Linda Lê > À l’enfant que je n’aurai pas

Linda Lê n’est pas femme à se mentir ni à s’épargner. Et la lucidité teintée de pessimisme dont elle fait preuve dans ce nouveau récit autobiographique est toujours l’expression d’une intelligence aiguë et d’une sensibilité écorchée.

 

Ce petit livre s’ouvre par une apostrophe qui donne le ton : “Toi, l’enfant que je n’aurai pas, je me demande quels traits auraient été les tiens si je t’avais donné le jour…” Nul pathos sous la plume de Linda Lê, nul apitoiement sur soi ; bien au contraire, elle ne s’épargne pas. Une grande partie du texte consiste à présenter les raisons – objectives, légitimes et sensées – pour lesquelles, précisément, faire un enfant n’est ni absurde ni vain.

De surcroît, ces arguments sont présentés par S. : un homme qui – à travers ce que dit de lui Linda Lê elle-même – l’a aimée et a exprimé avec constance le désir parfaitement compréhensible de fonder une famille. Mais l’écrivain porte en elle ses propres réticences – allons même jusqu’à parler de blocages.

La source première de cette difficulté à concevoir la maternité est la relation, douloureuse et presque effrayante, avec sa propre génitrice, surnommée “Big Mother”, et ses soeurs. De cette femme à la fois dérisoire, “vieille femme délaissée”, et néanmoins tyrannique, l’auteur dresse un portrait d’une ironie féroce et se livre à une satire d’un comique grinçant, traversée de moments hilarants. C’est là que Linda Lê laisse libre cours à son talent : elle dépasse le simple matériau autobiographique et cette figure de harpie acquiert véritablement la dimension d’un personnage littéraire. Par ailleurs, à travers le méchant regard maternel, qui ne voit en sa fille qu’une vague “faiseuse de bouquins”, Linda Lê affronte ses propres failles – qui sont parfois des gouffres : son rapport à l’écriture, scrupuleux jusqu’au fanatisme ; son statut social de quasi-marginale et son refus de participer au cirque médiatico-littéraire ; ses épisodes de souffrance et de déréliction morales.

Poignants, ces aveux de faiblesses ne perdent jamais de leur dignité, car ils sont portés par une langue élégante et exigeante.

Ainsi, elle tisse, avec cet enfant qu’elle n’aura pas, un dialogue émouvant qui semble tout naturel, et, sublimant cette absence, elle lui donne un sens – et même, une présence.

Delphine Descaves   

Edition Nil, 18/08/2011, 7 €
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