HUIT CHOSES À SAVOIR SUR LE KABIG OU LE DESTIN D’UN HABIT DE GRÈVES

Dans Kabig, le destin d’un habit de grèves, paru aux éditions Coop Breizh, le conservateur de musée en retraite Pascal Aumasson, Yannik Bigouin et le tisserand et artiste-plasticien Gwenaël Le Berre racontent l’histoire d’un vêtement dont l’origine maritime et ouvrière ne laissait présager son succès. Unidivers a sélectionné huit informations à connaître afin d’appréhender la grande évolution du kabig en attendant de découvrir le livre !

L’histoire du « kab an aod », popularisé par la suite sous le nom de kabig, est inscrite dans la mémoire collective de plusieurs générations de Breton.ne.s. Et pour cause, tous les membres des familles bretonnes, enfants et parents, portaient des kabigs. Encore aujourd’hui, certains apprécient de sortir en kabig les jours pluvieux. Mais qu’est-ce qu’un kabig ?

Des premiers témoignages jusqu’à aujourd’hui, Kabig, le destin d’un habit de grèves raconte l’histoire de cet habit de travail, initialement celui des goémoniers, devenu un vêtement de mode, que son origine maritime et ouvrière ne laissait présager. D’où vient-t-il ? De quelle manière était-il confectionné ? Comment s’est-il popularisé ? Comment est-il passé d’une identité individuelle et familiale à une identité régionale ? Etc.

kabig coop breizh

« Le kab, vêtement identitaire, âme de contestation et de libération, reste néanmoins, toujours, un habit bien utile contre le vent, le froid et la pluie… contre la mondialisation ! Et nous voilà repartis pour trouver une nouvelle valeur symbolique à notre pauvre kab qui ne demandait qu’à être un vêtement bien utile contre le vent, le froid, la pluie… », Goulc’han Kervella, auteur de la préface et homme de théâtre, Plouguerneau.

1. Après tout, commençons par le commencement. Après tout… qu’est-ce qu’un kabig ? Créé dans le Pays pagan (aujourd’hui cinq communes : Goulven, Plounéour-Brignogan, Kerlouan, Guissény et Plouguerneau, sur la côte nord du Finistère), le « kab an aod », ancêtre du kabig, est à l’origine une cape de grève portée par les paysans-goémoniers du littoral afin de se protéger des intempéries lors de leurs collectes d’algues ou de pinsé (bois flotté). Il a ensuite été modernisé pour devenir un véritable objet de mode. « Un drap de laine foulée et tissé très serrée qui en fait un vêtement imperméable, des ailerettes au niveau des épaules qui empêchent le ruissellement de l’eau, une double poche au niveau du ventre qui permet d’abriter les deux mains et le crantage du tissu évitant ainsi l’usure du vêtement sont les caractéristiques du kabig. » (p.61)

2. Le mot kab apparaît pour la première fois dans Le Livre noir de Carmarthen, texte considéré comme le plus ancien des manuscrits, écrit partiellement ou totalement en gallois (XIIe siècle). À l’intérieur y est explicitement employé le cab pour manteau. « Bab-ig (le petit manteau) a bien son origine dans les langues celtiques brittoniques, mais on peut aussi y voir une lignée avec le latin capu (tête) qui a donné le mot « cape » en français. »

3. Très peu de traces subsistent, mais la plus ancienne représentation du kabig s’avère être un dessin aquarellé réalisé par le polytechnicien nancéen d’origine François-Hippolyte Lalaisse (1810-1884). En 1844, il sillonne la Bretagne afin de répondre à une commande de portraits de costumes régionaux pour l’éditeur et lithographe nantais Charpentier. Réalisé lors de son étape à Kerlouan, le dessinateur croque le vêtement de face et de dos avec un souci du détail qui permet aujourd’hui d’avoir les principales caractéristiques du kabig de l’époque. Le dessin représente une étoffe blanche à capuche, une fine lisière rouge et bleue sur les manches et l’ouverture, les épaulettes crantées et la poche ventrale. Sa légende manuscrite en haut à gauche désigne un « costume de grèves ». « Récemment redécouvert à la faveur de son acquisition par le Musée national des arts et traditions populaires à Paris, en 1952, ce dessin renouvelle l’intérêt que l’on peut porter à sa version gravée, le seul témoignage connu du kab jusqu’à cette date. » (p.25)

4. À l’origine, le vêtement était blanc ou bleu marine, mais la couleur blanche, bien identifiable sur la grève, était plutôt réservé aux hommes.

kabig le destin d'un habit de grèves
Carton d’invitation pour une exposition présentée au port-musée de Douarnenez. Le Henaff Fañch (1960 – ) © Musée de Bretagne, Collection Arts graphiques

5. Les détails du dessin de François-Hippolyte Lalaisse permettent également de remonter aux fournisseurs de tissu la marque du tissu Morin. Les lisières fines rouges et bleues s’avèrent en effet la spécificité de l’entreprise, inchangée jusqu’à l’arrêt définitif de l’entreprise en 1961.

Entreprise de négoce passée à l’industrie de drap au début du XIXe siècle, les établissements Morin & Cie de Dieulefit (Drôme) sont les premiers, dans le midi de la France, à introduire le cardage et la filature mécanique de la laine dans la fabrication de la draperie. Cette mécanisation permet un élargissement du réseau commercial et touche la clientèle bretonne, notamment en Finistère. Les pièces sont acheminées et livrées par le biais de la maison de réception de marchandises et de livraisons. En Bretagne, la Maison Mazurié expédiait à Rennes, Nantes, Lorient, Brest, Lorient et Quimper.

6. Dans les familles, tout le monde portait le kab, parents et enfants. Il était confectionné à partir d’un tissu épais pour l’hiver et un plus léger pour la mi-saison et l’été. Il servait non seulement pour travailler dehors, mais également… pour aller à la messe ! Chaque personne avait deux, voire trois modèles : « le plus usé pour le travail au champ et à la grève, un autre pour la maison et les travaux domestiques et un dernier, parfois plus élaboré et toujours bien propre, pour se rendre à la messe du dimanche et aux pardons » (p. 58)

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7. Avec l’appropriation de la bourgeoisie en vacances en Bretagne dans les années 30, le kabig évolue dans la garde-robe et passe de vêtement de travail à celui de vacances, mais de quelle manière est-on passé de la dénomination « kab and aod » à kabig ?

C’est dans ce chapitre que Marc Le Berre (1899 – 1968) et son projet de « reprendre aussi fidèlement que possible la fabrication des vêtements portés autrefois par les goémoniers du Pays pagan » font leur apparition. Ce glissement vers la nouvelle appellation coïncide avec cette valorisation de la culture bretonne initiée en 1937, mais mise en pratique en janvier 1950. Il annonce alors à sa clientèle qu’il a repris « la fabrication des kab-gwenn, kabig, kab and aod » alors qu’il commercialise avec succès des kabigs depuis trois ans déjà, avec l’atelier-ouvroir de la Miséricorde de Kernisy (Quimper). Jusqu’en 1951, Marc Le Berrec « prend grand soin de distinguer les kab-gwenn, par lesquels il désigne les tailles adultes, des kabigs, qu’il réserve aux tailles enfantines. Après cette date […] le diminutif « -ig » perd son sens littéral pour désigner l’ensemble des tailles. » (p.70) L’expression, simple et originale, s’impose peu à peu.

kabig habit goémonier
Deux fillettes posent dans la rue, en face du lycée E. Zola. L’une d’elles porte un masque de lapin, par le photographe Barmay Charles (1909-1993). Mars 1962, Rennes.

8. À la fin des années 70, la mode du kabig s’estompe, mais l’habit reste une source de créativité et d’inspiration pour différents stylistes et designers, à l’instar de Val Piriou. Fille d’une professeure d’histoire du costume, l’intérêt de cette créatrice rennaise de renommée mondiale pour les costumes traditionnels semble couler dans ses veines. En 1985, à 22 ans, on lui offre le livre de croquis de costumes bretons de François-Hippolyte Lalaisse et c’est ainsi que Val Piriou, découvre « le raffinement de la coupe du vêtement de goémoniers magnifié par le dessinateur ». Elle crée alors un modèle inspiré du kab, une veste blanche « dont l’ample macramé de corde – métaphore des cordages maritimes – lui semble pouvoir être le digne héritier de la capuche du kab on aod de Kerlouan ».

Kabig, le destin d’un habit de grèves, Pascal Aumasson, Yannick Bigouin et Gwenaël Le Berre, aux éditions Coop Breizh. 128 pages. Prix : 22 €.

Les auteurs : Ancré dans son territoire de vie, Plouguerneau, Yannik Bigouin milite activement pour la culture régionale. Connu notamment pour son activité de tissage, Gwenaël Le Berre possède une connaissance approfondie des textiles historiques. Conservateur de musée (Saint-Brieuc, Brest, Rennes…) en retraite depuis peu, Pascal Aumasson a organisé l’exposition Kabig, au port musée de Douarnenez en 2008.

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