Dans son ouvrage Georges Haldas, un cheminement intérieur Matthias Tschabold porte un regard profond et singulier sur l’œuvre de Georges Haldas. Œuvre qui ne l’est pas moins. Œuvre mosaïque qui, brodée de formes multiples et originales (poèmes, légendes, journaux, chroniques), a les dimensions d’une vie. Une vie tout entière orientée par une tension autant intime que littéraire vers le souci de l’autre.
Dans son essence même, la poésie est donc le royaume de l’anti-meurtre. Pour accéder à cette transfiguration vitale, et permettre à d’autres d’y accéder également – tel est le sens ultime de l’œuvre de Haldas – les ressources les plus cachées de l’être, les plus profondes sont requises. p.27
Né au cœur du mois d’août 1917 à Genève, d’une mère suisse et d’un père grec, Georges Haldas s’éteindra aux lueurs déclinantes de l’automne 2010. Obtenant à 24 ans le 1er prix Hentsch de littérature française sa vie entière ne cessa de couler et de se transfigurer dans l’écriture. Chroniqueur, journaliste et correcteur au Journal de Genève de 1941 à 1947, il travailla pour différents éditeurs, Skira, La Baconnière, Marc Barraud, pour la revue et les éditions Rencontre, scénarisa trois téléfilms avec Claude Goretta, écrira et scénarisera, avec le même, le film La mort de Mario Ricci.
L’œuvre ample et polymorphe de Georges Haldas analysée dans ces pages sous des angles variés et révélateurs apparaît bien comme un authentique pèlerinage sur des voies poétiques jusqu’alors inexplorées, mais surtout comme une quête en plus profonde humanité. Loin d’être dénuée d’embûches douloureuses et d’inquiétantes épreuves cette quête prend sens dans le perpétuel questionnement d’Haldas sur le « régime » sous lequel vit le poète qui, par son activité poétique même est comme en exil de la communauté des hommes afin, pourtant, d’accéder et de révéler le cœur profond, l’essence même de cette obscure fraternité…
Le poète est […] le lieu de réfractions des passions humaines, le point de convergence de l’horreur et de la beauté. En lui se réfléchissent la mutilation du monde et l’amour. Et la poésie, passant du vécu au dit, opère une transfiguration bénéfique de toute chose… La poésie est donc le lieu d’un combat d’ordre spirituel qui porte l’humanité dans sa nature essentielle : précarité, souffrances, qui fondent notre dignité ultime ; finitude et fragilité devant la mort. pp. 24-25
Par des biais philosophiques et spirituels, Matthias Tschabold se permet, avec une chaleureuse maîtrise, de tracer un chemin buissonnier à partir duquel il est loisible d’observer l’œuvre foisonnante d’Haldas, de la découvrir sous un jour direct et sensible pour ceux qui ne la connaîtraient pas encore ; de la redécouvrir, de parcourir différemment cet humble sentier poétique à ceux qui en seraient déjà familiers. Toutefois, c’est avec une aisance et une légèreté toute haldassienne, que l’auteur use de ces références, sans jamais alourdir le portrait sensible qu’il trace du scribe et témoin qui n’eut de cesse de scruter la vie dans ses atours les plus humbles afin d’en signifier l’essence la plus noble.
La diversité des êtres peut donc devenir communion par le biais d’une dimension qui les transcende et les unit en leur essence. Cette dimension, l’Autre, implique la reconnaissance de l’autre et prélude selon Haldas, à l’amélioration des relations humaines. La relation, comprise en ce sens devrait innerver le quotidien puisque, comprise comme base vitale du tissu social à partir de laquelle l’élémentaire peut être éclairé, elle est un terreau favorable à la germination et à la croissance, le point de départ d’une transfiguration possible des hommes pour qu’apparaisse l’Homme. p. 93
Le verbe personnel d’Haldas n’est jamais trahit, ses questionnements (intimes, familiaux, politiques ou spirituels) ne sont jamais raidit ou brandit comme la vérité absolue sur l’homme et son œuvre. Au contraire. Guide subtil, par une connaissance intime, quasi filiale de l’œuvre, Matthias Tschabold souligne et exhausse avec patience et affection les détours, les obscurités, les contournements, les errances parfois. Le livre refermé, on est presque pris d’une nostalgie pour la chaleur de ce qui se lit comme une fraternelle conversation spirituelle… et l’envie, surtout, de se (re)plonger dans la bienfaisante onde de la poésie de Georges Haldas :
Si loin qu’il s’en souvienne
l’exilé dans sa peine
a toujours à l’esprit
son peuple et ses fontaines.
Je n’ai pas de fontaine
et je n’ai pas de peuple.
Je suis une eau qui court
et cherche dans la nuit
à devenir fontaine
fontaine en plein midi
où les oiseaux pourraient
venir se restaurer
tout près des ouvriers
qui taillent dans leur pain
des morceaux réguliers.(Georges Haldas, Chants de la nuit, 1958)
Matthias Tschabold Georges Haldas, un cheminement intérieur, L’Âge d’Homme, novembre 2014, 19 euros
Signalons, également paru aux éditions L’Âge d’Homme, le très intéressant ouvrage de Alexis Fredriksen, Solitude reliée, l’écriture de la légende chez Georges Haldas, 20 €