AVEC LE SILLON VALERIE MANTEAU DONNE LA VOIX AUX JOURNALISTES OPPRIMES

Avec Calme et tranquille (Le Tripode, 2016) Valérie Manteau revenait sur l’attentat de Charlie Hebdo, sur cette équipe de journalistes dont elle faisait partie. Mêlant drame personnel et collectif, humour et désespérance, elle parlait déjà d’Istanbul et de son amant turc. Elle reprend la trame avec Le Sillon. Prix Renaudot 2018.

LE SILLON MANTEAU

Installée sur la rive asiatique d’Istanbul, la narratrice enquête sur l’assassinat en janvier 2007 de Hrant Dink, journaliste d’origine arménienne de la revue Agos (Le sillon en français) par un jeune nationaliste turc. Tout comme l’assassinat du journaliste et réalisateur Naji Derf en décembre 2015, ces affaires sont beaucoup moins connues que l’attentat de Charlie Hebdo. L’auteur tient ici à rappeler que l’horreur frappe aussi ailleurs et dans une plus grande indifférence.

HRANT DINK LE SILLON

« Charismatique et infatigable promoteur de la paix », « porte-parole le plus emblématique et le plus exposé de la cause arménienne », Hrant Dink était favorable à une entrée de la Turquie dans l’Union européenne. Après le scandale Sahiba Gökçen (Dink avait écrit dans Agos que cette icône nationale, fille adoptive d’Atatürk, était une rescapée du génocide arménien), il fut définitivement déclaré ennemi public suite à l’interprétation d’un article paru dans sa revue sur l’identité arménienne. Accusé de vouloir nettoyer le sang arménien du « poison turc », il fut sous le joug de l’article 301 du Code pénal punissant l’insulte à l’identité turque.

HRANT DINK

Hrant a ouvert la boîte de Pandore. Il n’était pas comme les autres Arméniens qui avaient vécu toutes ces années sans oser parler. Lui ne voulait plus être du peuple des insectes qui se cachent, de ceux qui ne veulent pas savoir.

Valérie Manteau cite aussi bon nombre d’intellectuels accusés au titre de cet article 301. Elif Shafak, Ohran Pamuk (Prix Nobel de Littérature en 2006), Perihan Magden, Pinar Selek, Necmiye Alpay, Eren Kekin, s’attardant bien évidemment sur Asli Erdogan, accusée de participation à une entreprise terroriste. Dix ans après l’assassinat de Hrant Dink, Asli Erdogan parvient à attirer une attention internationale.

La caisse de résonance de notre époque, des manifestations mondiales des slogans #JeSuis du village planétaire, des réseaux sociaux, des pétitions en ligne donnent sa pleine mesure. Et le fait bien sûr qu’elle soit une femme, très belle, qu’elle porte le même nom que le président, qu’elle prêche un humanisme sans détour et sans agressivité, en fait l’icône de mouvements à la limite de l’idolâtrie.

La narratrice est arrivée à Istanbul en 2013, année de la révolte sur la place Taksim contre la vente à des promoteurs du parc de Gezi, vente validée par le chef du gouvernement, Recep Tayyip Erdogan. Elle en repartira en 2017, deux ans après la rupture du processus de paix au Kurdistan. Dans une auto fiction où elle déambule tant dans les rues d’Istanbul que dans son for intérieur, avec la naïveté d’une étrangère parlant juste quelques mots de turc, la narratrice décrit la jeunesse démotivée, l’insécurité grandissante, la peur des stambouliotes, mais aussi la beauté de cette ville.

ISTAMBULDans un superbe mélange des genres, elle rompt la difficulté d’un documentaire avec l’effleurement romanesque de son amour contrarié pour un homme turc. Elle nous fait partager son coup de cœur pour cette ville, son empathie pour ses habitants qui la touchent et dont elle veut porter la voix.

De ce récit émane un émerveillement pour Istanbul contrastant avec le climat d’intranquillité de ses habitants. Avec ce roman, Valérie Manteau donne une réalité aux voix des morts et des opprimés qui hantent la tête de sa narratrice, qui n’est autre que son alter ego.

Le sillon de Valérie Manteau paru aux Éditions Le Tripode le 30 août 2018, 272 pages. 17 Euros, ISBN : 9 782 370 551 672.

VALERIE MANTEAU

Valérie Manteau, née en 1985 est une écrivain, éditrice et journaliste française. Elle a participé au journal Charlie Hebdo jusqu’en 2013. Elle vit entre Marseille., Paris et Istanbul.

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Marie-Anne Sburlino
Lectrice boulimique et rédactrice de blog, je ne conçois pas un jour sans lecture. Au plaisir de partager mes découvertes.

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