Éreinté(e) par Facebook et son mur infini ? Épuisé(e) par les tweets de Donald Trump, sans envie pourtant de vous isoler dans la déconnexion ? Comme beaucoup, vous préféreriez que les réseaux sociaux soient un peu plus « sociaux » et favorisent la rencontre réelle entre les personnes. Il existe justement des réseaux sociaux alternatifs dont la priorité est de créer du lien, à taille humaine. Un exemple : mesvoisins.fr
« Mesvoisins.fr est une plateforme de voisinage qui permet de rencontrer ses voisins et de faire vivre son quartier. » (page facebook de mesvoisins.fr)
Tout est dans le titre. Mesvoisins.fr s’adresse au voisinage. On pourrait le qualifier de réseau social local. De circuit court de l’internet mondial. Son but : que des personnes proches géographiquement puissent aisément entrer en contact. Pour quoi ? Pour ce qui bon leur semble : « se rencontrer, emprunter, échanger, s’aider, s’informer, s’organiser » énonce Élise Magnin, la créatrice du site.
Élise Magnin a créé mesvoisins.fr en septembre 2017, en Ile-de-France. La jeune femme vient d’un petit village du Beaujolais où tout le monde se connaît. En se déplaçant pour ses études, elle rencontre les grandes villes françaises et européennes, ainsi que l’anonymat qui y règne. Suite à des études à Sciences-Po Strasbourg, elle s’intéresse à l’entrepreneuriat social (= qui place l’efficacité économique au service de l’intérêt général) et sur le modèle d’un site allemand (nebenan.de) naît le projet d’un réseau social à l’impact réellement positif sur la vie des gens. Elise Magnin voit deux intérêts principaux dans son action : l’un pratique et l’autre social. Pratique car elle favorise l’entraide. Social, car elle ouvre les portes et fait franchir les paliers.
« Grâce à cette plateforme, nous rendons les quartiers plus dynamiques et conviviaux ; nous renforçons les liens intergénérationnels et encourageons la mixité sociale ; nous permettons aux habitants de faire des économies et d’être plus écolo au quotidien en empruntant plutôt qu’en achetant… «
Il suffit d’entrer son code postal et la plateforme connecte en quelques clics les habitants d’un même quartier. Sur ce réseau, pas « d’amis » particuliers, mais la possibilité d’échanger par messages privés ou de créer des groupes à l’instar de ceux de Facebook. Les voisins voient en priorité les offres et demandes des personnes de leur quartier mais peuvent aussi consulter celles des quartiers voisins. Les publications des utilisateurs sont catégorisées selon leurs sujet : Publications, Petites annonces, ou Événements; elles apparaissent selon leurs choix sous forme de Question, d’Information, de Conseil (ou Autres).
Une application existe également, gratuite elle aussi.
Une particularité de ce réseau social est qu’il n’est pas axé sur l’individu mais sur le collectif. On n’y publiera pas chaque jour ses photos personnelles, non plus qu’on y cultivera un « mur » en bonne et due forme. Après avoir renseigné une photo de profil, sa localisation et ses centres d’intérêts, toute la place est à l’interaction, à la rencontre.
Un peu plus d’un an après son lancement, la plateforme est déjà active dans toutes les grandes villes de France et même dans la plupart des villes moyennes et ne demande qu’à s’étendre encore. Son succès fait preuve du besoin auquel elle répond.
Il semble que le réel ait pris un coup de vieux, tout comme les relations interpersonnelles de voisinage. Alors que nous vivons de plus en plus amassés, qui voit régulièrement ses voisins ? Qui a déjà partagé un simple apéritif avec eux ? Et après tout, pour quoi faire ? Serait-on en droit de se demander. Parfois c’est une voisine que l’on croise dans le hall, ou bien l’enfant d’un voisin qui vient nous vendre des brioches pour la classe verte de son école. On ne le reconnaît d’ailleurs que vaguement…
Internet répond à presque tous nos besoins directs. On y trouve un plombier, un micro-onde, des cadeaux de Noël, les informations et son futur club de sport ou de théâtre. D’un point de vue pratique, Internet est un rêve éveillé. C’est d’un point de vue humain que le bât blesse. Avoir des relations humaines saines et régulières avec ses voisins; former une communauté locale; éventuellement défendre des intérêts communs; sont des capacités qui se perdent dans le « chacun chez soi » du monde en ligne. Alors, après s’être évertué à tisser la toile du web, le siècle n’a-t-il pas une mission de redonner de la vie aux réseaux « réels », de revenir à un peu plus d’humain et de solidaire ?
Nous avons recueilli le témoignage d’une nouvelle utilisatrice rennaise, Laura, qui utilise mesvoisins.fr depuis quelques mois seulement.
Quartier Bourg l’Evesque – Saint Cyr : 203 « voisins » inscrits à ce jour (octobre 2018)
Unidivers : Bonjour Laura, quand as-tu découvert mesvoisins.fr ?
Laura: Au lendemain d’une soirée, alors que j’étais au fond de mon canapé (rires). C’est là que j’ai remarqué la pub pour mesvoisins.fr, sur un papier que des voisins nous avait laissé dans la boîte aux lettres. Il était là depuis des semaines. Comme je m’ennuyais à mourir je me suis dit « tiens je vais installer ça pour voir »…
Unidivers : Tu utilises plutôt l’application ou le site ?
Laura: L’application. Elle est gratuite et ne prend pas beaucoup de place. Et je trouve ça plus simple de tout faire depuis mon téléphone.
Unidivers : Comment as-tu trouvé ça, au premier abord ?
Laura: J’ai trouvé ça très rigolo… et un peu voyeur aussi ! (rires) De voir où est-ce que les gens habitaient, leur photo, etc… Et comme j’avais besoin d’aide pour m’aider à réparer mon vélo, ça pouvait être vraiment utile.
Comme on a accès à la liste des inscrits qui habitent dans le même immeuble que nous, j’ai pu remarquer que j’étais voisin avec un ancien camarade de classe. Un garçon du collège, du Morbihan, où on était à peine 300 élèves ! Sur l’application, avec l’adresse et la photo, ça m’a confirmé que c’était bien lui.
Unidivers : As-tu déjà répondu à des publications ou publié toi-même sur le site ? Qu’est-ce que les utilisateurs près de chez toi publient ?
Laura: J’ai publié une fois, pour mon vélo. En général je regarde simplement ce que les gens postent, pour voir s’il y a quelque chose qui m’intéresse. J’ai vu plusieurs fois des personnes qui en recherchaient d’autres pour aller avec eux à la salle de sport. J’ai vu beaucoup de gens qui cherchent des perceuses électriques, il y a une grosse demande de ce côté là (rires). Et puis pas mal d’événements organisés par des voisins, pour que le voisinage se rencontre, partage un repas ou un verre.
Unidivers : Toi, tu irais à un événement comme cela ?
Laura: Franchement pourquoi pas ! D’un autre côté je suis ce genre de fille qui a peur des situations gênantes, j’ai tendance à les fuir… Je pense que je pourrais y aller mais pas toute seule.
Unidivers : Donc ça n’empêche pas d’avoir les mêmes peurs qu’avec un réseau « classique » ?
Laura: Oui… Avec en plus le rôle de la proximité. Par exemple si tu ne t’entends pas avec quelqu’un ou qu’il y a un malaise. Ça peut être perturbant de se dire que la personne sait où tu habites. Ou simplement que tu risques de la croiser en bas de chez toi.
Unidivers : Est-ce que c’est quelque chose qui te gêne le fait d’être géolocalisée ?
Laura: Non. Chacun est obligé de mettre son adresse. Donc à partir du moment où j’ai accès à la localisation des autres, ça ne me dérange pas qu’ils aient accès à la mienne. Il y a un certain lien de confiance…
Unidivers : A quelle fréquence utilises-tu le site/l’application ?
Laura : C’est le genre d’application que j’ouvre une fois par semaine, voire toutes les deux semaines. Il faut dire que je ne suis pas une adepte du « parler pour parler » via les réseaux sociaux, je ne tchatte pas beaucoup, je préfère rencontrer les gens. Je trouve que tout est beaucoup mieux en vrai. D’ailleurs les gens sont parfois si différents du virtuel au réel…
Unidivers : Est-ce que le rapport à l’autre est plus aisé dans le monde virtuel ?
Laura: Je trouve que oui. Tu peux vraiment dire ce que tu veux, puisqu’en général tu l’écris. Tu n’es pas obligée de répondre immédiatement. Tu as le temps de réfléchir à ce que tu vas exprimer… Ça rend le contact beaucoup plus facile, plus serein.
Par exemple, si tu rencontres un voisin dans la cage d’escalier tu ne vas pas forcément lui demander de t’aider, ce serait un peu inconvenant, un peu bizarre je trouve… Tandis que via le site ou l’application, la personne n’est pas obligée de répondre.
Pour les rencontres aussi ça facilite les choses. C’est très commun de se rencontrer via internet de nos jours. Personnellement, j’ai plusieurs amis que j’ai connu comme ça.
Unidivers : Le « réel » reste-t-il plus important ?
Laura: Oui, toujours. Tu t’en rends compte en rencontrant les gens. Des personnes qui mettent beaucoup d’humour à l’écrit seront peut-être beaucoup plus sérieuses en vrai. Et cette nuance est importante, ça t’informe de deux choses totalement différentes sur l’individu et ça te permet de dresser un portrait plus juste de celui-ci. Le virtuel ça peut aider, beaucoup même, par exemple pour connecter les gens… mais il faut qu’il y ait une finalité autre. Une finalité réelle derrière ce virtuel, parce que sinon quel intérêt ? Le virtuel pour moi c’est un moyen, pas une fin.
Unidivers : Pourquoi restes-tu inscrite ?
Laura: Je reste pour le côté pratique du réseau social. Si un jour j’ai besoin de quoique ce soit, d’un coup de main… voire même si j’ai besoin d’un petit job par exemple, comme du baby-sitting : je sais qu’il y a beaucoup de gens qui se servent de ce réseau pour trouver un baby-sitter près de chez eux.
Et puis un peu par malice aussi, je suis une voyeuse, je l’avoue (rires). J’adore voir ce que les gens publient. J’ai trouvé ça très marrant dès le début, maintenant je trouve ça juste sympa.
Unidivers : Une anecdote en rapport avec mesvoisins.fr ?
Laura: J’en ai une bonne ! Lorsque j’ai demandé de l’aide sur le site pour réparer mon vélo, un gars m’a envoyé un « message privé » disant qu’il pouvait m’aider. On a commencé à discuter. J’avais vu sur l’application qu’il habitait la même adresse que moi. Je lui ai donc demandé dans quel bâtiment il était. Surprise : on habitait dans le même ! Je lui demandé son étage, et de fil en aiguille on s’est rendu compte qu’on habitait juste au-dessus l’un de l’autre, sa chambre juste sous la mienne ! Alors il m’a écrit : « Attends ne me dis pas que c’est toi la sorcière que j’entends rigoler tous les soirs ? ». A ce moment là j’étais en train de chanter et de danser dans ma chambre. J’ai coupé le musique, je me suis assise sur ma chaise et n’ai plus osé bouger pendant 15 minutes (rires). A l’heure actuelle c’est mon petit copain ! Comme quoi, pas besoin d’aller en chercher un à l’autre bout de la France. (rires)