmes, le travail est rude et mal payé : à 80 centimes de l’heure, sans majoration des heures supplémentaires et de nuit, « la sardine est reine et, faute de moyens de réfrigération, impose les conditions de travail »1. Dans ce contexte éreintant physiquement rythmé par les sommations des contremaîtresses, les ouvrières baignent dans une odeur pestilentielle de friture et de déchets de poisson. Malgré les effluves maritimes qui s’accrochent à leurs vêtements et leurs cheveux, les sardinières chantent pour tenir la cadence d’une besogne harassante.
Née en 1886 dans une famille de marins pêcheurs, Joséphine Pencalet travaille elle aussi comme sardinière. Après avoir vécu avec son mari Léon Leray, originaire d’Ille-et-Vilaine, et ses deux enfants en région parisienne, elle revient dans sa ville natale après le décès de son époux au sortir de la Première Guerre mondiale. Elle y devient ouvrière chez Chancerelle et vit dans un logement social municipal de Douarnenez.
« Pemp real a vo ! »2, voilà la phrase qui gronde dans les conserveries de Douarnenez. Ce ne sont plus les chants des sardinières qui émanent des usines, mais un cri de contestation. Fin novembre 1924, les ouvrières se mettent en grève et réclament 5 sous supplémentaires à leur paye. Le travail cesse, mais les chants persistent : dans les rues de la ville rouge, les ouvriers et ouvrières se rassemblent et scandent l’Internationale ainsi que de nouveaux airs révolutionnaires tel que Saluez, riches heureux. Cet hymne d’une révolte naissante enseigné par des syndicalistes, surnommée « la chanson interdite » par Lisette Le Floc’h, vaudra le licenciement de certaines penn sardin qui osaient l’entonner dans les usines.
Douarnenez est une ville communiste qui a élu pour la première fois un maire communiste en 1921 : Sébastien Velly. Daniel Le Flanchec lui succède en 1924 et marque son soutien envers la grève des sardinières en installant le comité de grève à l’intérieur de la mairie. Le syndicaliste rennais de la CGT-U, Charles Tillon, se joint également à la grève qui durera six semaines. Au sein de cette contestation, Joséphine Pencalet figure parmi les personnes présentes, mais « c’est une ouvrière parmi d’autres qui participe à la grève, ce n’est pas – contrairement à certains mythes que l’on peut entendre ici ou là – une espèce de Louise Michel locale », souligne Fanny Bugnon dans une conférence pour la radio C-Lab. C’est bien une mobilisation collective pour la défense de l’amélioration des conditions de travail, portée principalement par les ouvrières douarnenistes, « fer de lance de la lutte des femmes sur le littoral breton »3.
« Comme souvent dans l’histoire des femmes, notamment dans l’histoire des femmes de condition populaire, on a peu d’éléments biographiques qui permettent de reconstituer leur trajectoire, mais on sait qu’elles ont participé avec à peu près 3000 femmes à cette grève. »
C-Lab, Conférence Joséphine Pencalet, femme, bretonne et ouvrière avec Fanny Bugnon, historienne, le 31 mars 2022, par Rebecca.
Cette grève fastidieuse, bien que soutenue par les politiques locales et nationales, trouve sa résolution lors d’un événement déroutant : le 1er janvier 1925, une tentative d’assassinat par des hommes de main à l’encontre de Daniel Le Flanchec a lieu, commandité par les conserveurs des usines. Si le maire de Douarnenez survit à l’attaque, il est marqué par les séquelles d’une balle lui ayant transpercé la gorge. La Préfecture intervient et, le 6 janvier 1925, les usiniers acceptent toutes les revendications des sardinières. On passe de 8 francs par jour pour 10h de travail à 10 francs par jour pour 8h, soit une augmentation de 30%. Les heures de nuit sont majorées de 50% et les longues attentes des ouvrières sont rémunérées. Le droit syndical est reconnu et les patrons ont obligation d’appliquer le Code du travail et de respecter les lois concernant la protection de l’enfance, bien que les conditions demeurent fastidieuses.
« En quelques sortes, ces femmes sont les prolétaires des prolétaires. »
C-Lab, Conférence Joséphine Pencalet, femme, bretonne et ouvrière avec Fanny Bugnon, historienne, le 31 mars 2022, par Rebecca.
La figure de Joséphine Pencalet a son importance à la suite de la grève des sardinières. À cette période, le Parti communiste français n’est pas particulièrement féministe. « Le Parti communiste considère que c’est à ce moment une question secondaire qui pourra se résoudre avec l’avènement de la révolution prolétarienne, que les masses ne sont pas prêtes. Mais ils ont également l’argument classique pour s’opposer aux droits des femmes, fréquent à l’époque, que celles-ci sont du côté de la réaction et sous l’influence de l’Église, en particulier catholique », explique Fanny Bugnon.
C’est avec le lien entre le Parti communiste français et le Komintern, basé à Moscou et ayant une antenne nommée le « Secrétariat féminin » que des directives vis-à-vis de cette question vont êtres données. « Le Komintern donne pour consigne de présenter des femmes aux élections, partout, y compris dans les pays où ce n’est pas légal, en pointant qu’il y a une brèche électorale. Le code électoral de 1884 prévoit que, pour les élections municipales, la Préfecture – chargée de vérifier la validité d’un scrutin – va vérifier l’éligibilité des élus après le scrutin », décrypte l’historienne. Aussi, en 1925, Joséphine Pencalet figure-t-elle en quatrième position de la liste électorale du Parti communiste. Ce qui pouvait présenter une difficulté selon le syndicaliste Charles Tillon, c’était de trouver une femme qui consente à endosser ce rôle : Fanny Bugnon parle d’une « disponibilité biographique ». Le 1er mai 1925, le quotidien régional L’Ouest-Éclair fait part de cette nouvelle : « Une innovation est à noter : c’est la présence sur la liste d’une candidate, Mme veuve Le Ray, née Joséphine Pencalet, ouvrière d’usine ».
Si Joséphine Pencalet est élue dans un premier temps, la Préfecture va annuler son scrutin quinze jours après. À l’instar d’autres femmes candidates qui lui succéderont, cette dernière fait un recours qui lui vaut de siéger jusqu’à l’annulation définitive de son élection en novembre 1925.
Ainsi que Fanny Bugnon le souligne dans son article « De l’usine au Conseil d’État, L’élection de Joséphine Pencalet à Douarnenez (1925) », le paradoxe d’une femme élue sans pourtant en avoir le droit n’est pas la seule chose que cette situation historique met en évidence. En effet, malgré la volonté du Parti communiste « d’offrir, à l’échelle locale comme nationale, un gage de sincérité politique », ce sont les candidats masculins, notamment Daniel Le Flanchec et Charles Tillon qui semblent mis en avant, contrairement à Joséphine Pencalet. « On ne trouve malheureusement pas trace de l’attitude de Joséphine Pencalet durant la campagne électorale, en particulier au cours des réunions publiques qui font pourtant l’objet de plusieurs rapports », renseigne l’historienne. Le récit de Joséphine Pencalet, parsemé d’absence d’informations, révèle l’état des droits des femmes à cette période ainsi que les tentatives d’y remédier.
Joséphine Pencalet a gardé beaucoup d’amertume de cette expérience et a ensuite refusé de voter, pensée qu’elle a maintenue auprès de ses enfants, bien qu’elle soit restée communiste de cœur. Malgré tout, comme le formule Fanny Bugnon, « son cas offre un décentrement géographique, comparé à un prisme parisiano centré. Une femme, une ouvrière, en Bretagne ».
1 Le Chant des sardinières, Chants des ouvrières des conserveries du Pays bigouden et chants de Pont-l’Abbé Lambour (1860-1960) de Marie-Aline Lagadic éditions Coop Breizh, p.17.
2 « 5 sous il y aura ! »
3 Le Chant des sardinières, Chants des ouvrières des conserveries du Pays bigouden et chants de Pont-l’Abbé Lambour (1860-1960) de Marie-Aline Lagadic éditions Coop Breizh, p.21.
Sources :
- Le Chant des sardinières, Chants des ouvrières des conserveries du Pays bigouden et chants de Pont-l’Abbé Lambour (1860-1960) de Marie-Aline Lagadic éditions Coop Breizh.
- C-Lab, Conférence Joséphine Pencalet, femme, bretonne et ouvrière avec Fanny Bugnon, historienne, le 31 mars 2022, par Rebecca.
- « De l’usine au Conseil d’État, L’élection de Joséphine Pencalet à Douarnenez (1925) » de Fanny Bugnon dans Vingtième siècle, revue d’Histoire, 2015/1 n°125 (p.32 à 44).
- Penn sardines de Marc Rivière, 2004.
Dessins : Inès en Gribouillis
L’élection interdite, Itinéraire de Jospéhine Pencalet, ouvrière bretonne (1886 – 1972), Fanny Bugnon, éditions Seuil, collection L’Univers historique. Parution : Mai 2024. Prix : 23 €
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