Avec la Loi de la mer, Davide Enia nous plonge dans l’actualité. Située entre le continent africain (La Tunisie) et l’Europe (Sicile), la petite île de Lampedusa paraît charmante quand on appelle son nom sur les moteurs de recherche. Un petit rocher dans une turquoise… Cela susciterait presque une envie pour aller y goûter le soleil et la mer dans une villégiature tranquille… Oui mais, car il y a toujours un « mais ». Lampedusa, depuis de nombreuses années est devenue tristement célèbre parce qu’elle est une des premières étapes pour les migrants avant d’espérer pouvoir entrer en Europe.
Sous la cendre du temps brûlent les braises du remords.
Qu’ils viennent de Libye, d’Érythrée, du Mali, du Soudan, du Cameroun, femmes, enfants, jeunes gens, vieillards fuient leur terre natale pour tenter d’échapper à la guerre, la pauvreté, la corruption, priant pour que notre continent les accueille et se révèle l’eldorado auquel ils aspirent, l’eldorado qu’on leur a vendu et qui souvent les expulsera : une vie loin de l’horreur, un travail, un toit, un peu de respect, la vie quoi !
Au moment où les uns les autres rentrent de vacances (pour celles et ceux qui ont eu la chance de pouvoir en profiter un peu justement), Davide Enia nous propose un récit, La loi de la mer, qui se déroule dans l’enfer quotidien de Lampedusa. Aucune intention de culpabiliser la lectrice, le lecteur dans sa démarche littéraire, juste le souhait légitime de nous décrire le réel, autant il peut nous surprendre positivement par des rencontres humaines, autant il peut nous terrasser dans nos petites habitudes confortables par la description de ce drame humain qui ne cesse depuis trop longtemps : des bateaux qui coulent chaque jour chaque nuit, des passeurs qui voient en cette situation un business hautement lucratif, des autorités européennes qui, dans leur gestion, ressemblent davantage à une tour de Babel plutôt qu’humainement coordonnées. Et ce, malgré le travail conséquent de la Croix-Rouge, des sauveteurs, des pêcheurs de la zone.
Mais ce serait limiter le récit de Davide Enia à ce seul exode de malandrins souvent destinés à la mort, à flotter sur la Méditerranée, à finir bouffés par des crabes et des poissons, à terminer démembrés par la force des courants et du sel… Ce serait limiter les rives de la petite île de Lampedusa à voir s’amonceler de petits cadavres que l’on entasse avant de les ensevelir dans des fosses communes quand on en a le temps.
La Loi de la mer est aussi l’occasion pour l’auteur d’un retour dans cette île, témoin de ses escapades de gosse, d’adolescent, avec son père, cardiologue à la retraite, chez des amis proches, l’accompagnement de son oncle Beppe, en proie à un cancer généralisé. Même au cœur du pire, Davide Enia nous décrit une époque heureuse, des moments intenses, ceux de l’innocence, ceux du partage, le tout écrit avec une poésie et une pudeur remarquables. Des pages d’humanité.
Une histoire dans l’Histoire. Pendant plus de trois ans, l’auteur a rencontré tous les acteurs (habitants, secouristes, exilés, survivants) qui forment la chaîne vivante d’un livre puissant et singulier. Si tout a été dit sur le drame des migrants de Lampedusa, rien n’a été dit. On est aux antipodes des images choc choisies qui tournent en boucle sur les chaînes d’infos en continu. Au plus proche de l’urgence de la réalité, toutes les questions sur le sens et la fragilité de l’existence sont posées.
La loi de la mer, un roman de Davide Enia, Éditions Albin Michel, 230 pages. Parution : 6 septembre 2018. Prix : 18,00 €. Traduit de l’italien par Françoise Brun. PRIX MONDELLO 2018
DAVIDE ENIA
Acteur, metteur en scène et dramaturge, Davide Enia commence à écrire en 1998. Lauréat de nombreux prix qui ont récompensé son travail théâtral, il a vu ses pièces publiées en Italie
chez de prestigieux éditeurs. Son premier roman Sur cette terre comme au ciel (Albin Michel, 2016), unanimement salué par la presse, a remporté le Prix du Premier Roman Étranger.