L’homme dit qu’il peint des paysages d’oasis, des touaregs, des dunes et des palmiers, à la chaîne, toujours les mêmes tableaux qu’il vend sur internet pour le compte d’une entreprise américaine. Il dit que ça se vend comme des petits pains, les oasis. Le nu, tout le monde s’en fout.
On commence à entrevoir quelle femme est Émilie de Turckheim. De quoi elle se nourrit pour écrire. Les expériences qu’elle tente pour élargir ses horizons. Émilie de Turckheim a été modèle de nu pour des peintres. Bien sûr, ce petit boulot d’appoint est bien utile pour boucler ses fins de mois : mais cette femme étonnante n’a pas choisi d’aller vendre des Hamburgers chez “le clown jaune au nez rouge”. Elle a jeté son dévolu sur un métier d’autant plus inhabituel qu’il met le modèle à nu… dans tous les sens du terme.
Car se déshabiller en public, nous apprend cette jeune écrivain, en révèle long sur sa personnalité, ses failles, ses faiblesses, mais aussi ses forces. Car finalement, ce n’est pas tant le regard de l’artiste qui gêne : on se doute qu’ils en ont vu d’autres. Ôter ses sous-vêtements devant un inconnu qui n’en veut qu’à nos formes et ne se préoccupe ni de notre beauté, ni de notre potentiel érotique est un acte déroutant.
En posant nu, on accepte que sur la toile ou le papier, ce corps qui est le nôtre et qu’on protège jalousement soit réinterprété, torturé, remodelé, décortiqué. Émilie de Turckheim relate ses expériences avec un humour tout en finesse, un recul désopilant sur les événements. Et, toujours, cette sensualité, cette gourmandise qui happe le lecteur, l’enveloppe dans une atmosphère sucrée et envoûtante.
Émilie de Turckheim ne sait pas se prendre au sérieux, quel bonheur! Et il faut une bonne dose d’autodérision pour raconter son premier effeuillage devant l’artiste, ce jour où elle s’est enfuie à moitié dévêtue, ou encore les discussions métaphysiques sur l’existence de Dieu entre un artiste concentré et une femme nue.
On l’imagine dévorant la vie à pleine dent, se délectant de sensations : Émilie de Turckheim possède l’art de transformer le quotidien en une succession d’anecdotes parfois burlesques, tantôt gênantes, toujours décapantes. Comme une invitation à remodeler et repenser sa vie, La femme à modeler relate l’introspection inattendue qu’engendre le fait de poser nu.
Quant aux illustrations de Sylviane Blondeau, elles sont de toute beauté. Le trait est d’une grande finesse et l’abstraction subtilement dosée pour ne pas transformer en pornographie gratuite un érotisme sensuel qui magnifie la femme. Après avoir découvert son travail, on se rêve à son tour modèle pour cette peintre de talent.
La femme à modeler, c’est le fruit d’une rencontre magnifique entre les mots et les images : indispensable!
À conseiller si…
… vous êtes de ces femmes gourmandes qui aiment savourer les livres. Entre l’écriture de l’auteur, les illustrations de l’artiste et les situations truculentes du modèle, les ingrédients sont réunis pour une lecture de toute beauté!
Extrait :
On se régale à chaque page de la plume pleine d’humour et d’autodérision d’Émilie de Turckheim :
Dans le mail envoyé à Joseph – Joseph est le peintre – j’ai menti à chaque ligne. Je me suis ôté cinq centimètres de tour de taille que j’ai restitués, par souci de justice, à mon tour de poitrine. Je me suis vieillie de trois ans pour me donner un peu d’assurance, de bouteille et de courage. J’ai dit avoir déjà posé, de nombreuses fois, pour de nombreux peintres, dans de nombreuses villes, au cours de mes nombreux voyages en Asie et en Amérique latine. Je suis la femme modèle que les artistes s’arrachent même sur la lune.
Hélène
La femme à modeler, Émilie de Turckheim et Sylviane Blondeau, 44 pages, Naive, 14 avril 2012, 8€