Lettres à Nora de James Joyce, érotique épistolaire…

 Nul besoin d’avoir lu les œuvres complètes de James Joyce pour commencer ce petit recueil. La correspondance que l’écrivain entretient avec Nora Barnacle, jeune serveuse rencontrée à Dublin en 1904 et qui deviendra son épouse et la mère de ses deux enfants, est avant tout le témoignage d’un amour absolu, total, fait de doutes, de jalousie, d’anxiété et d’un désir qui semble ne jamais faiblir.

 

La première série de lettres datée de 1904 est celle de la rencontre. Il sait déjà qu’il a du génie, qu’il l’aime. Nora Barnacle est l’alter ego.

« Le fait que tu puisses choisir d’être ainsi à mon côté me remplit d’une fierté et d’une joie profondes. » (16 septembre 1904)

Elle l’accepte malgré les difficultés financières, malgré ses angoisses, sa cruauté : « Georgie est-il mon fils ? » (7 août 1909)

Il est hors normes, hors école, méprisé par les Irlandais pour son attitude anticléricale et il la vénère, car elle l’aime et croit en lui.

« Mon esprit rejette tout l’ordre social actuel et le christianisme – le foyer familial, les vertus reconnues, les classes sociales et les doctrines religieuses. » (29 août 1904)

Chaque lettre envoyée est une attente. L’attente fiévreuse d’une réponse, du doute permanent.

La seconde série de lettres datée de 1909 en est l’expression complète. Leur séparation – Joyce est à Dublin tandis qu’elle réside à Trieste – exacerbe son désir.

« Certaines pages sont laides, obscènes et bestiales, certaines sont pures et sacrées et spirituelles : je suis tout cela. » Lettre du 7 septembre 1909

Le lecteur est au cœur de l’intimité du couple Nora-James. Dans la chambre conjugale. Une liaison épistolaire d’une grande sincérité nourrit leur amour en dépit de l’éloignement.

 «  Ma douce petite pute de Nora, j’ai fait ce que tu m’avais dit de faire, petite fille sale, et je me suis branlé deux fois en lisant ta lettre » (8 décembre 1909)

«  J’espère et espère encore que toi aussi tu vas m’écrire des lettres encore plus folles et plus sales que celles que je t’envoie (13 décembre 1909)

Cette correspondance révèle aussi les contradictions de Joyce pour qui l’effusion érotique est toujours teintée de mysticisme. Il vénère Nora, elle est parfois comparée à une vierge ou une madone (lettre du 2 septembre 1909) : « Guide-moi ma sainte, mon ange. Conduis-moi sur ma route » (5 septembre 1909) et signe « Ton Frère Chrétien en Luxure » (juillet 1904)

Dès lors, il se flagelle, craint d’être réprimandé : « Je n’ai pas dormi depuis deux jours entiers et j’ai déambulé dans les rues comme un immonde roquet que sa maîtresse a lacéré de son fouet et chassé de sa porte » (18 novembre 1909)

Bien sûr, les connaisseurs reconnaîtront en Nora Gretta Conroy (« Les Morts » in Dublinois), Bertha (Les exilés), Molly Bloom (Ulysse) et Anna Livia Plurabelle (Finnegans Wake). Elle domine la vie et l’œuvre de Joyce et même «  Nos enfants (quel que soit mon amour pour eux) ne doivent pas s’interposer entre nous » (31 août 1909)

On regrettera cependant de ne pouvoir lire les réponses tant attendues : les lettres de 1909 de Nora Barnacle. En l’état, ce recueil est un magnifique portrait d’homme et une somme sur le couple. Une méditation sur l’éternelle question : «  tu m’aimes, n’est-ce pas ? » (lettre du 7 septembre 1909)

 

Lettres à Nora de James Joyce
Traduit de l’anglais par André Topia
Poche  | 208 pages.  | Paru le : 11-04-2012  | Prix : 8.50 €
On sait que Nora joua un rôle essentiel dans la création des grandes figures féminines de l’œuvre de Joyce : Gretta, Bertha, Molly, Anna Livia renvoient sans cesse en écho au mystère de la féminité, sur lequel il n’a cessé de s’interroger et dont Nora représentait pour lui le modèle vivant à travers ses infinis avatars. Joyce est à Dublin et Nora est restée à Trieste. Les conversations que Joyce va avoir avec ses anciens amis à Dublin vont rapidement semer en lui le doute sur la fidélité de Nora et donner naissance à une série de lettres qui, dans leur mélange de passion amoureuse, de jalousie, de franchise sexuelle et parfois d’obscénité, sont un extraordinaire document.

 

 

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