Sur le bout de la langue, le poème des mots hérités de Mélodie Malt

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mélodie malt

Avec Sur le bout de la langue, Mélodie Malt offre un nouvel ouvrage jeunesse publié aux éditions Lisières. Mots après mots, elle crée un imaginaire tendre et sensible qui traite des liens familiaux, un imaginaire textuel qui rencontre celui visuel de l’illustratrice Évelyne Mary.

« Tu m’as manqué grand-mère ». Ainsi commence le récit de ce conte pour enfants que nous donne aujourd’hui Mélodie Malt, éditrice de profession et autrice de contes pour enfants, dont l’an dernier Madame Bernard (Maison Lison, 2024, illustrations de Nora Duverneuil), ainsi que de nombreuses et gracieuses nouvelles. Ici, nous sommes en vacances : aller à la mer, faire la dînette, jouer aux échecs, visiter le jardin, tous ces agréments, et puis ces mots échangés sur le bout de la langue.

À partir de cette trame, Mélodie Malt déroule, dans une tapisserie joliment illustrée par Évelyne Mary, un poème sensible en mettant à chaque page, sur le bout de la langue babillarde de la grand-mère, un mot venu d’ailleurs, fortifiant chez l’enfant non seulement la connaissance de la langue, mais une approche linguistique et phonologique que n’aurait pas désavouée celle qui, à l’université de Haute-Bretagne, régna pendant tant d’années sur le département de linguistique et publia tant d’ouvrages savants sur l’apport des langues étrangères à la langue française, Henriette Walter, dont on n’a pas oublié L’aventure des mots français venus d’ailleurs (Robert Laffont, 1998), Le français d’ici, de là, de là-bas (J.C. Lattès, 1998), et son Dictionnaire des mots d’origine étrangère (Larousse, 1998) cité ici en bibliographie. En marge de l’histoire, Mélodie Malt boutonne son tablier de maîtresse d’école : « Parmi les mots de la langue française, plus de 4000 sont d’origine étrangère. Ils viennent de l’anglais, de l’italien, du germanique et aussi de l’arabe. D’ailleurs, il y aurait deux à trois fois plus de mots français d’origine arabe que d’origine gauloise. Ce sont des mots de tous les jours qui accompagnent nos vies depuis plusieurs siècles. »

mélodie malt

On ne s’étonnera pas que la grand-mère qui parle à l’enfant et lui rapporte tant de mots de sa terre, de son aire linguistique, soit arabe ou kabyle et probablement maghrébine. L’auteur, in fine, parlera de ces « mots-passerelles », en empruntant cette lumineuse expression à Assia Djebar qui fut la première écrivaine d’origine maghrébine à siéger, en 2005, à l’Académie française. On ne s’étonnera pas que le premier mot venu d’ailleurs soit zénith, étymologiquement samt-el-ras, littéralement « chemin au-dessus de la tête », ou, comme l’écrit Littré : « Corruption de l’arabe semt, chemin droit, point vertical », et désignant donc le point d’apogée du soleil, auquel s’oppose d’ailleurs un autre mot arabe nadir, « arabe, nathir, placé vis-à-vis » si joliment éclairé par Littré : « Le point du ciel qui est directement sous nos pieds, et auquel aboutirait une ligne verticale tirée du point que nous habitons et passant par le centre de la terre ». S’il est vrai que chacun de ces mots étranges autant que familiers est expliqué en appendice, le récit, lui, se déroule à la façon d’un conte ou d’un poème. Et il débute en plein milieu d’un jour lumineux :

Soleil au zénith
Fanfare de mille cigales
Un vent d’été me dépose à ta porte

Nous sommes transportés par les mots, c’est le récit d’un voyage. Qui conduit l’enfant – garçon ou fille – chez la grand-mère, que l’illustratrice présentera mollement étendue sur un divan (de diouân, recueil de poésies, et par extension sofa, dit Littré) et forcément voilée, comme le sont les grands-mères de ce pays, lointain et proche, comme le furent mes deux grands-mères en terre maghrébine. Et tout aussitôt surgit le regret d’une trop longue absence, et aussi la nostalgie : « Tu m’as manqué grand-mère ». Nostalgie qui se fonde aussi, tout naturellement, sur la nourriture, qui est de la civilisation ou de la culture ce qui reste quand on a tout oublié (en exil ?) :

Tu me dis tout, avec fierté
De tes plants d’aubergines, épinards et artichauts.

Et là aussi, ces trois légumes sont d’appellation arabe contrôlée. Et puis, le soir venu, la grand-mère allume des bougies, un mot qui renvoie à la ville que les Algériens nomment aujourd’hui « Béjaïa ». Et pour finir de nous étourdir, un parfum de jasmin, de ce yassamîn, venu de Perse, comme tant de fleurs d’Ispahan. (Mais pourquoi fallait-il que les hommes dévastent le paradis et sèment partout horreur et destruction ?) Ce récit est un conte de fées et le dernier mot sera de sommeil, de beaux rêves et de paix :

Sur le canapé aux fleurs orangées
Nous nous endormons
Paisiblement.

Il restera cette interrogation de l’enfant qui ne parle pas la langue de sa grand-mère, tout comme la grande autrice Leïla Sebbar se faisait ce constat (reproche ? remords ?) en publiant Je ne parle pas la langue de mon père (Bleu autour, 2016) :

Dans la pénombre, mon cœur s’ouvre
Mamie, pourquoi tu ne m’as jamais appris
Ni à papa ni à moi

À quoi la vieille femme répond, en justifiant l’emploi de tous ces mots d’origine arabe du récit :

Mon sucre, me sourit-elle,
Tu le parles bien plus que tu ne le crois.

Ce joli conte se lit à l’ombre et sur l’oreiller, mieux encore si c’est la mère ou la grand-mère qui, au soir de Noël, dans la fête des Lumières, le récite à l’enfant.

mélodie malt

Mélodie Malt, Sur le bout de la langue. Illustrations Évelyne Mary. Éditions des Lisières, 32 p., 12 €. Parution : 13 novembre 2025