Love Island USA ou la comédie romantique terminale : miroir brillant et crétin de notre époque

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PREVIOUSLY ON LOVE ISLAND USA : ils sont beaux, gainés, tatoués, parfois brillants, souvent clichés, toujours ultra conscients des caméras. Ils s’appellent Huda, Nic, Olandria, Bryan ou Cierra, et ils ont été enfermés dans une villa sponsorisée par la dépression hédoniste pour “trouver l’amour”… sous le regard addictif d’une société qui ne croit plus à l’amour, mais reste accrochée à son fantasme.

Love Island USA” n’est pas juste la téléréalité la plus regardée des États-Unis : c’est la plus scrutée, commentée, mimée, et, surtout, vécue par procuration. Chaque épisode est une tranche d’“intimité stratégique”, chaque relation une négociation entre libido, image publique, et stratégie d’écran.

Et c’est là que ça devient fascinant : Love Island, ce n’est pas de l’amour, c’est de la gamification relationnelle. On “matche”, on “recouple”, on vote, on rejette — comme on swipe sur Tinder, sauf que là, on est en HD 4K et qu’on porte des maillots de bain pensés pour maximiser le temps de cerveau disponible. Chaque geste est une mise en scène de soi, chaque flirt un pari sur sa durée de visibilité. Le show a atteint un tel degré de méta que les candidats eux-mêmes parlent ouvertement de leur « edit », de leur stratégie de popularité, ou de leur rencontre avec le psy du show après un échec amoureux – comme si l’émotion elle-même devenait un script à ajuster.

LOVE ISLAND USA

Pourquoi sommes-nous captivés ? (Spoiler : ce n’est pas l’amour !…)

On regarde Love Island USA non pas pour croire en l’amour, mais pour s’assurer que l’amour est devenu impossible. Et cette certitude est, paradoxalement, rassurante. Parce que la série nous offre une esthétique du naufrage affectif : on se regarde dans ce miroir en riant, en jugeant, en analysant. Et parfois, on se surprend à ressentir — une forme d’empathie post-ironie.

Derrière les “recouplings” et les bisous de circonstance, il y a l’angoisse contemporaine de ne plus savoir comment aimer sans performance. On regarde Love Island USA comme on regarderait Black Mirror version piscine à débordement : ce qui nous fascine, c’est la possibilité que plus personne ne sache ce qu’est une émotion non monétisée.

Les Millennials avaient “Friends”, les Gen Z ont “les Villain edits”

Ce qui différencie fondamentalement Love Island USA des émissions de rencontre des années 2000, c’est la conscience méta des participants. Ils parlent en langage TikTok, pensent en likes, vivent sous forme de mèmes. Ils savent qu’ils doivent pleurer pour exister à l’écran, mais pas trop pour ne pas paraître faibles. Ils connaissent les codes : être “The People’s Princess” (Amaya), éviter le “villain edit” (Cierra), capitaliser sur la vulnérabilité calibrée (Huda et son histoire familiale poignante révélée en confessionnal).

Ce n’est plus de la télévision, c’est de la gestion de marque personnelle sur fond de baisers chorégraphiés. Et cela nous dit quelque chose d’essentiel : nous vivons dans une époque où tout lien intime est potentiellement monétisable, où le couple est une startup érotique évaluable en “engagement metrics”.

Une clinique des affects contemporains

On pourrait croire que cette série est creuse. Elle est au contraire une archéologie de nos failles collectives. L’obsession de l’image, la peur de l’oubli, la quête désespérée d’authenticité dans un monde saturé de filtres.

On voit des gens jouer à être amoureux, comme on joue à être “safe”, “woke”, “deep”, mais jamais “trop”. Trop intense ? Tu fais peur. Pas assez impliqué ? Tu es toxique. Les émotions sont régulées comme des flux de données. Et c’est ici que la psychanalyse s’invite en catimini : Love Island USA rejoue en boucle le trauma du regard – que suis-je quand je ne suis pas regardé ? L’amour devient un outil de validation. Le désir, un contrat.

Est-ce grave, docteur ?

Pas nécessairement. Car derrière le sarcasme et les paillettes, Love Island USA est peut-être la tragédie douce-amère la plus fidèle à notre époque. Ce n’est pas une satire de l’amour, c’est un testament de ce qu’il en reste.

Et si on regarde cette émission en se moquant, c’est peut-être aussi parce qu’on a peur. Peur que nos propres relations soient devenues des îles — artificielles, jolies, mais désertées de sens. Et que, pour paraphraser The Cut, nous aussi, parfois, on n’attende qu’une chose : être libérés de la villa.

Aimer à l’ère du streaming

Love Island USA, c’est un peu comme un test de Rorschach émotionnel : certains y voient un divertissement kitsch, d’autres une dystopie affective, d’autres encore une forme de vérité tordue sur les nouvelles écritures de l’intime.

Et si, au fond, on continuait à regarder non pas malgré sa superficialité, mais grâce à elle ? Parce qu’en 2025, dans un monde saturé d’angoisse, parfois, la plus grande sincérité est celle qui se cache derrière un faux baiser au bord d’une piscine.