Diplômée de l’École Européenne Supérieure d’Art de Bretagne – site de Lorient, l’art et la création ne se dissocient pas du social pour la graphiste lorientaise Marion Bailly-Salin. Ils ne font qu’un. Cette sensibilité est inhérente à son travail, notamment via le projet « Oxygène », revue de société réalisée en collaboration avec le centre pénitentiaire de Lorient Ploemeur. Quand l’art et la création rencontrent les personnes empêchées…
Connaissons-nous réellement la vie des personnes en détention ? Que savons-nous des sentiments et des véritables émotions de ces personnes mises à l’écart de la société ? Diplômée de l’EESAB – site de Lorient, l’art et la création ne se dissocient pas du social pour la graphiste lorientaise Marion Bailly-Salin. Ils ne font qu’un. « De manière générale, je m’intéresse au rôle social de l’artiste, pas seulement en tant qu’animateur d’ateliers, mais comme initiateur de projets avec des personnes empêchées qui font pour autant partie de la société. »
Cette sensibilité humaine a forgé sa pratique, l’a suivi dans son travail et ce depuis son projet de fin d’études à l’EESAB en 2013. Étudiant à proximité du centre pénitentiaire de Lorient Ploemeur, Marion s’est rapidement interrogée sur ce qu’impliquait d’habiter à proximité d’un lieu où résident des personnes mises à l’écart de la société. Des personnes dont on tait en grande majorité l’existence, peu visibles et dont la réinsertion reste difficile.
« Quand on se trouve dans une situation d’empêchement, c’est souvent par des actes créatifs que l’individu peut continuer à s’exprimer, exister, partager des points de vue et défendre des idées. »
Elle s’engage pour la première fois en 2013, en passant la porte de l’association du Genepi, association anti-carcérale et féministe « d’étudiant.e.s qui met en place des ateliers socio-culturels en prison ». Étudiante en dernière année, elle assure des ateliers à la prison pour hommes de Ploemeur et, rapidement, elle développe l’idée d’une revue de société pensée et réalisée par les personnes détenues. Sa réflexion se concrétise et la revue Oxygène devient son projet de fin d’études. « La revue permet un travail individuel et collectif autour des métiers de la presse. Je voulais créer un support d’expression par le biais du travail de l’écriture, de l’image, de la mise en page et de la composition textes/images. C’est également une bonne entrée pour travailler l’esprit critique de chacun. Comment en tant qu’individu dans une société, peu importe la place dans laquelle on se trouve, peut-on s’emparer d’une information qui concerne le monde dans lequel on vit tous, s’exprimer et réfléchir sur le sujet ? »
À l’instar de certaines institutions muséales qui proposent une médiation dans les prisons et maisons d’arrêt, tel le Musée de Bretagne, Marion Bailly Salin crée une passerelle entre son métier artistique et les personnes empêchées, entre les personnes en détention et la société. En s’intéressant à ces personnes souvent stigmatisées, elle questionne la rencontre de deux univers singuliers dans une démarche artistique et citoyenne. « Il permet de s’évader et de s’exprimer réellement en créant quelque chose. À cela s’ajoute le sentiment de se sentir écouté. » Dans un lieu où l’on est forcément jugé à tort et à travers, ce type de projet ne peut qu’être positif et important pour l’estime de soi. Après tout, les détenus n’ont-ils pas le droit d’avoir aussi un regard et de s’exprimer sur la société ?
Sur la base du volontariat naît un projet avec une identité hybride qui sort des codes conventionnels des revues de presse, ouvrant ainsi les horizons et le point de vue sur le monde dans lequel on vit par le prisme de ces personnes mises à l’écart. « Entre le fanzine et la revue, Oxygène est une revue sociologique produite en prison par des personnes qui y sont. Elle trouve son identité propre sans avoir de repères qui reviennent régulièrement comme on peut le voir dans la presse écrite. »
« L’idée avec Oxygène est d’avoir un objet, un espace de liberté totale. »
La revue prend un nouveau chemin en 2017 avec La Ligue de l’Enseignement, représentée par Nolwenn Jegado, en charge de la coordination culturelle au centre pénitencier de Lorient Ploemeur. Marion endosse quant à elle la casquette de coordinatrice artistique. Plusieurs interventions à visée pédagogique sont dispensées afin de faire découvrir des métiers et des techniques – professionnels de la presse, de l’édition, du graphisme et de l’illustration et des rencontres de parcours ont également lieu, tel la venue de Romain Froquet, artiste autodidacte. « C’est une personne extrêmement intéressée par l’art et le fait de déplacer l’art de son contexte afin de de le partager dans des lieux publics – explique Marion Bailly Salin. On peut être un individu qui ne trouve pas toujours sa place dans la société classique, mais il existe plusieurs voies qui ne touchent pas à l’illégalité pour tenter de développer son identité et le point de vue que l’on aimerait poser ou avoir sur le monde. »
Oxygène apporte un regard nouveau sur la société, sur l’art. Les volontaires s’interrogent autrement et diffusent une information à leur image. « On va chercher les connaissances là où elles sont. J’essaie toujours de partir de leurs connaissances, de leurs idées et de leurs envies. » La graphiste alimente ensuite le contenu avec des références artistiques, intellectuelles ou pratiques comme la construction d’un récit ou d’une interview. Avec des écritures rondes ou effilées, cursives ou scriptes, des témoignages, du soutien et des conseils « s’encrent » sur les pages de la revue, « des propos intéressants pour les personnes incarcérées, car ils partagent ce quotidien ».
Une partie du projet est actuellement financée dans le cadre d’un appel à projets Éducation média qui vient de la DAP, la direction de l’administration pénitentiaire, à échelle nationale. « On vient d’obtenir une subvention de la Fondation de France afin de développer et de pérenniser le projet. » La revue n’est actuellement distribuée qu’aux personnes incarcérées au centre de Lorient Ploemeur et disponible dans les bibliothèques des prisons de Bretagne (400 exemplaires édités), mais les initiateurs du projet Oxygène ont récemment eu les autorisations pour une « diffusion extérieure » de la revue. « On ne peut pas diffuser une revue produite en prison si on ne passe pas par une procédure administrative qui donne lieu à une autorisation de diffusion – précise Marion Bailly Salin. Le nombre de tirages va pouvoir augmenter et permettre une diffusion plus large ainsi qu’une distribution aux personnes incarcérées dans la deuxième prison du département, la maison d’arrêt de Vannes. Cette aide permettra également de rémunérer les personnes qui travaillent sur le projet. » Marion n’est en effet plus la seule artiste à travailler sur le projet régulièrement. À ses côtés, l’artiste et graphiste de Rennes Mathieu Roquet, le peintre Sébastien Couëffic et le photographe Morgane Le Guen. « Le premier objectif est de pouvoir les proposer aux médiathèques en Bretagne. »
Ce nouveau chapitre ouvre de nouvelles perspectives et pose ainsi la question de la responsabilité en tant qu’auteur. Un sujet important pour Marion Bailly-Salin, mais également pour les détenus. « À partir du moment où on est producteur d’une œuvre écrite ou visuelle diffusée à l’extérieur auprès d’un certain nombre d’autres personnes, on réfléchit beaucoup à la responsabilité en tant qu’auteur. C’est un sujet qui revient beaucoup avec les personnes incarcérées. »
La revue étant à l’arrêt avec la crise sanitaire, les artistes se sont adaptés afin de continuer à diffuser la culture en prison. Après avoir échangé avec un certain nombre de détenus, le projet À Distance a vu le jour, le but étant de « produire des affiches qui seront directement encollées sur les murs de la prison ».