Après le très grand succès remporté par ce quatorzième opéra de Verdi, Luisa Miller, une question vient immédiatement à l’esprit, quelle est la source du relatif désamour qui accompagne cette œuvre, au demeurant magnifique, et qui expliquerait qu’elle est assez peu programmée sur les scènes d’opéra dans le monde entier ?
C’est une véritable énigme, car tout ce à quoi nous avons assisté à l’occasion de cette première rennaise le dimanche 19 mars, fut un authentique feu d’artifices. Tout Verdi est résumé dans cette œuvre. Une ouverture tempétueuse, un imbroglio amoureux, une intensité dramatique de tous les instants, un crescendo des sentiments et des passions qui nous conduit à une sorte de paroxysme tragique et merveilleux, on en sort groggy et c’est un pur délice. C’est à Naples, au téatro San Carlo, que cette œuvre fut donnée pour la première fois le 8 décembre 1849. Elle est basée sur « Kabale und liebe » de Friedrich von Schiller, et le livret est signé par Salvatore Cammarano.
Anecdote amusante, celui-ci aux abois, avait presque supplié Verdi de le faire travailler. Aussi, ému par la supplique, le maestro lui avait commandé celui de Luisa Miller, accompagné des recommandations suivantes, il fallait que « le livret soit bref, avec beaucoup de mouvement et encore plus de passion ». On ne saurait être mieux entendu!
Particularité vocale plutôt inhabituelle, la distribution, en plus du ténor et de la soprano, est complétée par deux basses profondes et un baryton. C’est peu banal et il est aisé d’envisager, sans même avoir entendu une note, que cela fournira à l’intrigue une charpente des plus solides et contribuera à donner au propos une noirceur du meilleur effet. C’est une distribution italienne qui portera cette œuvre avec un brio époustouflant pendant deux heures et quarante cinq minutes. Les rôles titres seront tenus respectivement par la remarquable soprano Marta Torbidoni, (Luisa) et le ténor Gianlucca Terranova (Rodolpho).
Luisa Miller impose une partition pleine de difficultés et nos protagonistes s’en sortent plus qu’avec les honneurs. Mademoiselle Torbidoni se rie des écueils et domine presque avec insolence les pièges qui lui sont tendus. Ses aigus, magnifiques, ses mezzo voce pleins de douceur, tout en elle semble s’exprimer avec facilité, elle atteint au sublime. Gianlucca Terranova, se dépense sans compter et approche parfois dangereusement sa zone d’inconfort, pourtant dans le dernier acte, il est comme transfiguré, sa belle voix prend toute sa dimension et lors de l’ultime et fatal trio, sans aucune pitié, il tire les larmes de toute une salle qui rend les armes broyée par l’émotion. Le conte Walter et son âme damnée Wurm prennent corps avec Christian Salta et Alessio Cacciamani. Leurs voix amples et basses tiennent toutes leurs promesses. Leur présence scénique et dramatique insufflent à l’œuvre force puissance et intensité. Avec le personnage de Wurm, éminence grise aux sombres desseins, c’est la silhouette de Iago, dans Othello, ou celle de Albiani dans Simon Boccanegra, qui se profile à l’horizon verdien. Seuls Verdi et Wagner, ont, dans leurs œuvres, su donner chair au mal dans toute sa lugubre splendeur.
Dans le rôle de Miller, père de Luisa, Federico Longhi campe avec talent un personnage tiraillé de sentiments contradictoires. Marie Bénédicte Souquet, dans le rôle de Laura s’acquitte avec élégance d’une participation plus modeste, remarque qui vaut pour Lucie Roche, en Fédérica duchesse d’Ostheim, et dont la voix, comme la très belle présence scénique, nous font regretter qu’elle n’intervienne pas plus souvent.
Dans la fosse le chef Pietro Mianiti dirige avec énergie, mais peut-il en être autrement, un orchestre national des pays de Loire, parfaitement à l’aise et sonnant avec éclat. De son côté, le chœur d’Angers-Nantes opéra fait belle figure et permet à son chef, Xavier Ribes de pousser un long soupir de satisfaction.
Guy Montavon signe là une mise en scène sobre et agréable, les lumières subtiles comme les grands panneaux légers figurant les lambris d’une demeure bourgeoise, confèrent une atmosphère qui vient tempérer la pesanteur du propos. L’angle particulièrement incliné de la scène vers le public rapproche celui-ci de l’intrigue et contribue à créer une intimité pas toujours confortable, et c’est très bien ainsi.
Impossible de ne pas encenser cette production des opéras de Rennes, Angers Nantes Opéra et Theater Erfurt. Même si nous apprécions le côté découverte au travers des nombreuses créations que nous propose notre scène rennaise, ce retour en fanfare vers les grands classiques est un véritable plaisir, dont vous seriez avisés de ne pas vous priver.