La Marche brisée #12, Anna-Maria Le Bris, Francesco Ditaranto

La Marche brisée est une série work in progress créée à quatre mains par Anna-Maria Le Bris et Francesco Ditaranto. Elle fait partie des deux projets retenus par Unidivers au titre de l’Appel à projets artistiques 2015.

 

La Marche brisée#12

Cher Professeur,

Je dois vous annoncer une terrible nouvelle. Je préfère vous écrire : il aurait préféré comme cela ; j’en suis sûre.

Mon père est mort. Il y a deux jours. Il s’est fait tuer, dans son appartement, par l’un de ses patients – Pascal, dont il m’avait plusieurs fois parlé. Je crois qu’il ne s’attendait pas à cela. Surtout de sa part. Ils étaient très proches, selon mon père.

Vous le saviez peut-être : je l’attendais à Paris pour l’enterrement de ma grand-mère, mardi dernier. Il m’avait prévenu qu’il serait arrivé en fin de soirée. Le matin, au cimetière, il n’était pas là et j’ai commencé à l’appeler chez lui, puis à son bureau, sans réponse de qui que ce soit. J’ai appris sa mort quelques heures après, quand ma mère a été contactée par la police. Elle m’a seulement dit qu’il était arrivé quelques chose de grave à mon père et nous avons quitté Paris aussitôt. J’avais compris qu’il était mort, même si, quand je lui ai posé la question, ma mère a nié. Mais elle pleurait derrière ses lunettes de soleil.

Nous sommes arrivées hier midi. Des policiers nous ont interrogées à propos de la vie de mon père. Ma mère ne savait presque rien de lui désormais. « Nous sommes séparés depuis six ans. Il n’y avait plus une relation si forte que cela », leur a-t-elle tristement murmuré.

De mon côté, je les ai informés de ma visite ici, il y a quelques semaines seulement. J’ai confirmé l’enthousiasme de mon père quant aux résultats avec ce patient. Il m’avait mentionné ses espoirs dans le changement de son traitement ; quand j’étais chez lui, ainsi qu’au téléphone. Les policiers m’ont alors questionnée à propos d’une femme, une certaine Cecilia, assassinée un jour avant mon père. Je ne la connaissais pas et – je ne sais pas pour vous – je n’en avais jamais entendu parlé.

Ils nous ont alors expliqué que mon père avait été poignardé après une violente dispute avec son patient. Pascal, en garde à vue, avait avoué son crime. D’après les policiers, « cet individu imprévisible et violent » l’aurait tué car il était persuadé de la responsabilité de mon père dans la mort de cette femme.

« Il affirme avoir été renseigné par le collègue du Docteur Calvez, Mr Neuille, au moment de son internement il y a deux jours. Puis il s’est échappé du Centre, s’est caché et a attendu le retour du Docteur dans son appartement pour le tuer », nous a dit l’officier de la police.
« Je tiens à préciser que cet homme est également le seul soupçonné pour l’homicide de la prostituée. Vous comprenez bien qu’il pourrait très probablement mentir. C’est un déséquilibré. Un fou.»

Nous sommes sorties de l’Hôtel de Police, en écartant deux journalistes. Ma mère désirait visiter l’appartement de mon père. Je l’ai attendue dehors : elle a refusé que je l’accompagne.
À son retour, elle m’a ramené une lettre que mon père n’avait pas terminée. La police nous a autorisé à la prendre.

Elle vous était adressée, professeur. Il vous aimait beaucoup. Je vais recopier les quelques lignes ici, en bas. J’espère que cela ne vous embêtera pas si je la garde.

Cher professeur,
Je n’ai pas réussi à trouver Pascal et je n’ai aucune nouvelle de lui.
J’ai aussi raté mon train pour Paris. Je dois trouver le courage de l’annoncer
à Charlotte.
Depuis quelques jours, je ne cesse de me demander :
Qu’est-ce que nous sommes ? Sommes-nous des médecins ?
Qu’est-ce que la psychiatrie ? Et la folie ?
Moi, je n’en sais rien.

L’enterrement aura lieu samedi à Paris.

Mes meilleurs sentiments,

Charlotte Calvez

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