La vie de Leo Nocentelli est pavée de multiples expériences et collaborations aussi formatrices les unes que les autres. Originaire de la Nouvelle-Orléans, ce musicien talentueux a contribué à l’écriture d’une des plus belles pages de la musique populaire américaine, aux côtés de son groupe The Meters et de leur mentor, le regretté Allen Toussaint. Ce que l’on sait moins, c’est qu’il a aussi composé plusieurs autres titres, enregistrés en 1972 et destinés à une carrière solo dont on ignorait jusqu’alors l’existence. Un mystère aujourd’hui levé par la sortie de l’album Another Side, paru sur le label Light In The Attic et regroupant l’ensemble de ces enregistrements.
Depuis plus de 60 ans, Leo Nocentelli est l’un des artisans les plus inspirés du répertoire musical de la Nouvelle-Orléans. Dès son adolescence au début des années 60, le guitariste a ainsi développé un style virtuose, avec lequel il a accompagné en concert de nombreux artistes majeurs du rhythm and blues et de la soul, parmi lesquels Otis Redding et les Supremes. Au milieu de la décennie, il est également l’un des fondateurs des Meters, au sein desquels il devient l’un des pionniers du style funk. Une formation qui accompagne alors l’éminent pianiste Allen Toussaint et pour laquelle le jeune musicien compose en outre des succès mémorables, tels que « Cissy Strut » et « Hey Pocky-A-Way ». C’est également pendant cette expérience que le jeune musicien participe aux projets de plusieurs personnalités centrales de la musique américaine des années 70, comme l’album Nightbirds du trio LaBelle (1974) ou encore Sneakin’ Sally Through The Alley, le premier opus de Robert Palmer sorti la même année.
Si les diverses collaborations de Leo Nocentelli sont aujourd’hui reconnues dans le monde entier, sa carrière individuelle, quant à elle, est longtemps restée inconnue du grand public. Pourtant, l’instrumentiste s’est également illustré en tant qu’artiste solo, auteur de plusieurs autres compositions qu’il a lui-même enregistrées en 1972 au fameux Jazz City Studio de Cosimo Matassa. Elles devaient ainsi constituer un premier opus qui ne verra malheureusement pas le jour, Nocentelli étant alors accaparé par ses obligations au sein des Meters. Pendant des décennies, les bandes de ces sessions d’enregistrement sont ainsi entreposées dans les locaux du label Sea-Saint d’Allen Toussaint, lesquels subissent ensuite les inondations provoquées par l’ouragan Katrina qui a ravagé la Nouvelle-Orléans en août 2005.
Par miracle, ces mêmes bandes échappent au désastre et se retrouvent dix ans plus tard dans un des lots de vente d’une brocante en Californie. C’est à ce moment-là, loin de leur lieu de création, qu’elles sont découvertes par le collectionneur de disques Mike Nishita, par ailleurs frère de Money Mark des Beastie Boys. Enthousiaste face au trésor qu’il vient de découvrir, ce dernier prend contact avec Leo Nocentelli, qui redécouvre alors ses chansons oubliées et décide de les graver enfin sur disque. Elles sont donc aujourd’hui réunies dans l’album Another Side, sorti le 19 novembre 2021 sur le label Light In The Attic.
A l’écoute de cet opus, on découvre un style acoustique et métissé qui, dans une veine différente du funk des Meters, fait la synthèse des multiples racines musicales de Leo Nocentelli. Ce dernier, en effet, y déploie une esthétique personnelle, par laquelle il fait notamment s’entrecroiser une inspiration puisée dans le folk subtile de James Taylor, avec des tonalités proches de la country ou encore des couleurs harmoniques qui témoignent de ses premières influences jazz. Une orientation stylistique qu’il avait ici développée en compagnie de ses compères des Meters, George Porter. Jr et Jospeh “Zigaboo” Modeliste à la basse et à la batterie, sans oublier Allen Toussaint qui assure certaines parties de piano et le jazzman James Black sur quelques parties de batterie.
Au-delà de sa solide assise instrumentale, Another Side s’appuie également sur des histoires de vies réelles ou fictives, dont certaines mettent en scène des personnages évocateurs et parfois attachants. Ainsi le propos de « Riverfront », aux harmonies blues et aux rythmiques funk, fait référence aux histoires que Leo Nocentelli tient de son ami le chanteur Aaron Neville, qui lui avait raconté son travail de docker et ses années de misère. Quant à « Pretty Mittie », elle énonce le point de vue d’un fermier qui nourrit le rêve de quitter la campagne pour la ville, dans l’espoir d’une vie meilleure aux côtés de son épouse. D’autres textes, quant à eux, révèlent une fibre plus intime et reflètent davantage les états d’âme du jeune adulte qu’était alors Leo Nocentelli lors de la composition de ces morceaux. Ce dernier y livre notamment des moments de réflexions sur les relations amoureuses ou encore ses frustrations personnelles, à travers des textes intimes et introspectifs.
Ainsi, Another Side met en lumière toute une complexité humaine que le musicien retranscrit avec ses multiples nuances, sous une humeur tour à tour mélancolique ou prenant des accents plus solaires. C’est ce même état d’esprit contrasté qui anime le sémillant « Give Me Back My Loving », à travers laquelle Leo Nocentelli évoque sa rupture sentimentale qui le tourmente sans relâche et à l’issue de laquelle il a composé les chansons de cet album. Dans ce second extrait dévoilé par le musicien, ce dernier y délivre une empreinte vocale à la rythmicité proche du gospel et dont le timbre le rapproche parfois de celui d’artistes comme Bill Withers. Il est également porté par une énergie aussi irrésistible que communicative, dopée par sa rythmique entraînante, ainsi que son ostinato et son refrain délicieusement entêtants. En somme, elle est l’une des pièces maîtresses de cette œuvre aussi insoupçonnée que réjouissante, que l’on peut tenir comme l’une des plus belles découvertes musicales de cette année.
Sorti le 19 novembre 2021 chez Light In The Attic.
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Retrouvez la chanson “Give Me Back My Loving” dans la playlist d’Unidivers: