Le samedi 12 octobre, la première édition de la JournÉtrange a pris place à la Maison Internationale de Rennes. Objectif de cette journée quelque peu spéciale : faire découvrir aux enfants des courts-métrages insolites et fantastiques en fonction de leur âge. Les années précédentes, les œuvres destinées aux enfants étaient uniquement visionnées par des classes du CP à la Terminale. Pour sa 16e édition, le festival Court Métrange a décidé d’élargir son public aux familles et aux particuliers, en proposant ces courts-métrages le temps d’une journée atypique. D’autres surprises se sont également immiscées tout au long de ce samedi… Reportage.
Christine Leconte-Simonnet, membre de l’équipe de programmation du festival Court Métrange, explique comment sont choisis les courts métrages présentés pendant cette JournÉtrange : “Nous nous sommes rendus à de nombreux festivals pour dénicher des perles rares, comme le Festival International du court métrage de Clermont-Ferrand. Une plateforme est également ouverte pour les réalisateurs qui désirent nous soumettre leurs films. Nous avons visionné plus de 500 courts métrages avant de faire notre sélection pour les enfants. Ce sont des sujets tabous auxquels la jeune population est rarement confrontée, comme la jalousie entre frères et sœurs, la solitude ou même la mort d’un proche, que nous avons surtout cherché à mettre en lumière”
À l’issue des 3 séances (Élémentaire, Collège et Lycée), les visiteurs ont été invités à voter pour leur seul et unique court métrage préféré parmi des listes de 6 à 8 films, selon les sessions. Ces votes seront comptabilisés avec ceux des élèves qui ont déjà choisi leurs préférences et la grande remise des prix, qui aura lieu le samedi 19 octobre à 21h au café des Champs Libres, récompensera un réalisateur par catégorie.
La JournÉtrange a débuté sur les chapeaux de roues à 11h avec la “Séance Elémentaire”, une sélection de 7 courts-métrages destinés aux enfants n’ayant pas encore dépassé la barre du 1 mètre (jusqu’à 10 ans environ).
À travers cette séance originale, plusieurs thématiques ont été abordées avec une extrême douceur et une énorme louche d’humour. Par exemple, le court-métrage Not Today de la réalisatrice belge Marine Jacob aborde avec une légèreté incroyable les thèmes du temps qui passe et de la mort inéluctable. Un film qui se moque allègrement de la finitude de l’Homme en mettant en scène une grand-mère qui se lie d’amitié avec la Faucheuse, alors que celle-ci vient frapper à sa porte jour après jour. Pas sûr que les enfants aient saisi cette subtile allégorie, mais une chose est certaine : cette œuvre désopilante leur fait comprendre qu’il est préférable d’accepter et de rire de ce grand monsieur tout vêtu de noir, plutôt que de lui tourner le dos.
Mathias, 6 ans a, quant-à lui, préféré After the rain, réalisé par 7 jeunes réalisateurs. Ce film d’animation particulièrement émouvant dépeint la vie paisible d’un adorable chien qui vit aux côtés d’un berger atypique. Grâce à la laine de ses moutons celui-ci façonne des nuages, ce qui lui permet de recevoir de la pluie en permanence afin que ses verdoyants pâturages resplendissent. Un jour, victime du temps qui passe, le vieil homme s’éteint, laissant derrière lui le paysage à l’agonie. Mais fort heureusement, son chien a plus d’un tour dans son sac ! Le malin animal finit par trouver une solution loufoque pour tondre les moutons et ainsi faire revenir la pluie. Resurgit alors le placide cycle de la vie qui finalement ne tient qu’à un fil… “Les paysages de ce dessin animé sont très jolis. J’ai adoré quand le chien trouve une solution tout seul. Cela prouve à quel point cet animal est intelligent !”, souligne Mathias.
À 12h30, la “Séance Collège” a enchaîné le pas. Cette fois-ci, le ton adopté se veut plus grave et plusieurs des 8 courts-métrages présentés invitent à une réflexion autour des grands enjeux actuels. L’urgence du changement climatique et de la lutte contre la pollution sont mises à l’honneur à travers The Sky Underwater, réalisé par Maria Galliani Dyrvik. Celui-ci prend place en 2050 et dépeint l’aventure de Mia, une petite fille de 6 ans qui vit dans un dôme de verre bâti très profondément sous la mer. Chaque nuit, Mia rêve de rejoindre la Grande Lumière, propre et belle, contrairement au reste du monde sous-marin qui regorge de déchets. C’est en rassemblant les déchets autour d’elle, avec l’aide de ses amis, qu’elle parvient à s’envoler à la surface pour voir la lune pour la première fois. Peut-être une métaphore pour nous signifier que nos déchets pourraient nous être utiles si nous les réutilisions à bon escient ?
Le coup de cœur de Maël, 12 ans, se dirige sans hésitation sur On The Road, réalisé par le le réalisateur belge Blomme Molenstra. Ce court métrage offre une vision décalée et burlesque du dépannage routier. Du haut de son pont surplombant l’autoroute, Automan, le protagoniste qui s’auto-proclame assistant de circulation, reçoit des informations relatives au trafic par la radio et s’attelle à régler les soucis de circulation sans bouger d’un poil. Maël est comblé : “On The Road m’a vraiment beaucoup plu ! L’assistant de circulation gère le trafic autoroutier sans bouger, simplement en traçant des lignes sur la route : c’est une idée de film très originale !”
La journée a suivi son cours en accueillant le réalisateur et professeur d’analyse de films, Hubert Blanchard, à 14h. Devant une vingtaine de personnes, il a proposé une réflexion sur le scénario, en commençant par se demander si le scénario est une œuvre d’art en lui-même ou si, sans la réalisation d’un film, il perd toute sa valeur. La réponse à cette problématique est restée en tension tout au long de la conférence, même si le réalisateur semble s’être doucement positionné au fil de son raisonnement.
Écrire un scénario c’est écrire sous la dictée de l’image. (Wim Wenders)
Hubert Blanchard a cité le célèbre cinéaste Wim Wenders pour illustrer son propos, avant de proposer sa propre définition du métier de scénariste. Pour lui, un scénariste est un “rêveur pragmatique” qui a pour mission d’émerveiller les gens, tout en restant les pieds ancrés dans la glaise. Autrement dit, tout peut être écrit dans un scénario, mais il est nécessaire d’être conscient que financièrement et humainement, tout ne peut être réalisé.
Puis le réalisateur s’est attelé à l’explication de plusieurs procédés techniques fréquemment utilisés dans l’écriture de scénarios. Parmi eux, le “préparation-paiement”, qui est la réapparition d’un élément de l’histoire (objet, personnage, réplique, scène…), replacé à dessein pour signifier au spectateur que cet élément à toute son importance dans l’intrigue. Ou encore, le procédé du “bear on the beach”, qui se définit telle une ironie dramatique où le spectateur est en avance sur le film, il en sait plus que les personnages.
À 15h30, la “Séance Lycée” a réuni une trentaine de personnes, adultes et adolescents confondus. Et même le soleil clinquant de cette belle après-midi n’a pas suffit à restreindre les frissons provoqués par les six courts-métrages de cette session. Bien que l’humour était aussi au rendez-vous, il y avait de quoi ressortir bouche-bée de cette séance, prêt à remettre toute notre existence passée en perspective.
A titre d’exemple, le film d’animation The Ostrich Politic, réalisé par Mohammad Houhou dépeint une surprenante société d’autruches. Celles-ci sont convaincues que cacher leur tête dans le sol ou dans n’importe quel type de trous constitue un comportement hérité de leurs ancêtres. Or un jour, après avoir mené de longues recherches, le docteur Kais révèle que cette croyance mystique est bâtie sur un mensonge. À partir de ce moment, le président des autruches décide donc d’agir pour éviter que les citoyens de sa ville perpétuent cette calomnie : il fait passer une loi interdisant à toutes autruches de se cacher dans la terre, quoiqu’il advienne. Et là, c’est le drame ! Les autruches se rebellent, la violence envahit la ville. D’autres scientifiques s’affairent alors à démontrer que le docteur Kais a eu tort. Et comme les politiciens n’en peuvent plus de cette ambiance chaotique, ils finissent par faire annuler le précédent texte de loi, ce qui permet à la paix et la sérénité de rapidement réinvestir la ville. À la fin le narrateur se glisse dans la peau du docteur Kais et déclare :
Si la poésie est le chemin de la vérité, on nous a menti, et vous le savez. (The Ostrich Politic)
Faisant ainsi référence à la “politique de l’autruch” qui est à l’œuvre dans nombre de nos sociétés contemporaines lorsqu’il s’agit de remettre en question des croyances profondément ancrées dans les mœurs. Mohammad Houhou construit une intrigue grotesque, remettant en question l’essence même des autruches, ce qui, par transposition, dénonce certainement le fait que dans nos sociétés, plus la lutte se veut importante, plus nous jouons aux aveugles afin d’éviter de briser le lymphatique cours de nos quotidiens.
https://www.youtube.com/watch?v=_rFiqay2EuU
À la sortie de la séance, nombreux ont été les spectateurs à avoir loué les mérites du court métrage Mémorable, réalisé par le réalisateur rennais Bruno Collet. Grâce à des marionnettes animées, le Breton donne vie à Louis, un artiste peintre touché par la maladie d’Alzheimer. En usant d’humour et en nous transportant dans un univers on ne peut plus onirique, Bruno Collet invite les spectateurs à se plonger dans la peau d’un personnage particulièrement touchant.
Après cette séquence émotions et introspection, la JournÉtrange s’est poursuivie avec l’intervention de Pacôme Thiellement, un essayiste et vidéaste français qui fait du “monde des morts” dans les séries télévisées son domaine de prédilection. Face à un amphithéâtre quasiment comble, il a livré un petit colloque sur son sujet favori, notamment en analysant des scènes des séries Twin Peaks, Lost, L’hôpital et ses fantômes, Les Soprano et The Leftovers. Unidivers y a notamment appris que la première représentation du monde de l’au-delà à la télévision date de 1992. C’est la série Twin Peaks qui a initié ce mouvement et à partir de là, la télévision est devenue une fenêtre concrète pour permettre aux réalisateurs de représenter ce monde qui nous dépasse.
Et enfin, à 19h, cette riche JournÉtrange a accueilli plusieurs lycéens et leur famille pour le concours The Review. Pour ce dernier, 9 jeunes âgés de 12 à 18 ans ont présenté leur propre court métrage.
5 des 9 jeunes réalisateurs ont répondu présents en ce samedi soir. Parmi eux, Mathis Bureau et son film Le Peuplement du métal, Théo Fouillet avec Dans mes yeux, Maël Deback pour Contrôle D 12, Alban Lainé pour son film Manducare et enfin, Kerrian Battais pour représenter le court métrage Tom et le monstre.
A l’issu du visionnage des 9 courts-métrages, le jury, composé de membres de l’équipe du festival Court Métrange, a annoncé le palmarès. Roulement de tambour … Kerrian Battais a remporté le prix “Mention spéciale” pour son œuvre Tom et le monstre, à travers lequel il dénonce les maltraitances physiques et psychiques que subissent encore de trop nombreux enfants de la part de leurs parents.
Et applaudissements pour Maël Deback qui a remporté le prix The Review ! À travers son court métrage intitulé Contrôle D12, le jeune réalisateur de 17 ans signe un travail mûrement réfléchi autour de l’horoscope et de la manière dont ces symboles parviennent parfois à dicter notre vie. Maël, scolarisé en 1ère au lycée Beaumont de Redon, raconte comment il s’est lancé dans cette aventure : “Je suis en option audiovisuel et c’est ma prof qui m’a parlé de ce concours. J’ai donc décidé d’y participer, épaulé par deux amies. Nous avons écrit le scénario pendant plusieurs mois avant de filmer et de monter nos plans pendant tout le mois d’août. Travailler sur l’horoscope est l’idée d’une amie. J’ai progressivement creusé sur ce thème jusqu’à avoir envie de créer un court métrage à la façon de la série Black Mirror. Je suis super ému de recevoir ce prix, je ne m’y attendais pas du tout. Quand j’ai vu la qualité des autres films projetés ce soir, je me suis dit que c’était impossible que je gagne !”.
L’équipe de Court Métrange s’est montrée ravie de cette première édition de JournÉtrange. Et même s’il n’y avait pas foule aux séances de la matinée, elle espère réitérer cette expérience, afin que le public curieux de découvrir des films qui sortent des sentiers battus, s’élargisse d’années en années. Alors, rendez-vous l’année prochaine ?
Maison Internationale de Rennes
7 quai Chateaubriand