CLAUDIE GALLAY LA BEAUTÉ DES JOURS, LA BEAUTÉ DES MOTS

Que faire de sa vie quand on est une femme de quarante ans menant une existence « ordinaire » ? Dans son dernier roman, La Beauté des Jours Claudie Gallay apporte des réponses à hauteur du quotidien. Magnifique.

La Beauté des Jours pourrait être une histoire de train : celle du 18H01 par exemple. Le train dans lequel un homme aux cheveux gris a l’allure d’un professeur. Ou le train suivant, celui de 18H18, dans lequel une femme est souvent couverte d’un chapeau bleu. Mais Jeanne, la quarantaine passée, n’a jamais pris ces trains ni aucun autre. Elle les regarde passer, chaque jour, imagine des mondes, mais préfère rester dans ce qu’elle appelle sa « zone de confort ». Un macaron au parfum différent chaque mardi, un mari tendre et attentionné, deux filles qui vont quitter le foyer, des vacances à Dunkerque, suffisent à son bonheur. En apparence. Et puis « un jour, on relève la tête et on se rend compte que les autres vivent et que nous, on est arrêtés. ». Deux événements vont modifier cet immobilisme et bouleverser des renoncements : un ancien amoureux du lycée revient dans la ville et la redécouverte par le hasard d’une photo de l’artiste serbe Marina Abramovic, auteur de performances « artistiques » qui repousse ses limites physiques et psychologiques.

CLAUDIE GALLAY
Claudie Gallay

« J’ai bientôt passé la moitié de ma vie et je me demande ce que je vais faire de l’autre » s’interroge Jeanne. Plus de quarante ans a priori sans heurts même si ses racines paysannes, auxquelles elle se confronte chaque dimanche lors du repas dominical, révèlent des fêlures. C’est un moment de bascule, celui des bilans et des espoirs.

CLAUDIE GALLAY LA BEAUTÉ DES JOURS

Ce scénario n’est pas nouveau et l’on se prend à rapprocher cette histoire de celle dessinée par Étienne Davodeau dans « Lulu femme nue », histoire ensuite adaptée au cinéma. Quand le dessinateur évoque la fuite modeste vers ailleurs de Lulu, lasse de son quotidien, avec la subtilité de son trait et de ses couleurs, Claudie Gallay trouve les mots justes et simples à hauteur de documentaire, à hauteur de vie d’hommes et de femmes pour raconter une remise en cause personnelle. Dans La Beauté des Jours Claudie Gallay s’inscrit dans la veine de « Les Déferlantes » ou de « Une part du ciel » et n’a pas son égal pour raconter le quotidien, ses rituels – la nécessaire répétition de gestes et de pensées  indispensables pour supporter la vie. Par son écriture, qui emporte le lecteur dans un rythme court et vif, elle comble des vides de nos existences. Même les lieux communs ou les sentences banales énoncés par le beau frère, celui qui est « le plus intelligent », prennent sens et force. Ne se contentant pas de son sujet principal, dans La Beauté des Jours Claudie Gallay ouvre des portes, celle du paternalisme passé, des différences sociales, des ambitions étouffées. Et plus que la redécouverte de l’amour, l’irruption de l’art, de son implication dans la vie, apporte une approche originale à l’histoire. « MA », l’artiste par les risques qu’elle prend, donne envie à Jeanne, d’oser, d’exprimer ses envies, ses rancœurs, de devenir une « autre », celle qui se met à devenir désagréable au guichet de sa Poste, à dire à son père ses mots retenus depuis toujours. L’art devient un instrument de libération.


CLAUDIE GALLAY

Dans « Une part du ciel », le froid et la neige de l’hiver figeaient les passions. Ici l’été et sa chaleur  servent de révélateur comme un volcan en train de naître. Comme souvent chez Claudie Gallay, on retrouve des personnages secondaires bien réels, désespérants parfois, mais le plus souvent attachants. Ils balisent les chemins possibles : Suzanne l’amie désespérée en amour voit clair en Jeanne. Tête Plate un enfant du quartier se révèle moins stupide que prévu. Zoé dans son monde imaginaire dévoile un univers poétique. Ils aident à raconter ce qui a priori n’est pas à raconter, ce qui fait que les événements véritables d’une vie pourraient être contenus dans une seule journée. « Elle le sait, il y a les grandes et les petites choses, les grandes modifient profondément nos vies, les petites ne font que les effleurer, mais les petites nous aident à attendre les grandes. Elles nous aident à les atteindre ».

Dans ce magnifique roman La Beauté des Jours, Claudie Gallay raconte ces « petites choses » pour nous faire grandir . Pour nous aider à prendre le train de 18H01. Ou le suivant. Celui qui part vers « La Beauté des Jours » : un lieu où nous n’osons pas toujours aller.

Claudie Gallay La Beauté des Jours, Éditions Actes Sud, 16 août 2017, 416 pages, 22€.

 

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Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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