En France, qui dit vacances dit lectures, livres, albums, revues, magazines… Juillet et août constituent la période durant laquelle les Français lisent le plus. D’ailleurs, il suffit de regarder dames, messieurs, demoiselles, jeunes hommes autour de vous : en terrasses, dans les parcs, à la plage, à la montagne, allongés au bord des piscines ou dans les prés, les bras se dotent d’appendices feuilletables ! Cet accessoire non cosmétique de nos intelligences, ce carburant de nos systèmes émotionnels, ce miroir esthétique de nos universelles singularités s’appelle LIVRE ! Unidivers a demandé à François-Régis Sirjacq, fondateur du Forum du livre et du Café littéraire de Rennes, ses dix recommandations de lectures pour l’été 2016. Dont acte.
En attendant Bojangles d’Olivier Bourdeaut
Un vrai coup de cœur… précipitez-vous dessus et si possible en écoutant la musique de Nina Simone ! Une belle histoire de vie et d’amour.
Le narrateur, un petit garçon, dans un monde extraordinaire ; il y aura aussi les carnets secrets du papa qui interfèrent dans le récit… La mère, l’épouse, femme-enfant, femme fantasque dans un monde sans contraintes, son mari l’appelle chaque jour d’un nom différent… un animal domestique original, une grue de Namibie , Mlle. Superfétatoire. Un père qui ne semble pas travailler beaucoup sinon à rendre heureux femme et enfant. Des amis qui viennent faire la fête en permanence, un château en Espagne, l’enfant ne va plus à l’école et des parents qui dansent beaucoup sur «Mr. Bojangles »…
Et puis, et surtout cette magnifique histoire d’amour, tendre, tragique. Beaucoup d’émotion à la fin… mais chut ne pas trop en dire…
Le Tombeur du général de Christine Clerc
Dans un récit plaisant et animé, Christine Clerc nous ramène , en ce printemps 2016 bien agité, en mai 1968, ce mois qui vit la révolte des étudiants entraînant « la chienlit » dans notre pays ! Le livre est construit en 2 parties ; la première nous rafraîchit la mémoire par une description plaisante et exacte de ces événements qui commencent le 5 mai 1968. Nous retrouvons De Gaulle et ses ministres, Peyrefitte, Joxe, Fouché… désemparés, hésitants sur la tournure à prendre face à cette insurrection, ces émeutes violentes, les pavés qui volent, les grèves, l’occupation des usines, la pénurie d’essence, les lycéens qui s’en mêlent, et toujours ces slogans de libération, de liberté…
De Gaulle sera encore plus désemparé lorsque son premier ministre Pompidou, de retour d’Afghanistan, fera rouvrir la Sorbonne occupée ! Face à tous, Daniel Cohn-Bendit, « Dany le rouge » avec Geismar, Sauvageot, mais aussi Marchais le communiste, Rocard du PSU… et des cinéastes comme Godard.
Cohn-Bendit le héros des barricades, idole des intellectuels, d’une certaine bourgeoisie libérale, Dany le rouquin enflammé et qui enflamme, sera expulsé car il n’a pas la nationalité française ! Mais il revient avec l’aide de personnalités (à découvrir ou re-découvrir !). Grâce au style vivant de l’auteur, nous vivons intensément tous ces moments. Puis, par un récit vif, Christine Clerc imagine la deuxième partie : un huis clos entre le vieux Président et le jeune leader anarchiste, dans un dialogue faux, mais qui sonne si vrai. De Gaulle ne peut admettre les raisons de cette révolte, rappelle à ce jeune ses faits d’armes, d’homme politique… Cohn-Bendit écoute, mais ne lâche rien, fustigeant la société de consommation, prônant la libération, la liberté. Mais au fur et à mesure du dialogue, apparaît une certaine entente entre les deux hommes, entente non dénuée d’un intérêt l’un pour l’autre. À travers cet échange, l’on peut se demander si ces protagonistes n’avaient pas des idéaux communs, rebelles chacun à sa façon dans des différents moments de l’Histoire du XXe siècle. Un livre vraiment agréable, amusant dans ce dialogue imaginaire, mais intéressant dans le côté historique bien documenté. Un « Dany » qui n’aura duré qu’un mois, mais qui restera comme « le tombeur du Général ».
La grande arche de Laurence Cossé
Au premier abord, le sujet du livre est surprenant : un monument, très beau certes, mais qui fait partie du paysage parisien depuis quelques décennies. Sujet surprenant et austère, peut-être ? Pas du tout ! Laurence Cossé nous raconte l’épopée incroyable que fut la construction de ce portique de marbre, merveille architecturale née dans l’esprit d’un homme du Nord qui n’avait construit auparavant que trois églises et sa propre maison … Ce roman-enquête passionnant nous emmène dans les dédales de l’Administration française, les inconséquences des hommes politiques, les querelles d’égo, l’affairisme des années Mitterrand… Et de celles qui ont suivi. Notre architecte danois mourra avant d’avoir vu son projet aboutir. Laurence Cossé narre aussi le drame d’un homme, Johan Otto von Spreckelsen, intègre et idéaliste. Mais elle nous enthousiasme quand elle nous parle prouesse technologique, choix urbanistiques audacieux, esprit visionnaire des grands architectes, opiniâtreté de quelques hauts fonctionnaires, défis relevés par les ingénieurs et les ouvriers.
La Grande Arche est tout à la fois une œuvre belle et pure qui s’inscrit dans la perspective de la plus belle avenue du monde (il vous faudra lire le livre pour savoir pourquoi elle est très légèrement désaxée) et un monument sans utilité.
Au-delà d’une épopée architecturale, Laurence Cossé dresse le portrait d’une certaine France et de ses pratiques à coup de petites piques ironiques. Elle laisse le lecteur libre de ses conclusions et nous offre de multiples pistes de réflexion.
Faire à pied ces huit kilomètres entre le Louvre et la Défense, un jour de grand beau temps et tôt le matin, avant que n’enfle la circulation, est l’approche de l’Arche à la fois simple et celle qui, loin de la dévoiler un peu plus chaque mètre, conformément à une loi de progression linéaire, en fait entrevoir par à-coups ce qui l’apparente au mirage, la légèreté, le mystère, la grâce, la vie.
La jeune épouse de Alessandro Baricco
Le dernier roman d’Alessandro Baricco est d’une sensualité torride ; oscillant entre extravagance et poésie, il nous entraîne dans une atmosphère décadente et envoûtante. Le style est quelque peu déroutant, les personnages ne sont pas nommés, un domestique, qui lui l’est, glisse sur le parquet de manière intemporelle. On imagine une demeure baignée de chaleur, les persiennes closes et des ombres qui errent traînant leurs nombreux secrets.
Un roman original, bien écrit et qui traite également de la problématique de l’écriture. Cette mise en abyme complète élégamment le récit de Baricco.
Le mystère Henri Pick de David Foenkinos
Le dernier roman de David Foenkinos est une farce ; léger, bien ficelé et facétieux, il nous entraîne dans la bibliothèque des livres refusés par les éditeurs ; a-t-il lui-même connu ces déboires en début de carrière ? Dans le fin fond du Finistère où il situe l’action une véritable enquête policière permettra de découvrir l’auteur de ce petit « chef d’oeuvre » débusqué dans cette bibliothèque d’un genre inhabituel. Le style Foenkinos est de retour, bien écrit, délicat et malgré tout grave et sérieux.
Wanderer de Sarah Léon
Ce premier roman de Sarah Léon est un petit bijou fort prometteur; il s’agit d’un huis clos entre deux hommes que l’amour de la musique unit ; un compositeur et un pianiste prodige se rencontrent au début de leur carrière et se retrouvent une dizaine d’années plus tard dans le froid et l’isolement d’un petit village où l’un des deux vit retiré. Ils mettront à plat les tourments respectifs de leurs vies. La construction du récit alternant passé et présent en changeant l’écriture est audacieuse et originale. À lire sans restriction accompagné d’une musique de Schubert.
La couleur de l’eau de Kerry Hudson
Pourquoi laisse-t-il partir cette jeune Russe qui a volé une paire de chaussures ? Un coup de foudre ? Une grande compassion ? C’est le début d’une belle histoire d’amour entre deux êtres déjà cabossés par la vie, mais qui ont conservé de l’espoir; elle a fui son pays pour le rêve londonien et a découvert les réseaux de prostitution dans toute leur horreur et il a fui son quotidien à quelques encablures. Ils surmonteront ensemble beaucoup de difficultés et apprendront à panser leurs blessures. Dotée d’une écriture très fine Kerry Hudson décrit le quotidien des milieux prolétaires avec talent et justesse.
Le club des miracles relatifs de Nancy Huston
Varian, un jeune homme très précoce et perturbé, vit avec ses parents sur « l’île Grise ». Son père est pêcheur de morue, mais l’océan est surexploité et il se trouve sans travail. Il est obligé de partir dans le Grand Nord (moins 45 degrés!) en « Terrebrute » où il disparaît. Son fils part à sa recherche et découvre une nature violée, éventrée, déchiquetée par les machines dans le but de trouver l’or noir : l’ambroisie. La terre est aux mains de brutes politiques et financières; la société du profit au détriment de tout : humains, animaux, végétaux saccagés. Une dérive apocalyptique du monde, un dernier cri; un livre grave, torturé.
Comédie française, ça a débuté comme ça de Fabrice Luchini
Tout le monde ne peut devenir écrivain : Fabrice Luchini n’échappe pas à la règle. Toutefois, il nous décortique avec le brio qui est le sien quelques extraits de textes de ses auteurs de prédilection : Céline, bien sûr, mais encore Rimbault, Molière, La Fontaine, Nietzsche… Son écrit est en langue orale tel qu’il se produit sur scène. Pour les inconditionnels du grand « saltimbanque”.
Entre ciel et Lou de Lorraine Fouchet
Jo cardiologue est revenu sur son île Groix avec sa femme Lou pour vivre une retraite iodée. Mais Lou décède prématurément, Jo est seul, inconsolable et la dernière volonté de sa femme : «Rendre nos enfants heureux», il a 2 mois pour y parvenir. Mission pratiquement impossible, il n’a pas été un père présent, il travaillait pour financer le bien-être de sa famille. Il va donc essayer de se rapprocher de son fils & de sa fille tous les deux sur Paris, il va échafauder quelques plans malicieux… Va trouver de l’énergie auprès de sa petite fille Pomme, de ses amis. Un roman plein d’amour, de rires, de malice, de larmes parfois, un beau livre pour la plage. À lire absolument et à faire lire
Promesse de Jussi Adler Olsen
Ce livre fait partie de la série «Les Enquêtes du département V», c’est le 6e volume qui devrait en compter 11. On retrouve avec plaisir le trio composé de l’inspecteur Carl Mørck, d’Assad son mystérieux assistant syrien et de Rose la secrétaire aux multiples talents et visages. Fin des années 1990 sur une île danoise de la mer Baltique, le cadavre d’une jeune fille est retrouvé dans un arbre, son vélo broyé au bord de la route. L’affaire est classée comme un accident, le chauffard reste introuvable. Un inspecteur de la police locale ne renonce pourtant pas à chercher le coupable, mais finit dix-sept ans plus tard par demander l’aide du département V avant de se suicider.
Une histoire complexe à tiroir et fausses pistes, une plongée dans la vie sur les îles et l’univers des sectes et des croyances ésotériques. Rien à dire sur l’histoire policière, mais, j’ai trouvé que les révélations (ou plutôt le début de) sur le passé du trio prennent trop de place dans ce volume et nous laissent sur notre faim.
Si vous ne connaissez pas cet auteur, ne commencez surtout pas par Promesse, remontez aux sources, Miséricorde ne vous décevra pas. Les cinq premiers existent en poche. Pour les autres, lisez-le quand même, de toute façon vous les avez adoptés !
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