Depuis plus de 30 ans, Marc Dufaud suit un parcours des plus singuliers. Passionné par l’univers underground et les « perdants magnifiques » de la culture populaire, il s’illustre non seulement comme réalisateur de films et documentaires, mais également en tant qu’auteur de romans, d’essais et de biographies rendant hommage à ces mêmes figures. Trois ans après un second ouvrage autour d’Elvis Presley, il s’apprête à dévoiler Le monde fabuleux de Kurt Cobain, à paraître ce jeudi 28 mars 2024 aux éditions Le Boulon.
Depuis longtemps, Marc Dufaud éprouve une fascination pour les destins et les personnalités dites « en marge ». Né en 1966, il passe ses premières années à Paris avant d’être « exilé » en province. A cette période, il développe une personnalité atypique qui trouve un premier exutoire lorsqu’il découvre le rock avec Elvis Presley, qu’il considère quasiment comme le « sauveur » de son enfance. Par la suite, il réalise de nombreux voyages, convoyant notamment des voitures en Afrique pendant quelques années pour payer ses études. Puis après avoir obtenu une licence en philosophie, il s’inscrit en faculté de cinéma à l’université Paris 8, réalisant ses premiers films et des courts métrage de fiction. C’est à cette même période qu’il fait la connaissance décisive de l’artiste Daniel Darc, qui deviendra un proche et avec lequel il tournera tout d’abord Le garçon sauvage en 1993, suivi du court-métrage Les enfants de la Blank l’année suivante.
À cette époque, il écrit dans la presse underground avant de tout laisser tomber à la fin des années 90. Dans la foulée, il monte en 1998 le groupe rock Luze en compagnie du guitariste et ingénieur du son Pascal Bricard. Peu après, débute sa nouvelle carrière d’écrivain lorsqu’il travaille sur l’ancien manuscrit de son premier roman Les peaux transparentes, qui paraît en 2003 aux éditions Trouble Fête. Remarqué par Philippe Manoeuvre, ce dernier l’invite à contribuer brièvement au magazine Rock & Folk, ainsi qu’à son hors-série Rebelles Du Rock consacré à Elvis Presley.
Officiant un temps comme rédacteur en chef de plusieurs magazines et hors-séries pour le groupe DF Presse, il écrit également une dizaine d’ouvrages de fiction, essais et biographies en tous genres, pour diverses maisons d’éditions. Nombre d’entre eux sont centrés autour de répertoires musicaux divers, principalement orientés vers le rock et ses héros les plus emblématiques. On lui doit notamment un ouvrage consacré aux musiques antillaises, ainsi que deux livres sur Bruce Springsteen et deux autres autour d’Elvis Presley, dont le second Elvis Presley – Bigger Than Life paru en 2021 aux éditions Rock & Folk.
Aujourd’hui, il revient avec Le monde fabuleux de Kurt Cobain, dont la sortie est attendue demain jeudi 28 mars 2024 aux éditions Le Boulon.
Comme l’annonce son avant-propos inspiré, cet ouvrage se présente comme conçu en contre-pied des biographies habituelles réalisées sur l’iconique leader de Nirvana. De fait, plutôt que d’analyser les racines de la personnalité et du mal-être de Kurt Cobain, Marc Dufaud s’attache à en décrypter les résultantes, la manière avec laquelle ce décalage a modelé son univers et lui a conféré toute sa superbe. Un monde que d’aucuns décriraient comme « détraqué » et qui, pourtant, a résonné pour une grande partie de la jeunesse des années 90, qui voyait notamment en Nirvana la caisse de résonance de son inadaptation aux valeurs d’une société excluante et déconnectée de ses aspirations.
On le découvre assez vite, le propos de ce livre n’est pas tant de traiter de Kurt Cobain lui-même, ou de l’héritage de Nirvana, que de présenter la multiplicité des sources d’inspirations et formations qui ont gravité autour d’eux. Avant d’être sacré porte-étendard du grunge et de la « génération X », l’enfant d’Aberdeen a effectivement œuvré comme un véritable passeur, ne cessant de mettre en lumière les artistes et groupes qu’il admirait, issus pour beaucoup des diverses scènes du rock alternatif américain. Parmi ces formations, on compte en outre des acteurs du punk hardcore comme les Meat Puppets et The Jesus Lizard, ou encore le groupe Mudhoney, lui-même désigné parmi les pionniers de la scène grunge de Seattle auquel Nirvana fut associé.
Dans le même temps, la démarche de Marc Dufaud a aussi le mérite de porter un regard nuancé sur Kurt Cobain, n’hésitant pas à souligner certaines de ses contradictions, sans pour autant verser dans un voyeurisme indécent et gratuit. En outre, l’auteur explore avec pointillisme la constellation complexe de ses influences musicales, plus hétéroclites qu’il n’y paraît : outre ses inspirations notables des Beatles et des Pixies (notamment pour l’incontournable « Smells Like Teen Spirit »), on (re)découvre également que Kurt Cobain fut à l’adolescence un fan fervent du hard rock de groupes comme Led Zeppelin et AC/DC, avant de prendre fait et cause pour le punk rock dès 1983 par l’intermédiaire de ses amis des Melvins. Au gré de digressions et allers-retours éclairants, Marc Dufaud décrit également ce parcours mouvementé en le re-contextualisant dans l’effervescence de la culture punk DIY (Do It Yourself) et ses ramifications. Cette dernière fut ainsi vectrice d’une philosophie et d’un modèle dont les valeurs circulaient à rebours de celles de l’industrie musicale « mainstream », celle-là même qui allait plus tard sacrer les membres de Nirvana « sauveurs du rock ». Un univers que viennent également représenter les illustrations de la dessinatrice Lisa Chetteau, ouvertement inscrites dans l’esthétique du fanzine issue de ce même mouvement punk.
30 ans après la fin brutale de Nirvana, il est réjouissant de constater que ce nouvel ouvrage vient contribuer à la redécouverte du legs réel que Kurt Cobain et son groupe ont laissé à leurs contemporains, ainsi qu’aux générations actuelles et futures. A la récupération commerciale dont ils continuent encore et toujours de faire l’objet, on préférera donc aisément la lecture de ce livre immersif et passionnant, qu’on prendra le temps de parcourir avec un réel enthousiasme.
Le monde fabuleux de Kurt Cobain, Marc Dufaud, Le Boulon, 252 pages, 18 euros. Sortie le 28 mars 2024.
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