Le retour d’un homme-singe après la guerre … Après Varlamov, le Breton Georges Peignard récidive dans le roman graphique muet et offre au lecteur le mystérieux La fin du cuivre. À la croisée de la littérature, de la bande-dessinée et des arts, ce nouvel opus est annonciateur de l’atterrissage d’un nouvel ovni aux éditions Le Tripode.
À l’occasion de la publication de son premier roman graphique Varlamov aux éditions Tripode (2019), la rédaction d’Unidivers était partie à la rencontre de l’artiste Georges Peignard, dans le Morbihan. Cet enseignant à l’École Européenne Supérieure d’Art de Bretagne à Lorient nous avait ouvert les portes de son atelier pour une plongée dans son univers atypique. Un univers fait de sculptures, de maquettes et de peintures, mais essentiellement d’histoires…
« Je me suis levé pour aller voir la lune pierre-ponce sur la plaine et soudain m’est venu à l’esprit le sourire de Gagarine à son retour. Quel sourire ferais-je en retournant chez moi ? Ai-je demandé à haute voix », Antonio Lobo Antunes, Le Cul de Judas (1979).
Le titre est autant mystérieux que révélateur. On peut penser au passé, à l’archéologie. Au cuivre, cette première matière que l’homme façonna au néolithique quand il apprit à maîtriser la métallurgie dudit métal. Mais « la fin du cuivre » ? En opposition à l’Âge du cuivre, Georges Peignard projette-t-il ici la fin d’une ère ?
Avec ce nouveau roman graphique, l’artiste (et le lecteur) renoue avec le format paysage, cette forme horizontale que l’on affectionne particulièrement : elle rappelle les anciens albums photo et peut-être aussi, les livres d’enfants. « Il suffit de les ouvrir [les livres] pour qu’un monde s’ouvre à vous. C’est comme un parallélépipède que l’on sculpte afin de l’ouvrir sur un monde. » Peignard nous plonge cette fois dans un monde au premier abord de science-fiction, mais au final ancré dans une réalité familière…
L’histoire s’ouvre sur ce qui semble être une cabine parachutée sur terre, attirant l’attention d’un serpent qui s’apprête à fondre sur sa proie. Représenté par tous les peuples et à toutes les époques, le reptile ouvre le bal des peintures. Faut-il voir un message de l’auteur dans la représentation de ce symbole de vie et de mort ?
Le personnage principal fait alors son apparition. L’humain brillait par son absence physique dans Varlamov, mais La fin du cuivre le place a contrario au centre. Enfin, une personne en particulier. De retour sur terre après la guerre, un homme-singe se retrouve confronté aux maux et aux obsessions de la société moderne. « Je me suis levé pour aller voir la lune pierre-ponce sur la plaine et soudain m’est venu à l’esprit le sourire de Gagarine à son retour. Quel sourire ferais-je en retournant chez moi ? Ai-je demandé à haute voix. » La citation en ouverture ne semble pas qu’un simple écho laissé au hasard, ce nouvel ovni des éditions Tripode pourrait être une suite possible et imagée à cette phrase issue du roman de science-fiction Le Cul de Judas du Portugais Antonio Lobo Antunes. Dans le livre, un homme y raconte sa descente en enfer dans ce « cul de judas », un joli équivalent pour signifier « le trou du cul du monde » en français, que fut la guerre d’Angola. On retrouve dans les images cette mélancolie des textes du retour de l’auteur portugais. Peignard apporte une réponse. Et que raconte cette mélancolie ?
Elle semble parler d’environnement, de société et d’évolution. Il est également question de voyages, de traversées et d’errances. On ne peut passer à côté de la référence au livre désormais classique, et maintes fois adapté à l’écran, La Planète des singes de Pierre Boule (1963). Trois hommes explorent une planète lointaine similaire à la terre où les grands singes sont les espèces dominantes et intelligentes alors que l’humanité est réduite à l’état animal. La fin du cuivre s’envisage comme une adaptation libre de ce roman de science-fiction. Ce ne sont plus les hommes qui sont les intrus, mais bien l’homme-singe… Ou peut-être se sent-il lui-même comme un intrus et vit son retour tel une marionnette, sans manifester réelles expressions. Mais pourtant, il suffit de regarder l’intensité des yeux pour y apercevoir justement cette mélancolie, cette langueur qui atteindra son apogée dans les dernières pages…
Georges Peignard s’approprie cette satire de l’humanité, de la science et de la guerre et la fait sienne. Mi-homme, mi-animal, le personnage semble le porte-parole de questionnements actuels qui se matérialisent en de puissantes peintures. Les dessins se complètent et créent un miroir entre l’homme et la nature, l’homme et l’animal, l’homme et la société… Mais est-ce l’homme-singe ou l’auteur qui s’interroge ? Le style hachuré et gratté des tableaux de Varlamov laisse place à une peinture plus lisse et aux contours nets. Le traité est différent, mais on identifie aisément l’esthétique et la touche de l’artiste breton : douce, précise et empreinte d’une poésie muette, mais ô combien bavarde. Les images se succèdent tel des instantanés sculptés sur un fond uni de couleur chair. On imagine étonnamment un relief sur la feuille de papier. Mais après tout, rien d’étonnant. Le travail de Peignard est avant tout celui d’un sculpteur dont le savoir-faire façonne chacun de ses travaux.
Étrangement, la lecture de cette bande-dessinée atypique muette se clôt par un texte. Des repères et des souvenirs émergent de la plume de de l’artiste breton. Cependant, il ne serait pas judicieux de s’attarder sur son contenu sans vous laisser l’occasion de découvrir le roman graphique en premier lieu… Après tout, « l’histoire racontée est différente en fonction de chacun », déclarait-il lors de notre rencontre. C’est un fait chez l’artiste, presqu’un leitmotiv. Et c’est certainement de cette manière que doit être appréhendée La fin du cuivre.
La Fin du cuivre, Georges Peignard. Éditions Le Tripode. 80 pages. Prix : 19,00 €
Parution: 22 octobre 2020
GEORGES PEIGNARD NOUS OUVRE SON ATELIER DU MORBIHAN