Dès ses débuts en 2007, Mesparrow (Marion Gaume à la ville) a développé un univers artistique singulier, qu’elle a progressivement enrichi de ses expériences et de ses collaborations successives. Son premier album Keep This Moment Alive, sorti en 2013, avait eu pour successeur le bien nommé Jungle contemporaine (2016), qui marquait une nouvelle étape dans sa carrière. Elle nous présente aujourd’hui son tout nouvel opus Monde sensible, dévoilé le 15 janvier dernier sur le label Yotanka.
Entre Mesparrow et la musique, c’est une histoire d’amour qui dure depuis son plus jeune âge. Née à Tours, elle grandit auprès de parents mélomanes, avec un père pianiste de jazz et guitariste. Ce dernier lui donne alors l’envie de se lancer comme musicienne et rapidement, elle lui demande de l’inscrire à une école de musique, où elle suit des cours de piano et de solfège. Dans le même temps, la jeune Marion rejoint la chorale de cette école et se construit progressivement une éducation musicale riche et variée, qui n’a que faire des étiquettes. De fait, celle ci englobe autant la chanson française de Barbara que le jazz de Billie Holiday, ou encore le rock des Doors et de PJ Harvey.
Malgré cette vocation musicale précoce et de plusieurs expériences de groupes dans diverses formations rock, elle s’inscrit à l’Ecole des Beaux Arts de Tours. Après avoir envisagé de s’y former au dessin, elle y développe davantage un intérêt pour la vidéo, au gré de ses multiples rencontres. Mais elle n’abandonne pas ses velléités de musicienne et dans le même temps, elle fait l’acquisition d’une pédale de boucle. Elle l’utilise pour enregistrer des performances vocales a capella, qui deviendront ses premières chansons. Une démarche qu’elle combine tout d’abord à des performances vidéos en vue de les présenter pour son examen de fin d’études. Cependant, ces réalisations lui laissent une profonde insatisfaction et nourrissent son besoin de se produire physiquement en concert, en toute liberté. C’est pourquoi une fois son cursus achevé, elle quitte Tours pour s’installer à Londres, où elle fonde un collectif d’artistes et compose de nouveaux morceaux.
Son répertoire ainsi étoffé lui permet de donner ses premiers concerts et petit à petit, ses morceaux gagnent l’attention d’un public professionnel. De retour en France, elle est programmée en 2011 au Printemps de Bourges dans la catégorie « découvertes », aux côtés notamment de la finistérienne Ladylike Lily. Suite à sa performance au festival le 24 avril sur la scène du 22 Est, elle est remarquée par les responsables du label East West qui, conquis par son univers, lui offrent un contrat dans leur maison de disques. Ce nouvel engagement lui permet d’enregistrer ses compositions au studio Blackbox de Dionnaie (49), sous la houlette de Thomas Poli, connu entre autres comme musicien de Dominique A. Toutes ces chansons, presque exclusivement écrites en anglais, sont réunies sur l’album Keep This Moment Alive, qui sort chez East West le 4 mars 2013. Par la suite, Mesparrow enchaîne les concerts, dont un passage au festival Art Rock le 19 mai 2013 et aux Vieilles Charrues le 21 juillet de la même année.
Quelques années plus tard, elle signe au label Yotanka Records et enregistre son deuxième album intitulé Jungle contemporaine, qui sort en octobre 2016. Composé intégralement en langue française, cet album marque un tournant dans le style musical de Mesparrow qui, alors influencé par des artistes comme James Blake, l’oriente davantage vers une esthétique électro pop. Pour la tournée qui suit, elle est également accompagnée des multi-instrumentistes Fabien De Macedo, musicien au sein de Funken et de Lionel Laquerrière, qui a notamment travaillé avec Yann Tiersen. Aujourd’hui, elle nous dévoile son nouvel opus intitulé Monde sensible, sorti le 15 janvier dernier chez Yotanka.
Pour ce troisième album, réalisé en grande partie pendant le premier confinement du printemps 2020, Mesparrow a poursuivi sa collaboration avec Nicolas Bourrigan, rencontré il y a quelques années et qui avait déjà signé des arrangements sur Jungle contemporaine. Bassiste au sein d’Isaac Delusion, c’est lui qui a co-réalisé ce Monde sensible dont il a signé une partie des arrangements, en compagnie entre autres de Fabien De Macedo ainsi que du claviériste Bastien Dodard, autre membre d’Isaac Delusion. Dans le même temps, les programmations rythmiques ont été réalisées par l’arrangeur, mixeur et ingénieur du son Antoine Thibaudeau, qui a notamment collaboré avec Thylacine. Pour son précédent album, ce travail d’équipe avait ainsi permis à la Tourangelle d’obtenir un son qu’elle cherchait depuis longtemps, dans une esthétique électro pop parfois foisonnante. Un style qui se retrouve aujourd’hui plus présent et développé, comme en témoigne notamment l’électrisant « Twist », dont l’instrumentation peut évoquer l’EDM et les DJs les plus éminents de la « french touch ». De même, l’accompagnement instrumental de « Danse », aux accents électro disco, possède quelques similitudes avec certains des titres les plus dynamiques de Clara Luciani.
On y retrouve également la composante fondamentale de l’esthétique de Mesparrow et qui donne son nom à l’un des morceaux de l’album : « Le chant ». De fait, l’artiste créé chaque morceau autour de boucles de prises de voix superposées en polyphonies, donnant parfois un aspect onirique à ses compositions. Une démarche artistique que l’ancienne étudiante des Beaux-Arts a débutée pendant ses études, posant la première pierre de l’aventure Mesparrow. En outre, on retrouve dans ces parties vocales ses fameuses onomatopées, qu’elle utilise depuis ses premiers pas d’artiste comme langage rythmique : « Je les utilise personnellement de manière instinctive, pour l’énergie qu’elles donnent à ma musique, dans les boucles de voix qui forment les fondations des chansons ». Célébrées dans un des titres de son précédent opus, elles restent donc l’un de éléments clé de sa musique et confèrent une patte caractéristique à son esthétique.
À l’instar de Jungle contemporaine, ce troisième album de Mesparrow est traversé par l’introspection ainsi qu’une mélancolie sous-jacente, qui constitue l’un des charmes de l’artiste. Cette dernière l’explore d’ailleurs sous différentes facettes et nuances. Ainsi, le morceau d’ouverture « Saudade », se pare d’un groove lent, construit autour d’un délicat arpège de guitare électrique et d’une boîte à rythmes semblable à celles du trip-hop. Son titre évocateur renvoie à un sentiment de mélancolie complexe et nostalgique, associé au fado et auparavant mis en musique par des artistes comme Joao Gilberto, Cesaria Evora, Étienne Daho et, plus récemment, Benjamin Biolay. Sous un autre aspect, l’image significative de « L’humeur chocolat » fait écho au blues qui parfois nous assaille et nous retient dans nos cocons intérieurs, sans toujours en connaître les raisons. Peut-être ce vague à l’âme trouve-t-il son explication dans nos errances et les dérives de notre monde moderne, cette « jungle contemporaine » que décrivait déjà Mesparrow dans son précédent album. Un monde hyperactif et chaotique contre lequel elle se rebelle à sa façon et dont le malaise se reflète entre autres dans le propos de « Tu n’es pas seul » :
La benne de larmes déborde
des hommes recyclent nos rêves
soignent à l’effaceur
pas de remord pour l’homme moderne.
Ce Monde sensible, Mesparrow l’a placé avant tout sous le signe de la renaissance et du renouveau, pour mieux amorcer un nouveau départ dans son existence. Elle en a fait le symbole de son propre cheminement personnel, lequel se dévoile sous différents aspects émotionnels et expressifs. Plusieurs chansons de cet opus incarnent donc cette délivrance et ce changement, parmi lesquelles « Différente », l’un de ses morceaux les plus lumineux. Avec son lyrisme doux et placide, l’artiste y assume et revendique pleinement son atypicité : une hypersensibilité qui, certes, lui est reprochée par son entourage et qui bouscule la « norme », mais n’en demeure pas moins une force et la cheville ouvrière de sa vie. Dans ce cadre, la danse est aussi célébrée et portée comme une attitude de résistance contre la morosité ambiante. Elle se trouve au centre de « Danse » et « Twist », deux morceaux à l’énergie irrésistible. Par ailleurs, ce morceau « Twist » s’égaye également de quelques notes d’humour décalé, qui créent un contraste intéressant. On le perçoit aussi dans « Reviens-moi vite », écrit autour du manque suscité par l’absence de l’être aimé : parallèlement à la vocalité mélancolique et languissante de Mesparrow, combinée à l’instrumentation de ballade doo wop à trois temps, ce morceau fait aussi intervenir des bruitages insolites de cri et de pompe à vélo, qui nous évoquent parfois l’univers sonore du cartoon et du jeu vidéo.
Depuis le début de sa carrière, Mesparrow a donc fait beaucoup de chemin et a su faire évoluer sa musique, tout en préservant ses fondamentaux et ses valeurs. La preuve la plus délicate réside sans doute dans ce Monde sensible, qui ne pouvait décidément trouver meilleur titre.« Je suis la sorcière du subtil » affirme-t-elle d’ailleurs dans « Force sensible ». On ne saurait lui donner tort, tant il est vrai que l’artiste mets ses émotions, sa poésie et sa voix lyrique au service d’une expression subtile et enchanteresse, dont le charme opère immédiatement. Voici en somme un moment de grâce, d’empathie et de douceur réconfortantes, qui devrait nous aider à mieux passer l’hiver…
L’album Monde sensible de Mesparrow est sorti le 15 janvier 2021 sur le label Yotanka Records.
Vous retrouverez également le clip de la chanson « Différente » (réalisé par Gaëtan Chataigner) dans la playlist d’Unidivers.