« Je m’intéresse à l’avenir, car c’est là que j’ai décidé de passer le restant de mes jours », disait Woody Allen. Ainsi Olivier Germain-Thomas nous parle dans La brocante de Mai 68, dont il fut un acteur, mais vu de son « aventin » d’aujourd’hui, bref en surplomb, un demi-siècle après ! Racines, langue française, religions, ouverture à l’Asie… C’est entre autres sur ces bases qu’il va nous emmener vagabonder dans son périple politique et culturel, car il lui paraît « évident qu’un surgissement de l’Esprit se prépare ».
En attendant cette date inconnue, revenons sur l’auteur, dit OGT, longtemps producteur à France-Culture et à la télévision, mais depuis des décennies écrivain aux vingt-cinq opus dont plus de la moitié évoque ses pérégrinations en Asie, du côté de l’Inde, de la Chine et du Japon. Citons La Tentation des Indes (1981), En chemin vers le Bouddha (2001), grand prix catholique de littérature, La Traversée de la Chine à la vitesse du printemps (2003), Le Bénarès-Kyôto (2009), prix Renaudot-essai, sans oublier Borobudur, Byblos et la Birmanie… ainsi que son dernier roman Marche avec la nuit (2017).
Revenons à 68. Il a 25 ans. Où se trouve-t-il ? À la Sorbonne où il termine un doctorat de philosophie sur les représentations par les sculpteurs des étapes de la vie du Bouddha. Déjà l’Orient et les échappés vers « l’ailleurs ». Certes, mais l’homme est né bucoliquement en Corrèze et il est résolument gaulliste ! Son premier mot sur 68 ? « Quelle farce ! », comme en bilan du mouvement. La prise de pouvoir voulue par les trotskystes s’arrête à l’Odéon, une longue marche de quelques centaines de mètres, avec en prime l’accueil du maître des lieux, Jean-Louis Barrault. « Trajet direct Moscou 1917/ Paris 1968, Trotski sur le siège arrière. Si le ridicule tuait, que de morts sur le boulevard (Saint-Michel) » et d’ajouter… « Tout cela était quand même très amateur »…
OGT trouve le « CRS SS » ignoble, mais il aime le « Soyez réalistes, demandez l’impossible », l’idée « d’un surgeon de surréalisme avec parfois ouverture sur la spiritualité ». Il trouve même « magnifique » l’inspiration/aspiration des débuts, se situant du côté d’un Maurice Clavel ou d’un Lanza del Vasto. Contre le matérialisme ambiant, il apprécie « un anarchisme sympa », la libération des mœurs et les élans libertaires.
Cependant oui, il était militant gaulliste, tirera tracts, prendra parole dans les amphis, « ma solitude était grande », mais sera de l’organisation de la manifestation sur les Champs-Élysées du 30 mai qui avec son million de marcheurs mettra fin symboliquement, c’est-à-dire réellement, à la « chienlit ». Le 20 juin, au Palais des Sports de Paris, il est la voix de « la jeunesse gaulliste », aux côtés d’André Malraux, « sensible au malaise métaphysique de la société ». Quelques années plus tard, après le départ du Général à la suite de sa défaite au référendum de 1969, il sera le Délégué de l’Institut Charles-de-Gaulle qui a pour mission d’étudier la geste gaulliste.
OGT n’oublie pas dans 68 le rôle des grandes puissances, les tentatives de la CIA de mettre de l’huile sur le feu par antigaullisme, contrebalancé par le « tenez-bon » de Waldeck-Rousseau, du Parti communiste largement inféodé à l’URSS, aux proches du Général… Et de pointer ceux qui « ivres d’une fausse liberté contre l’ordre, allaient, dans la publicité, les médias branchés ou la politique, devenir plus tard de chics fleurons de l’établissement ». Sans oublier ces intellectuels qui formèrent les Khmers rouges, auteurs d’un vrai génocide…
On l’aura subodoré, il y a aussi dans ce livre des mises en regard instructives par exemple sur un François Mitterrand ou un Daniel Cohn-Bendit, et des « indiscrétions » révélatrices. Si de Gaulle a « flotté », c’est que la situation n’était pas vraiment révolutionnaire. « Si son génie était que rien ne l’arrêtait, il n’en demeure pas moins vrai que l’on ne le comprend pas si l’on ne saisit pas combien cet homme puissant connaissait des bouffées de fragilité ».
On se doute que dans le parcours d’OGT, Mai 68 ne sera qu’une « parenthèse », car sa vocation l’entraînera « ailleurs », sur les chemins de la connaissance, de l’Asie et des spiritualités agissantes, comme celles de l’Inde qui « ouvre des portes sur les grandes questions sur le cosmos et ses temps cycliques ou linéaires ».
La seconde partie du livre les évoque comme autant de pavés lancés à la volée. Lors d’un colloque au Japon, « comprendre que les racines touchent à l’universel… que l’uniformisation casse nos singularités, ces signes de générosité de la vie ». Et qu’il est « urgent d’écouter avec la raison, le cœur et le corps, les mystiques indiennes, le yoga, la médecine ayurvédique, l’unité de tout ce qui nous compose, nous entoure et nous dépasse ». Par des lectures de l’Évangile, « un génie devrait nous faire bondir de la joie de l’intelligence ». Dans une abbaye bénédictine, « les passions du monde s’arrêtent ».
En écho à Malraux, Olivier Germain-Thomas pense que « la civilisation ne pourra retrouver un sens que s’il y a un renouveau spirituel, des retrouvailles avec le lien sacramentel avec la nature, face à la mondialisation et aux nationalismes religieux. »
La Brocante de Mai 68 et ouvertures, Olivier Germain-Thomas. 182 p. 18€. Édit. Pierre Guillaume De Roux.