Marie Skłodowska-Curie sur les billets de 20 euros suscite un débat entre Varsovie et Paris

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Marie Skłodowska-Curie
Marie Skłodowska-Curie

Alors que la Banque centrale européenne (BCE) prépare l’introduction de nouveaux billets en euros, l’une des figures retenues pour incarner le thème de la « culture européenne » suscite un débat inattendu entre la France et la Pologne. Il s’agit de Marie Skłodowska‑Curie, double lauréate du prix Nobel, figure majeure de la science moderne et personnalité au parcours éminemment européen. Le désaccord porte non pas sur son inclusion, saluée par toutes les parties, mais sur la manière de présenter son nom.

Une figure au carrefour de deux nations

Née à Varsovie en 1867, alors sous domination russe, Maria Salomea Skłodowska commence ses études en Pologne avant de rejoindre Paris à l’âge de 24 ans. C’est à la Sorbonne qu’elle poursuit sa formation en physique et chimie où elle rencontre Pierre Curie avec qui elle partagera des recherches décisives sur la radioactivité. Elle devient citoyenne française, mais n’a jamais renié ses origines polonaises, qu’elle revendique notamment en intégrant son nom de jeune fille à sa signature scientifique : Skłodowska-Curie. Elle est aujourd’hui la seule personne à avoir reçu deux prix Nobel dans deux disciplines scientifiques différentes – physique (1903) et chimie (1911). Son parcours incarne ainsi à la fois l’excellence scientifique, le cosmopolitisme européen et l’engagement des femmes dans la recherche.

Le projet de la BCE : entre culture et représentation

Depuis 2023, la BCE a lancé un processus de refonte des billets en euros, avec l’objectif de mieux refléter la diversité et l’identité culturelle de l’Europe. En janvier 2025, deux thèmes ont été retenus : « Culture européenne » et « Rivières et oiseaux ». Dans le cadre du premier thème, la figure de Marie Curie a été proposée pour figurer sur le billet de 20 euros. Une scène d’enseignement la représentant au milieu de livres et de cahiers est à l’étude. C’est l’inscription de son nom sur les ébauches de visuel qui a suscité des réactions : la mention proposée par la BCE était « Marie Curie (née Skłodowska) ».

Une controverse sur la forme, une sensibilité sur le fond

En Pologne, cette formule a été mal accueillie. Plusieurs personnalités scientifiques, médias et institutions ont exprimé leur inquiétude face à ce qu’ils perçoivent comme une minimisation du nom d’origine de la scientifique.

Le quotidien Gazeta Wyborcza s’est interrogé : « Pourquoi Marie devient-elle Marie Curie, quand Cervantes reste Miguel et Beethoven reste Ludwig ? »

Le gouverneur de la Banque nationale de Pologne a adressé une demande officielle à la BCE, plaidant pour que le nom complet « Marie Skłodowska‑Curie » soit utilisé sans parenthèses, comme un gage de reconnaissance de l’identité polonaise de la chercheuse. Pour beaucoup en Pologne, cette question dépasse la linguistique : elle touche à la mémoire nationale, à la reconnaissance internationale de figures polonaises souvent méconnues dans le récit commun européen.

La réponse de la BCE : prudence et consultations

Face à cette controverse, la BCE a confirmé qu’aucune décision finale n’avait encore été prise. L’institution a déclaré qu’elle consultait des sources historiques et linguistiques pour déterminer la forme la plus appropriée. Le compromis actuel – « Marie Curie (née Skłodowska) » – serait, selon elle, une manière de reconnaître la double appartenance culturelle de la scientifique. Des échanges sont également en cours avec l’Institut Curie à Paris, ainsi qu’avec des historiens et linguistes européens. La BCE rappelle que le processus de sélection du design définitif est prévu pour 2026, et que les nouveaux billets ne seront mis en circulation qu’après plusieurs années de production. Aucun calendrier précis n’a encore été annoncé.

Une question d’identité plus large

Au-delà de cette polémique nominale, l’épisode met en lumière les tensions symboliques qui peuvent surgir autour de la construction d’un imaginaire européen commun. Le choix des figures historiques sur les billets n’est jamais anodin : il s’agit d’une forme de reconnaissance officielle, d’un acte culturel à part entière. L’écriture d’un nom devient alors une question politique, diplomatique, mémorielle.

Cette affaire souligne également l’attention croissante portée à la représentation des femmes dans l’espace public. En tant que première femme prix Nobel, première professeure à la Sorbonne, Marie Skłodowska‑Curie incarne un jalon majeur dans l’histoire des sciences, mais aussi dans celle de l’égalité des genres. Le fait que ce soit autour d’elle qu’éclate ce débat ajoute une couche supplémentaire de sens à une décision qui, pour certains, dépasse largement le champ du graphisme monétaire.

Le choix du nom à inscrire sur le billet de 20 € reste à trancher. La BCE se trouve aujourd’hui face à un arbitrage délicat : comment concilier respect des identités nationales, lisibilité européenne et fidélité historique ? Si la mise en circulation effective des billets n’est pas prévue avant plusieurs années, le débat, lui, est déjà bien lancé.

Eudoxie Trofimenko
Et par le pouvoir d’un mot, Je recommence ma vie, Je suis née pour te connaître, Pour te nommer, Liberté. Gloire à l'Ukraine ! Vive la France ! Vive l'Europe démocratique, humaniste et solidaire !