Auteur de BD et médecin, Charles Masson a un but essentiel : soigner les gens. Il le fait avec tendresse et passion, comme lorsqu’il rencontre Marie, une femme libre qui lui demande de vivre jusqu’au printemps.
Il existe de petites BD, au petit format, à la petite pagination, que l’on trouve chez le libraire dans de petits bacs. Elle parlent parfois de « petites gens » comme nous alerte le sur-titre « Les gens de rien » qui répond en écho au fameux « Gens de peu » de Pierre Sansot. Petite, Marie, l’est assurément, mais par la taille uniquement. Elle, qui est originaire des quartiers populaires de Lyon, vient consulter, Charles Masson, oto-rhino-laryngologiste. Il lui diagnostique un cancer de la gorge, une de ces maladies qui ne vous laisse aucune chance de survivre : « On pourra vous traiter. Oui. Vous guérir… Pas sûr. ».
Marie, ancienne institutrice ne lui demande alors qu’une chose : vivre jusqu’au prochain printemps. Marie est une femme, une fille, une jeune fille, une enfant du soleil, celui qui chauffe la peau, le coeur, le corps, quand jeune, elle accompagne son amie Louise comme monitrice d’une colonie de vacances en Corse. Elle est ainsi la vie de Marie, dont l’auteur nous dévoile pudiquement mais joliment, des instants de vie. En avance sur son époque, elle se rebelle contre la domination masculine, elle se veut libre, sans enfants à elle, elle préfère les livres aux biberons, la passion brève à l’Amour. Elle vit au rythme des saisons, fidèle à ses souvenirs d’enfance, à la chaleur de la plage plus qu’à la froidure de la neige. C’est doux, tendre et émouvant. Comme le son des oiseaux de couleurs qui reviennent chasser les corbeaux, comme ces magnolias blancs tristes toute l’année mais qui explosent de beauté au printemps.
Charles Masson raconte simplement avec pudeur et tendresse. Il n’appuie jamais là ou cela fait mal, il appuie un peu, où cela fait du bien. Normal puisqu’il partage son activité d’auteur de BD avec son autre métier, celui de médecin. Dans ces deux domaines, il essaie d’attirer l’attention sur la détresse de ses malades, souvent issus de classes sociales défavorisées. Il a ainsi publié Soupe froide qui avait reçu le prix France Info de la BD d’actualité et de reportage, puis Bonne santé et Droit du seul, des albums dont les titres disent à eux seuls beaucoup. On comprend mieux ainsi la médecine de l’intérieur, les consultations, les manières de dire, de faire, d’écouter le patient, les dilemmes de traitements prolongateurs de vie, mais destructeurs de bonheur. En demandant de vivre jusqu’au printemps, Marie nous invite à la suivre dans de petits bonheurs quotidiens et le joli dessin se griffe de couleurs pour nous faire sentir ses respirations heureuses. Marie est libre et elle le restera jusqu’à la fin. Discrètement, cette BD aborde de nombreux thèmes d’actualité : le droit de mourir dignement, l’état de nos services de santé, le féminisme, la liberté de disposer de son corps. À plusieurs reprises, l’auteur insiste sur le terme des « sans dents », termes qui désignent les enfants à qui Marie apprend à lire, mais qui renvoient aussi à des propos supposés de François Hollande à l’égard des classes populaires. Un rappel glacial et ferme. En refermant cet album, on se dit qu’à notre tour, il faut tenir, profiter, car c’est certain, le printemps arrive. C’est un samedi, le 20 mars. Et il vaut vraiment la peine d’être vécu. On annonce du soleil et des fleurs aux arbres.