Merwane Benlazar fout les Flammes avec un discours virulent contre Hanouna et Morandini

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La cérémonie des Flammes, vitrine consacrée aux cultures populaires et urbaines, a pour ambition de célébrer les talents issus des cultures afro, arabes, caribéennes ou populaires. 2025 a été marquée cette année par une prise de parole retentissante de l’humoriste Merwane Benlazar. Loin du ton feutré des remises de prix traditionnelles, l’artiste a saisi l’occasion pour livrer un discours aussi mordant que politique qui visait nommément deux figures médiatiques controversées : Cyril Hanouna et Jean-Marc Morandini.

S’il est courant que les artistes utilisent leur tribune pour faire passer des messages, l’attaque aura été particulièrement frontale. En montant sur scène, Merwane Benlazar a dénoncé, avec un humour hyperbolique grinçant, le rôle délétère de certaines émissions de télévision dans la banalisation du racisme et du sexisme à l’antenne. « Les racistes ne regardent plus la télé, il n’y a plus Hanouna », a-t-il lancé, déclenchant des réactions contrastées dans la salle, entre rires nerveux, applaudissements francs et silence gêné. Il a poursuivi en évoquant le retour de Cyril Hanouna sur W9 à la rentrée en affirmant que cela représenterait « la meilleure promotion de l’extrême droite » sur la chaîne. Ces deux phrases ont été coupées lors de la diffusion par W9.

Ce trait d’esprit, aux allures de tacle direct, vise évidemment l’animateur vedette de Touche pas à mon poste. Cyril Hanouna, régulièrement critiqué pour ses provocations, ses accointances politiques floues et sa mise en scène de la « vox populi » dans un climat social tendu, devient ici le symbole d’un divertissement qu’une partie de la jeunesse urbaine rejette. Merwane Benlazar n’en est pas resté là. Il a également évoqué Jean-Marc Morandini, autre figure controversée du paysage audiovisuel français, aujourd’hui marginalisé médiatiquement après des accusations graves et des condamnations judiciaires.

« Les vrais pyromanes de la haine ne sont plus sur les écrans. Ce n’est pas une victoire, c’est un rappel de ce qu’on a subi. »

Cette phrase, reprise massivement sur les réseaux sociaux, résume la tonalité de son intervention : ni exutoire, ni règlement de comptes personnel, mais un diagnostic acide sur la manière dont certaines voix médiatiques ont participé à la visibilisation des discours radicaux dans l’espace public français.

La cérémonie des Flammes, portée par l’ambition de célébrer les talents issus des cultures afro, arabes, caribéennes ou populaires, devient de plus en plus un espace d’expression politique. À l’instar de Gaël Faye, Médine ou encore Lous and the Yakuza lors des éditions précédentes, Merwane Benlazar a utilisé l’attention médiatique pour redonner sens à la parole humoristique comme acte de résistance. Sur les réseaux sociaux, les réactions ne se sont pas fait attendre. Si beaucoup ont salué le courage de l’humoriste, certains critiques ont dénoncé un « procès public » contre des personnalités, qui plus est, déjà fortement discréditées. Cyril Hanouna, de son côté, n’a pas encore réagi officiellement, mais ses soutiens habituels ont qualifié la séquence de « méprisante » et « sectaire ».

Une censure assumée par W9

Lors de la diffusion en différé de la cérémonie des Flammes sur W9, les propos de Merwane Benlazar ont été coupés. La chaîne a justifié cette décision en invoquant ses obligations de maîtrise de l’antenne, affirmant qu’elle ne pouvait diffuser des propos susceptibles de relever de la diffamation ou de l’injure publique. Ce choix éditorial relance une question essentielle : quelles paroles dérangent au point d’être censurées dans l’espace audiovisuel français ? Et au nom de quoi ? L’acte de couper un discours humoristique au montage, surtout lorsqu’il touche à des enjeux aussi sensibles que la représentation médiatique et le racisme, ne fait qu’exacerber les tensions qu’il soulève.

Une parole de la faction-fraction-fracture générationnelle ?

Avec ce discours, Merwane Benlazar s’inscrit dans une nouvelle génération d’humoristes et d’artistes qui refusent la posture de neutralité en réponse à la violence symbolique de certains discours médiatiques dominants. Dans un contexte où l’engagement artistique reprend du poids, où les plateformes urbaines servent de caisse de résonance à des voix trop longtemps tues, son intervention s’apparente à un tournant : celui d’une parole qui bouscule les formes établies, et redonne à l’humour une fonction politique.

À l’instar d’autres voix émergentes, Benlazar pointe une fracture vive dans la perception des médias, du racisme, et de la liberté de ton en France. Il rappelle que l’humour, lorsqu’il se confronte au réel, peut encore déranger. Et c’est sans doute ce que la télévision française, souvent frileuse ou complaisante, redoute le plus.

Mais peut-on rire sans blesser ?

Cela étant, si Merwane Benlazar entend critiquer l’influence idéologique de Cyril Hanouna — son rôle dans la normalisation des discours populistes et réactionnaires — il n’en reste pas moins que des millions de téléspectateurs fidèles de Touche pas à mon poste peuvent recevoir ce discours comme une forme de mépris de classe, d’origine ou de culture. Comme si, derrière Hanouna, c’était leur propre légitimité sociale qu’on attaquait.

Dès lors, le risque n’est pas simplement de révéler une fracture entre deux France, mais entre plusieurs France : car il y a plusieurs France, plusieurs groupes de Français, qui se sentent marginalisées dans le discours dominant et qui, par la satire ou la politique, tentent de combattre les formes de domination symbolique qui vont, viennent et se retournent en creux. Plusieurs souffrances, plusieurs colères, naguère parfois compatibles, mais désormais de moins en moins. Et chacune est à sa façon légitime.

Vers un pluralisme médiatique à réinventer

Alors que faire ? Faut-il renoncer à toute satire au nom du respect des sensibilités populaires ? Faut-il continuer à frapper fort, quitte à heurter les malentendus sociaux ? La réponse ne peut pas être binaire. Ce que révèle cette séquence, c’est le besoin d’un espace médiatique réellement pluraliste où la culture populaire ne soit ni instrumentalisée par les populismes télévisés ni méprisée par les avant-gardes critiques. Un espace où les fractures puissent être dites, sans caricature, et écoutées, sans condescendance.

Le rôle de l’artiste, surtout humoriste, n’est pas de plaire à tout le monde. Mais il est de nommer les tensions, de faire entendre ce qui dérange, ce qui se tait, ce qui divise. Et s’il dérange, c’est aussi qu’il touche juste. Encore faut-il, pour que ce geste ait un sens, qu’il n’oublie jamais qui l’écoute. C’est toute l’ambiguïté de la fameuse saillie de Desproges : « On peut rire de tout, mais pas avec tout le monde. »

Nicolas Roberti
Nicolas Roberti est passionné par toutes les formes d'expression culturelle. Docteur de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, il étudie les interactions entre conceptions spirituelles univoques du monde et pratiques idéologiques totalitaires. Conscient d’une crise dangereuse de la démocratie, il a créé en 2011 le magazine Unidivers, dont il dirige la rédaction, au profit de la nécessaire refondation d’un en-commun démocratique inclusif, solidaire et heureux.