Les 25 et 26 février dernier, le résultat d’une expérience pour le moins aboutie a été livrée au public de Rennes. Le spectacle présenté est un métissage de danses – le krump et le break – chorégraphiés à la manière de la danse contemporaine. Quatre krumpers, un breaker et deux chorégraphes de danse contemporaine se sont rencontrés et ont créé Krump’N’Break Release.
Ana Pi, danseuse contemporaine, présentait il y a quelques mois une conférence dansée sur les danses urbaines. Elle y disait qu’à sa connaissance le krump est la danse qui engage le plus le corps.
Depuis 35 ans que la culture hip-hop est implantée en Europe, tout le monde a vu au moins une fois dans sa vie à la télévision ou dans la rue un spectacle de ce mouvement. La danse hip-hop regroupe les figures dansées debout. La célébrissime Moonwalk de Michael Jackson en est un exemple. La breakdance réunit les figures au sol. Le krump – acronyme pour Kingdom Radically Uplifted Mighty Praise* – né au début des années 90 après les émeutes qui enflammèrent les quartiers pauvres de Los Angeles jouit d’une audience bien moindre. Le film Rize de David LaChapelle a quelque peu contribué a faire connaitre le mouvement dans le monde, ainsi en France lors de sa diffusion sur la chaine Arte. Toutefois, le krump demeure assez confidentiel et Krump’N’Break Release a été créé pour que le public des théâtres s’empare de cette danse.
Le krump est dès sont origine une danse composée de sources multiples : le hip-hop, mais aussi le classique, la boxe et les danses guerrières des tribus d’Afrique comme lorsque les danseurs font vibrer le sol de leur pied à plat pour se nourrir de l’énergie de la terre et pour impressionner ceux qui en sont témoins. Les tensions extrêmes dans le corps le réveillent et l’engagent encore plus. La puissance est telle que l’authenticité du ressenti profond des danseurs ne peut pas se soustraire à la danse . Malgven Gerbes qui a chorégraphié le spectacle aux côtés de David Brandstätter déclarait que lorsqu’elle étudiait la danse contemporaine, elle ressentait une gêne profonde quant au fait qu’on lui demandait d’imiter le professeur puis le chorégraphe et se félicitait que cette époque soit révolue. C’est probablement là que le krump et la danse contemporaine se rencontrent : Emilie Ouedraogo Spencer explique que le krump est très codé, mais qu’il tient plus à l’interprétation du mouvement par le danseur. Il y incorpore les sentiments que celui-ci déclenche en lui, la colère, voire la haine, mais aussi la joie, l’amour. Waldo Pierre confie : « C’est vraiment cet amour que l’on partage pendant les sessions. »
Au départ, le krump se dansait dans la rue entre personnes de même culture. Les quatre krumpers et le breaker se partagent le plateau, se hypent (s’encouragent), se défient et surtout partagent l’espace dans la danse en se montrant tour à tour leurs figures. Les chorégraphes ont ponctué de séquences filmées les démonstrations entre danseurs. Ces séquences montrent les danseurs un à un, en gros plans, se présenter, dire ce qu’est le krump pour eux. Cette adresse va au public du théâtre assis et non debout comme dans la rue. Elle va faire le lien entre les deux pratiques – danse de rue, danse contemporaine –, les deux dispositifs – rue, théâtre – jusqu’au point de jonction quand Raphael Hillebrand propose au public de se lever pour un workshop express. Prendre conscience de sa colonne vertébrale. Une porte d’entrée vers la prise de conscience du corps souvent laissé pour compte. Le public expérimente ainsi les premiers pas qu’ont faits avant eux les danseurs qu’ils regardent. Un spectacle comme une invitation réciproque entre deux mondes qui ne se côtoyaient pas et la démonstration que la réponse est positive.
(*) Aucune traduction ne fait l’unanimité. On pourrait dire : l’éloge (Praise) puissante (Mighty) élevée (Uplifted) en royaume (Kingdom) ou royaume de l’éloge élevé avec puissance.
ENTREZ DANS LA DANSE……..
Raphael Hillebrand : « J’ai commencé la danse avec le locking, le popping, le BBoying, toute la culture hip-hop. Tous ceux qui ont créé le Krump viennent du hip-hop. Pour moi, toutes ces danses partent de la poitrine comme celles des années 70. Le krump est du hip-hop dur, mais c’est du hip-hop. Cette danse vient de ces gens qui n’ont pas eu tant de chance et qui disent avec elle “malgré tout, nous sommes là, nous l’avons fait, nous avons des choses à vous montrer”. Quelque chose est né de cette misère, de ces gens qui apparemment n’ont rien et pourtant qui ont des tripes. C’est très important pour moi toutes ces danses qui sont là pour nous faire nous lever, nous élever. C’est tout un phénomène, un pan de l’histoire qui est derrière le krump, pas uniquement un fait divers que quelqu’un a raconté dans un film (Rize de David LaChapelle) et que quelqu’un encore à adapté en un spectacle de théâtre. C’est bien plus que cela : il y a quelque chose de très politique dans ce mouvement même si les gens qui l’ont initié ne l’ont pas fait consciemment. »
Emilie Ouedraogo Spencer : « Je connaissais déjà le krump quand j’ai vu Rize. J’ai commencé à krumper avec des amis qui habitaient le même quartier que moi. J’ai côtoyé leur cercle pendant un an. Mais avant que je saute le pas vers la découverte de la signification du krump, je les prenais pour des fous, des exilés de la société, pour des personnes à problèmes et je comprends que l’on puisse penser que le krump est proche de la transe, mais il y a tout un cheminement pour arriver à ce stade-là. L’observation de toutes ces personnes m’a amené à comprendre tout ce qui émane d’eux. Je me suis rendu compte de la diversité dont ils témoignent, qui est à l’image de la diversité que l’on trouve dans le monde. On peut reconnaître les particularités de chaque personne, sa façon d’être. Le krump offre la possibilité de raconter vraiment qui on est. J’y ai trouvé vraiment ma parole. Le corps offre des capacités d’expressions qui sont propres à chacun d’entre nous. Les femmes y ont leur place, car comme tout part du corps, une femme ne danse pas comme un homme et un homme ne danse pas comme une femme. Chaque personne est vue sous le prisme de sa spécificité. Le développement des mouvements de base va permettre à chacun d’exprimer sa personnalité propre. Un corps ne danse pas comme un autre. Chaque ressenti est différent et du coup son expression. Pour le même mouvement, l’un va faire appel à sa colère, un autre à sa joie et un autre sa tristesse, etc. »
Waldo Pierre : « Moi, j’étais quelqu’un d’hyperactif, je ne savais pas vraiment où me caler, où me placer. J’aimais bien le break ou le hip-hop, mais je ne pouvais pas vraiment rentrer dedans. Le krump était quelque chose qui m’allait. J’ai vu que je pouvais mettre des sentiments dans l’énergie, la puissance et l’expressivité du krump : la colère ou la joie. On se montre nos pas et c’est très motivants. Quand j’ai vu le film Rize de LaChapelle, au début, je me moquais un peu, je me demandais ce que c’était que cette danse où les gens me semblaient faire n’importe quoi. Je n’y comprenais rien. J’ai commencé par l’autre partie du krump : le clowning. J’ai rencontré Kris et j’ai vu qu’il ressentait autre chose. Il était à fond dans sa danse. Il la vivait de l’intérieur. J’ai essayé et j’ai vu que c’était ce qu’il me fallait. La tension peut faire penser à de la transe, mais la différence essentielle est que tout est contrôlé. Dans Rize, on voit des gens dans des états de transe, qui s’évanouissent. Mais la danse a été structurée depuis. Il y a des niveaux d’intensité dans le torse quand on danse, des structures et des bases précises. »
Projet, hip Malgven Gerbes, David Brandstätter /Danse, collaboration Alan Page, Waldo Pierre, Anthony Jean, Emilie Ouedraogo Spencer, RaphaeHillebrand / Conseils Dramaturgie Howard Katz / Vidéo Christoph Lemmen, Malgven Gerbes / Création Lumière Bruno Pocheron, Ruth Waldeyer / Technique lumière Claire Terrien / Musique Jim Sert, David Brandstätter
Etant moi-même une descendante d’une des familles (famille Brisou) et habitant tout près de ce parc si agréable à traverser, je peux vous dire que je suis très émue par l’article ci-dessus. J’y passe très souvent en allant voir ma tante, Brisou comme moi et âgée de 96 ans, à la maison de retraite du Clos St Martin et vous devinez que les souvenirs échangés tournent souvent autour de l’histoire de la famille dont les tanneries font partie mais qui sont complétés par les souvenirs des fonderies, Brisou également ! Sises d’abord à Sérigné ( entre Liffré et La Bouexière), elles furent reconstruites à Servon-sur-Vilaine et ne furent fermées dans les années 1960/65.
Et voilà que mon mari (provençal !) et moi avons choisi de venir nous installer à Rennes où par hasard nous avons trouvé un appartement au Clos du Bergoge, rue François Menez, près du séchoir des anciennes tanneries, transformé en appartements pour étudiants. Et nous y sommes très heureux !
Marie José Jourdan-Brisou