Il était nécessaire de patienter quelque temps avant même de poser sur le papier les premiers mots d’une chronique à propos de La vie secrète d’Elena Faber. Parce qu’on n’écrit pas sous les larmes, parce qu’on n’écrit pas sous l’émotion la plus vive, au risque de se perdre, de perdre le lecteur et d’écorner l’oeuvre de l’artiste.
Mais peut-être qu’elle a raison, et que c’est exactement ce que je fais : laisser l’histoire d’amour d’une inconnue m’obséder pour ne pas penser au désastre qu’est devenue la mienne.
La lecture du roman de Jillian Cantor m’a rappelé celle il y a une dizaine d’années de Elle s’appelait Sarah, Tatiana de Rosnay, lecture débutée en français, poursuivie en anglais parce que trop difficile psychologiquement.
Il était nécessaire de laisser retomber les passions, de prendre un peu de recul. Parce que ce qui touche à la destruction de l’Humanité, de l’Homme, des enfants (la Shoah) demeure insupportable et pourtant primordial à aborder régulièrement pour ne jamais oublier. (même si d’aucuns cyniques se réjouissent d’images captées dans nombre de pays qui sont au quotidien la scène de théâtre d’exactions en tout genre).
Feuille à feuille, l’histoire se déroule à Los Angeles dans les années 1990 et simultanément en Autriche au moment de l’Anschluß en 1938 et de l’époque terrible qui va suivre la Nuit de Cristal. Étrange, penseront d’aucuns de pouvoir raconter une histoire sur plusieurs époques en même temps. Magie et subtilité de l’auteure comme de la littérature qui met en scène de multiples personnages que les époques, les décennies, les drames, l’horreur séparent et malgré tout peuvent rassembler. Pourquoi ? Parce que tout est lien. Parce que nous sommes tous dépendants les uns des autres, parce que les générations qui se suivent sont liées quoiqu’on le souhaite, quoiqu’on le refuse, quoiqu’on le nie.
Le timbre est à l’envers… C’est ça qui est inhabituel ?
— Non, répond Benjamin. C’est un message.
— Un message ?
— Ça se faisait beaucoup. L’emplacement et la position du timbre avaient une signification. Il existe toute un langage des timbres.
— Un langage des timbres ? Je l’ignorais…
— Le coller à l’envers signifie “Je t’aime”.
Autriche, 1938. Kristoff, un jeune orphelin viennois, est apprenti chez Frederick Faber, un maître graveur, créateur de timbres. Il tombe amoureux de sa fille, l’intrépide Eléna, avec laquelle il s’engage dans la résistance autrichienne. Mais tous deux sont bientôt pris dans le chaos de la guerre…
Los Angeles, 1989. Katie Nelson découvre dans la maison familiale une riche collection de timbres ayant appartenu à son père. Parmi ceux-ci, une mystérieuse lettre scellée datant de la Seconde Guerre mondiale et ornée d’un élégant timbre qui attire son attention. Troublée, Katie décide de mener l’enquête.
Feuille à feuille, couloirs après couloirs dans ce labyrinthe qui nous entraîne au cœur du pire, de l’espoir à l’effondrement, de vérités en mensonges, du combat pour la liberté, le respect des uns des autres, la démocratie, la résistance aux bourreaux, Jillian Cantor nous convoque à revisiter l’histoire de quelques-uns qui forment la Grande Histoire, celle de victimes comme de héros presque ordinaires dans une époque troublée. « Qui tue un homme tue l’Humanité ! Qui sauve un homme sauve l’Humanité ! » Parce que tout oublier serait une tragédie pour les vivants et les morts.
Un roman bouleversant et juste. Une plume aérienne et précise. Une démarche humaniste à porter de lecteur en lecteur…
La vie secrète d’Eléna Faber, Jillian Cantor, Éditions Préludes.380 pages. Parution : mai 2018. 15,90 €. Titre original : The lost Letter. Traduit de l’anglais par Pascale Haas.
Lire un extrait : ici
Jillian Cantor est diplômée d’anglais. Elle est née et a grandi dans la banlieue de Philadelphie et vit actuellement avec son mari et ses deux enfants dans l’Arizona. La Vie secrète d’Elena Faber est son premier roman traduit en France.