Graine d’avenir > Kokopelli veut-il libérer le vivant ?

Bon nombre de jardiniers amateurs ont acheté un jour un sachet de graine et récolté la saison suivante des graines issues de cette plantation en les donnant parfois à son voisin ou à un ami. À l’image du problème de la « copie privée » pour la musique, cette pratique pourrait se voir remise en cause. Kokopelli versus Baumaux.

Kokopelli est une association installée à Alès, dans le Gard. Elle compte 5200 adhérents – jardiniers, amateurs ou institutionnels – et propose plus de 2 000 variétés de semences de plantes et variétés potagères à cultiver et à préserver (semences de nombreuses variétés anciennes). À l’heure de la monoculture extensive et des OGM, cette association est sous le coup de décisions judiciaires l’opposant à Graines Baumaux, un semencier français qui a vu le jour à Nancy en 1943. La pomme de discorde : l’association vendait des graines potagères anciennes ou de collection à des jardiniers amateurs, similaires pour 233 d’entre elles aux produits commercialisés par Baumaux.

Le 12 juillet 2012, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu son verdict : contre l’avis de son avocate générale, sa présidence considère que l’Europe a raison d’imposer l’obligation de ne commercialiser que des semences de légumes recensées dans des catalogues « officiels ». Encore faut-il rappeler que Kokopelli commercialise des semences, mais a surtout pour objectif de sauvegarder la biodiversité et permettre aux paysans du tiers-monde de cultiver des variétés anciennes ou traditionnelles en leur envoyant des centaines de milliers de sachets de graine chaque année.

Cela étant, le terme de ‘catalogue officiel’ regroupe des compilations multiples, comme le Catalogue officiel français des espèces et variétés créé en 1932 et géré en France par le Comité technique permanent de la sélection (CTPS). Les graines de Kokopelli pourraient donc être prises en compte par le CTPS qui dépend du ministère de l’Agriculture. Ce n’est pas le cas. Est-ce parce que l’association Kokopelli n’a été créée qu’en 1999 ou parce que le CTPS est présidé par Paul Vialle, également président de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), cette même agence qui affirme que les OGM sont sans aucun risque pour la santé ? L’association livre son explication. On notera par ailleurs que le CTPS réunit également des membres de l’Association Générale des Producteurs de Maïs (AGPM) proche de la FNSEA et des organismes comme l’Arvalis, chantre de la monoculture intensive et de « l’agriculture technologique performante ».

Officiellement, ce qui est reproché à l’association est d’animer une boutique à destination des jardiniers français et, donc, d’entrer en concurrence avec les grands semenciers. L’étude des comptes de l’association devrait permettre d’acter si oui ou non ladite boutique sert à financer des actions caritatives et autres dons aux pays pauvres ou, au contraire, poursuit un enrichissement dissimulé ou le développement d’une activité purement commerciale.

Mais derrière ce nécessaire examen, un autre enjeu se tapit : la question de la concurrence. Notamment celle pratiquée par les grands semenciers qui investissent massivement les pays du tiers-monde avec des semences en partie génétiquement modifiées. Autrement dit, c’est le concept même de ‘concurrence’ qui est biaisée tant il renvoie à une ‘graine’ et à un rapport à la ‘graine’ qui diverge selon les points de vue. Pour les uns, les habitants des Indes ou de l’Afrique sont de vils ‘copieurs’ ; pour les autres, notamment ces agriculteurs indiens, africains ou amazoniens, ils ne font que réensemencer des graines qui existent depuis des siècles dans la nature, autrement dit qui appartiennent à l’humanité.

Bref, développer des semences et breveter de l’ADN sont une chose ; et cela présente un coût que tout semencier souhaite légitiment compenser par des ventes. Toutefois, breveter des espèces ancestrales est-il légitime ? Certes, certains argueront d’une amélioration apportée, d’une plus-value. Mais, en suivant ce raisonnement, pourquoi ne pas breveter l’ADN humain et le fait de se reproduire afin de faire payer à des parents un droit de naissance pour tout enfant qui nait ?

Ne serait-il pas temps qu’une instance supranationale soit instaurée – à la manière de l’UNESCO et sa liste du patrimoine de l’humanité – afin de répertorier toutes les semences appartenant au « domaine public ». Quant à la conservation et la diffusion de ces semences, son coût pourrait être assuré par des ventes (à prix quasi coutant), des subventions et des taxes sur d’autres semences. Dans le cas contraire, arrêtons une fois pour toutes le baratin qui consiste à dire que l’on veut aider les pays pauvres à s’en sortir. En dehors de tout cadre, le combat de Kokopelli versus Baumaux risque de durer et de se reproduire ailleurs encore et encore.

Dans une veine proche, à Svalbard en Norvège, il existe une réserve mondiale de semence qui a été inaugurée en 2008. C’est le gouvernement norvégien qui a financé l’opération de construction. Et c’est le Global Crop Diversity Trust qui le gère sous l’égide des Nations Unies. Bill Gates y a investi plus de 20 millions de dollars par l’intermédiaire de sa fondation. L’objectif : préserver le vivant et la biodiversité au regard de potentiels « accidents ». Entendons-nous bien, il ne s’agit pas de  lutter contre le brevetage du vivant. Dès lors, que se passerait-il si une semence brevetée disparaissait de la terre à l’exception de cette réserve, laquelle deviendrait la seule à pouvoir la fournir ? Nul ne le sait. Une question qui, comme sa perspective, semble bien stérilisante…

Didier Ackermann et Nicolas Roberti

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