P.A.R.T.S.@Rennes
l’école de danse belge dévoile ses talents
Musée de la danse / Le Garage / 12 & 13 décembre 2013
« P.A.R.T.S. est l’école internationale de danse contemporaine fondée en 1995 à Bruxelles et dirigée par Anne Teresa de Keersmaeker. Le Musée de la danse a le plaisir d’accueillir en résidence les 23 étudiants inscrits en quatrième et dernière année du Research Cycle. Au programme de leur séjour : cours et ateliers avec Thierry Micouin, Olga Dukhovnaya et Mélanie Perrier, et exploration des matériaux de recherche de la prochaine création de Boris Charmatz. Le Musée de la danse les invite à cette occasion à présenter une sélection de leurs travaux personnels, créés récemment. Leur palette artistique est très large, de la danse pure aux performances théâtrales, en passant par des expérimentations sonores et poétiques. »
Parallèlement à l’exposition FILMS d’Anne Teresa de Keermaeker qui s’est tenue au Musée de la danse et en attendant les représentations de Partita 2 (Anne Teresa de Keermaeker en duo avec Boris Charmatz) au TNB, cet avril, le Musée de la danse a permis au public rennais de découvrir des danseurs de grand talent, dont la technique n’a d’égal que l’imagination. Les spectateurs, venus nombreux, ont ainsi pu découvrir non pas des « travaux pratiques » d’étudiants, mais des œuvres chorégraphiques très abouties et ambitieuses de danseurs de grand potentiel au début d’une belle carrière.
En attendant de consacrer des articles dévoués particulièrement à quelques-unes des pièces présentées – dans un choix restreint éminemment subjectif –, voici un rapide panorama des œuvres proposées lors de ces deux soirées de P.A.R.T.S.@Rennes.
En préambule, il convient d’évoquer une œuvre exposée sur le mur dans le couloir qui mène à une des salles de répétition et de spectacle du Garage. Il s’agit d’un travail réalisé par un ancien étudiant de P.A.R.T.S., Cyriaque Villemaux et d’une plasticienne Julie Kowalczyk[1]. Ils se sont associés pour créer, dans un grand format carré de 1,5 m de large environ, une sorte bande dessinée expérimentale, sans queue ni tête, sans haut ni bas, agençant mots et images sur le modèle du cadavre exquis. On y voit des personnages indéfinissables, avec parfois de minuscules têtes découpées dans des photos, qui tiennent des propos insensés et circulent dans le plus grand désordre dans un paysage parsemé de collines. L’œuvre tire parti des expériences surréalistes et des audaces de l’Art Brut.
The Breakfast Club (2012)
chorégraphie, texte et interprétation : Bryana Fritz & Christoffer Schieche
Cette pièce hybride danse, poésie et théâtre d’objets. Un garçon, une fille, une table, une écharpe, une dizaine de verres. Tout un univers de potentialités ! Un couple porte des toasts au passé et à l’avenir, en voyageant dans le temps et l’espace, positionnés sur de simples verres. Ces verres au comportement imprévisible qui freinent au lieu de glisser, qui glissent au lieu de freiner, maintiennent nos gais lurons dans des équilibres précaires et déterminent le style chaloupé de leurs déambulations erratiques. Pourtant, jusqu’au bout du chemin, le couple conservera sa cohésion, et sa dignité !
Swimming room
chorégraphie et interprétation : Hagar Tenenbaum
Dans ce solo, Hagar Tenenbaum commence par déclamer un texte énigmatique entrelaçant des références à l’organique et à la mécanique. Ce même texte va devenir un programme d’actions, car lorsqu’il sera dit de nouveau, cette fois, la danseuse l’interprétera, l’illustrera, le mimera, dans toutes ses phases, avec des mouvements qui adhérent véritablement, au plus près, au sens des mots. À l’issue du spectacle, impossible de savoir si les mouvements dansés ont engendré le texte où si les mots ont initié la danse.
Wilhelm Scream
chorégraphie et interprétation : Inga Huld Hakonardottir & Rosa Omarsdottir
Un son, associé d’habitude à une image violente (coup de fusil, marteau qui frappe, grattement strident, etc.), induit à distance une souffrance, dans un conditionnement pavlovien. Que se passe-t-il quand deux danseuses, aussi habiles à produire toutes sortes de sons avec des instruments de fortune qu’à mimer les affres de l’agonie, se livrent à un affrontement sans pitié, par sons interposés ?
« May I ? »
chorégraphie : Ben Van Buren, interprétation : Erik Eriksson, Bryana Fritz, Ben Van Buren, Kathryn Vickers, musique Fun home par Ben Van Buren, extraits d’Evangeline (1874), arrangés et enregistrés par Ben Van Buren, Bass par Ben Van Buren
Travestissement, déguisements, grimaces et contorsions grotesques définissent le spectacle chorégraphié par un américain, mais dont l’humour et le côté carnavalesque évoquent parfois le théâtre de Michel de Ghelderode comme la bande dessinée belge.
chorégraphie : Krišjānis Sants, danse : Kathryn Vickers, Erik Eriksson, Jeanne Collin, Balazs Busa, Roman Van Houtven, Jason Respilieux, Krišjānis Sants , musique originale Laima Jansone
Cette pièce s’inspire de la culture lettone et tout particulièrement de son tissage traditionnel. Elle rend hommage à la danse folklorique, avec notamment une ronde accompagnée d’un chant mélancolique interprété en direct par les danseurs, qu’elle déplace dans un univers plus contemporain. Progressivement le chœur se disperse en individualités éparses qui vont se lier de nouveau symboliquement les unes aux autres en formant des boucles dans l’espace.
Race CaR
chorégraphie et interprétation : James McGinn & Tiran Willemse, musique Samuel Barber, George Friedrich Händel
Deux danseurs disposés en deux lignes parallèles se livrent à une sorte de compétition amicale. Qui va être le plus brillant, le plus, beau, le plus éloquent, le plus émouvant ? Ce duo interroge le brio de la technique. Que faire quand on sait tout faire ? Quand on maîtrise tous les répertoires du dance jazz au ballet classique en passant par le hip hop ? Quand n’existe-plus que les limites que l’on s’impose à soi-même ? Les deux danseurs enchaînement avec la plus grande assurance d’innombrables et d’innombrables mouvements, avec une célérité croissante. Au moment où le spectateur, saturé d’informations, commence à se lasser de contempler cette succession de propositions brillantes, cet excès démonstratif, les deux danseurs changent radicalement de répertoire musical et finissent étonnamment par parvenir à susciter une émotion véritable! La fin justifie les moyens !
˝Oh, Fellia!˝
chorégraphie et interprétation Kinga Jaczewska & Alma Toaspern, musique ¿Porque Senor ? du dueto Alma, Goldberg variations 6 & 21 de Jean-Sébastien Bach (joué par Glenn Gould), Ruhe sanft mein holdes Leben de Wolfang Amadeus Mozart (extrait de l’opéra Zaide)
Cela commence par une adresse au public dans une langue qui n’existe pas, une langue de sorcière, et cela se termine par une joute amoureuse entre deux autistes psychorigides qui freinent leurs élans. Entre les deux tout a été fait pour déstabiliser le spectateur et empêcher votre chroniqueur de faire correctement son compte-rendu ! Voilà une œuvre iconoclaste dont éclectisme n’a d’égal que la fantaisie !
Empire
Direction Taha Ghauri, création et interprétation Balazs Busa, Andras Deri, Erik Eriksson, Taha Ghauri, Ben Van Buren, Thomas Vantuycom, musique Bring me the Horizon, August Burns Red, Metal Gear Solid
La vie d’un gang au jour le jour, son code d’honneur, ses combines, sa hiérarchie, ses intrigues, ses règlements de comptes, ses propos outranciers, etc. Quand l’univers de Franquin et de Tarantino se conjuguent sur fond de neo-metal, cela donne une comédie musicale furieusement déglinguée à l’énergie contaminante.
Si l’intégration de la voix dans la danse est récurrente dans presque tous les spectacles présentés lors de ces deux soirées – nouveau questionnement – des pièces comme Swimming room ou Empire se situent véritablement aux antipodes, et ainsi P.A.R.T.S. semble permettre aux tempéraments les plus divers de s’exprimer et les assiste « dans leur épanouissement en tant qu’artistes créateurs autonomes. »
À l’issue des deux soirées, spectateurs, danseurs amateurs et professionnels se sont retrouvés dans la « cuisine » du Garage, dans une ambiance très conviviale, le temps de boire un verre de vin ou… une soupe au potiron! Ainsi de jeunes élèves du conservatoire de Rennes, quelque peu intimidés, ont pu dialoguer avec leurs camarades à l’orée de leurs études en Belgique. Précisons que la langue officielle de l’école P.A.R.T.S. est l’anglais, et que souvent les discussions alternaient l’anglais et le français. Une des conversations faisait référence à la cohésion de groupe. Si celle-ci est très forte dans les premières années d’étude à P.A.R.T.S., elle a tendance naturellement à s’étioler en fin de cursus à mesure que les étudiants affirment leurs personnalités, se spécialisent dans leurs pratiques et définissent leurs projets individuels. Ils ne se regroupent plus alors que par toutes petites unités dans le cadre de recherches collectives. Ainsi, ce voyage de fin d’études s’est avéré pour ces danseurs une opportunité de recouvrer des sensations qu’ils avaient pu connaître lors de leurs débuts à P.A.R.T.S. et de renforcer, si besoin était, ce sens de l’émulation collective, si essentiel dans le monde de la danse.
+ d’infos :
http://www.museedeladanse.org/events/partsrennes
http://www.parts.be/fr
http://www.scoop.it/t/musee-de-la-danse-press
[1] Ajoutons que le couple de créateurs a en outre octroyé le 25 novembre un cours de danse aux amateurs du Musée de la Danse, dans le cadre du programme Gift, où se succédèrent des scènes théâtrales aussi débridées que jubilatoires. Le 16 décembre, lors d’un autre Gift, c’est l’ensemble des étudiants de P.A.R.T.S., qui suggéra notamment la création d’une multiplicité de débuts de pièce, d’amorces de spectacles, dans une ambiance très festive.
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Keersmaeker et P.A.R.T.S.@Rennes : l’école de danse belge dévoile ses talents