Piliers de la famille, garantes des valeurs, gardienne de la culture et des traditions: l’importance des femmes dans les sociétés algérienne, marocaine et tunisienne n’est plus à démontrer. Si cette opinion est largement répandue en occident, il en est tout autrement dans certains médias maghrébins qui véhiculent une image rétrograde et trompeuse de la femme. Entre idéologie et réalité, quelle est la part de vérité ?
« Les idéologies s’écrivent comme des vérités et ne s’encombrent pas de la réalité historique ».
Résumé
Quatre auteurs tentent d’apporter un éclairage sur l’image de la femme que la presse écrite, les médias ou le cinéma propagent au Maghreb. Entre analyse, décryptage et état des lieux, les approximations et les représentations erronées tombent les unes après les autres sous la plume sans complaisance de Zakya Daoud, Hédi Khélil, Ghania Mouffok et Pierre Vermeren, sous la direction de Khadija Mohsen-Finan.
Un essai instructif, mais inégal
En replaçant la femme dans le contexte social et politique actuel, les auteurs dénoncent la manipulation dont font preuve les médias en imposant une image uniforme, tronquée et dévalorisante de leurs compatriotes féminines.
Ainsi, l’excellent texte de Ghania Mouffok est un réquisitoire limpide et éloquent, décodant avec finesse les dérives subtiles ou les techniques grossières utilisées de la presse écrite algérienne. Oscillant entre la prostituée pervertissant de jeunes hommes et la victime de violence conjugale, l’image de la femme est le reflet des désirs plus ou moins conscients d’un pan de la société algérienne : renvoyer les femmes à leur condition d’épouses soumises, de mères dévouées ou de jeunes filles sages. Pour une certaine presse algérienne, et sous couvert d’éloges, le message est clair : la femme doit rester à sa place et continuer d’incarner la bienséance rassurante au service de l’homme et de la famille. Ghania Mouffok réussit brillamment sa démonstration dont le propos est toujours étayé et circonstancié, le verbe haut sans tomber dans le pamphlet féministe.
La situation n’est pas plus glorieuse au Maroc, en témoigne Zakya Daoud qui met en exergue nombre d’incohérences et d’ambivalences entre la réalité et l’image proposée par les médias de son pays. Si on peut regretter un certain manque de profondeur dans l’analyse et un fil conducteur malmené, le lecteur novice y trouvera matière à réflexion et une grille d’analyse intéressante.
En revanche, malgré la qualité littéraire indéniable et la pertinence des critiques cinématographiques, la compréhension de la façon dont le cinéma tunisien travestit – ou non – la réalité est plus énigmatique, à moins de bien connaître à la fois le cinéma maghrébin et la condition féminine tunisienne.
De même, on s’interroge sur la pertinence de l’essai de Pierre Vermeren. Il traite de l’émergence d’une catégorie de femmes diplômées qui accède aux postes à responsabilité dans un recueil traitant de l’image de la femme au Maghreb. Toutefois, cela n’enlève rien à la teneur instructive du texte.
A conseiller si…
… l’histoire des femmes est au centre de vos intérêts. Il est rare de trouver des textes écrits par des femmes maghrébines sur les femmes maghrébines, avec une franchise salutaire. La femme arabe s’en trouve grandement réhabilitée et les Marocaines, Algériennes et Tunisiennes vont peut-être cesser d’être comparées aux Égyptiennes parées de tous les mérites.
Extrait :
Entre lucidité et ironie à peine voilée, Ghania Mouffok lève le voile sur quelques impostures avec un savoureux sens de la formule:
[…] les forces de sécurité [algériennes] ont eu à combattre par les armes une rébellion islamiste armée. C’est cet adversaire, “les islamistes”, qui paradoxalement rend nécessaire l’émergence des “femmes algériennes” comme symbole de la résistance à leur projet : créer un État islamique. […] Combattre l’islamisme armé va devenir synonyme de sauver les femmes algériennes. Cette bataille médiatico-idéologique omettra de préciser que les “femmes algériennes” n’étaient pas les dernières à adhérer au projet islamiste, mais à la guerre comme à la guerre… […] Comme chacun sait, les idéologies s’écrivent comme des vérités et ne s’encombrent pas de la réalité historique.
Hélène