Prix Fénéon en 1985 pour Le Tsar Hérode, Laurence Guillon publie Lueurs à la dérive, un roman dans lequel l’humble justesse de son affection pour la Russie et l’âme slave peut déployer ses trésors de ferme délicatesse. Conte plein d’une douloureuse joie, Lueurs à la dérive mérite bien d’être décrit comme une sorte de Reine des neiges au pays du Goulag.
Sans être jamais abêtissants, le récit et le style de Lueurs à la dérive sont naïfs. Forgés dans cette innocente naïveté qui sauve, qui fait les grands humbles, les grandes âmes compatissantes, en un mot les grands saints. Car, oui c’est sur cette voie inouïe et incroyablement douloureuse que les deux héros écrits par Laurence Guillon sont appelés. Dima et Nadia, 15 ans et 12 ans, vont se rencontrer contre toute attente eux que tout tenait éloignés, la pureté, la foi et l’amour innocent vont les rassembler, les unir envers et contre tous, envers et contre toutes les instances de mort qui, pourtant, sont précisément celles qui auront précipité leur union.
Nous sommes en Russie au début de la Seconde Guerre mondiale, le régime soviétique sévit depuis plusieurs années, il a rasé dans les paysages et les âmes des siècles d’histoire et de liens, s’il a libéré de bien des oppressions il n’a pas su longtemps retenir les ravages inhumains que ne manque pas d’invoquer à la surface de la terre la libération brutale des instincts humains trop longtemps et faussement contenu. Si tout se vaut alors rien ne vaut… Pour rétablir un semblant d’ordre l’organisme social se fait plus bestial encore, plus resserré, plus réactionnaire et concentrationnaire jusqu’à étouffer toute étincelle de vie sous le gel lourd et gris de son envie égalitaire. C’est moins à l’idéologie communiste qu’à son inévitable humanisme bien trop humain que les pauvres héros de Lueurs à la dérive, tous jeunes gens éberlués par la violence aveugle qui s’abat sur eux, vont se voir confrontés : la méchanceté à bas front rendue souveraine, l’immondice humaine sans frein encouragée, encadrée par un système rendu fou de son rejet éperdu de toute humilité, son prométhéisme et sa soif nihiliste d’absolue liberté !
Lueurs à la dérive est un texte poignant, brillant par certains de ses traits, de ses trouvailles descriptives. Un roman illuminé de l’intérieur par une foi simple et enfantine malgré, ou peut-être bien grâce, au monde désespérément gris et froid qu’il décrit. Un roman qui pourrait se lire comme un complément au beau livre de Tatiana Goritchéva Nous convertis d’Union soviétique. Dans ce texte, c’est l’unique nécessaire qui nous est rappelé, pour la vie du monde (ainsi que l’écrivait Olivier Clément en conclusion de sa préface au livre de Tatiana Goritchéva).
Laurence Guillon Lueurs à la dérive, éditions Rod, 2015, 198 pages, 17, 50 €
Née en 1952 à Valence, Laurence Guillon s’éprend de la littérature et de la civilisation russes à l’adolescence. Après des études de russe aux Langues orientales et à Paris VII Vincennes, elle se convertit au christianisme orthodoxe et s’installe en Russie où elle enseignera pendant plusieurs années. De retour en France elle reste en contact étroit avec la Russie, en particulier à travers la page Facebook La Russie vue par les yeux de Thomas, patronnée par la revue orthodoxe Thomas. Aquarelliste et traductrice elle écrit également des icônes. Elle a déjà publié Le Tsar Hérode aux éditions Mercure de France (prix Fénéon 1985) et Ivan l’idiot, conte pour enfants aux éditions Gallimard Jeunesse.