A Rennes, le Triangle Cité de la Danse accueille jeudi 17 janvier 2019 à 20h la Compagnie belge Mossoux-Bonté et leur création Les Miniatures, une série de quatre récits chorégraphiques – Vice Versa (2015), Alban (2017) Alecto (2018) et (At) the Crack of Dawn (2018). À la frontière entre danse et théâtre, solos, duo et trio se succèderont sur scène. Pour l’occasion, Unidivers a rencontré la danseuse et chorégraphe belge Nicole Mossoux. Entretien.
Unidivers : Fondée en 1985, la compagnie Mossoux-Bonté propose – à travers le langage chorégraphique et la musicalité du geste – une lecture de l’univers contemporain et particulièrement de l’âme humaine. Pourquoi ce choix ?
Nicole Mossoux : Notre histoire à chacun a certainement conduit à cette exploration. Patrick Bonté a fait des études de théâtre et une formation de romaniste (N.D.L.R. : équivalent d’une formation de Lettres en France). Avant notre rencontre, il a également touché à la mise en scène de texte, avec une forme d’insatisfaction quant aux limites du texte à aller fouiller l’âme humaine. Et aussi peut-être, avec la prémonition qu’il existe des états de présence au plateau qui n’ont pas besoin de mots et peuvent toucher (sans doute) une intimité plus étrange.
Pour ma part, je viens du milieu de la danse (N.D.L.R. : Nicole Mossoux a notamment étudié à l’école Mudra de Maurice Béjart). Lors de la fondation de la compagnie dans le contexte des années 70, il était difficile de trouver dans les langages chorégraphiques – que j’ai pu découvrir à ce moment-là – des propositions autour du corps dansant, du corps glorieux, mais aussi autour de la perceptibilité et de sa faille, les failles intimes que l’on trouve en chacun.
Nos recherches respectives se sont croisées par le fruit du hasard. Nous avons présenté Juste Ciel, notre premier solo, tourné en 1985 au Mexique et en Afrique Noire. La réponse du public dans ces cultures totalement différentes se logeait au creux de l’intime – je me permets de reprendre ce mot parce que je le trouve important.
« Au-delà des différentes cultures, il existe un langage qui dépasse le corps et se partage » Nicole Mossoux (2018)
Ces premières tournées ont conforté notre désir d’explorer ces voies-là. Patrick Bonté a collaboré à la mise en scène et à la conception des Miniatures, mais aujourd’hui il ne travaille plus le texte.
Unidivers : Solos, duo et trio, Les Miniatures regroupe quatre récits dansés dont le premier est Vice Versa. Comment est né le projet ? Qui en est l’initiateur ?
Nicole Mossoux : Nous alternons l’initiative des projets dans la compagnie. La proposition vient tantôt de l’envie de Patrick de toucher à un univers, tantôt de la mienne. L’autre – au même titre que toute l’équipe – accompagne le porteur du projet et essaie de réaliser scéniquement ce qu’il a en tête. On signe toujours la conception séparément. C’est beaucoup plus clair de cette façon. Par contre, tous les projets sont réalisés ensemble.
Concernant Les Miniatures, l’idée vient d’une chanson du québécois Michel Faubert, “Les Anneaux de Marianson”, reprise d’une chanson médiévale normande anonyme du XVe siècle. Il y a au Québec une certaine propension à emprunter la culture traditionnelle francophone-européenne dont ils sont imprégnés. J’ai été touchée par l’histoire tragique de la chanson, vrai réquisitoire pour la place des femmes dans le monde. Elle dénonce une jalousie masculine complètement déplacée et un soupçon d’adultère qui finit très mal. Un accompagnement musical très contemporain, aux sonorités électroniques tourne en boucle derrière la voix de Michel Faubert. J’ai eu envie de plonger dans cette partition.
La compagnie a fait appel aux danseuses belges Frauke Mariën et Shantala Pèpe avec qui nous travaillons depuis longtemps et dont nous sommes très proches. L’idée était d’introduire du corps dans les mots et de figurer les images de la chanson sans pour autant l’illustrer. Vice Versa (2015) parle en quelque sorte de l’intimité entre deux femmes et de ces sociétés de femmes – dans les pays du Maghreb par exemple – qui se rassemblent et se rassurent. Loin du monde des Hommes – avec un grand H – et de la violence du monde, le corps se libère et s’exprime. Vice Versa n’est pas non plus un réquisitoire féministe, mais ce sont tout de même des femmes qui l’interprètent (rires).
Unidivers : Vice Versa, au même titre que les trois autres récits, est caractérisé par une absence totale de scénographie…
Nicole Mossoux : C’est en effet un principe que nous avons voulu poursuivre dans les trois autres miniatures. Dans le cas d’une présentation des quatre récits dans une même soirée, nous voulions alléger les éléments extérieurs comme le changement de décor. Une histoire économique entrait également en jeu au départ. Le projet n’étant pas budgété, la compagnie a décidé de tout réaliser elle-même. Des musiciens et costumières que l’on connaît sont venus donner un coup de main à l’endroit où ce n’est pas notre métier. On a vraiment essayé de mettre tout le budget dans le cachet des danseurs.
Unidivers : Les Miniatures dégage un sentiment étrange, une familiarité qui peut être déstabilisante pour le spectateur. Une référence à la notion de Umheimlich du psychanalyste allemand Sigmund Freud – pas forcément bien traduite par « l’inquiétante étrangeté » en français – que vous abordiez déjà en 1994 avec le spectacle Twin Houses ?
Nicole Mossoux : La traduction française prend une connotation péjorative et effectivement le mot inquiétant n’est pas forcément correct. Umheimlich en allemand signifie ce qui est familier et ne l’est pas en même temps. L’étrange n’est pas spécialement inquiétant. Il interpelle, dérange, mais ne se loge pas seulement du côté de l’inquiétude. Cette notion est toujours plus ou moins présente dans nos recherches, en filigrane.
Ce n’est pas un principe général pour le théâtre et ce n’est qu’un point de vue, mais si le contenu ressemble de trop près à ce que la rue ou le quotidien propose, je pense qu’il manquerait l’effet de découverte qu’il est possible de créer chez le spectateur. Ce léger dérangement du réel qui fait qu’une chose parfois minime – et pas spécialement spectaculaire, au sens du déploiement de technicité – peut venir chercher le public et, quelque part, le déranger. Le mot « déranger » n’est encore une fois pas forcément négatif. C’est plutôt un détail, une image ou un mouvement qui peut réveiller des souvenirs, des émotions. On entre dans un langage de suggestions. Patrick et moi sommes assez peu narratifs, le but étant de pousser le spectateur à se laisser aller et à remplir les vides lui-même.
Unidivers : Chaque récit a été créé indépendamment les uns et autres et peut se présenter individuellement. (At) the Crack of Dawn arrive en fin de parcours dans Les Miniatures. Au vu du travail de la lumière, le récit semble se lire comme une ouverture en fin de spectacle.
Nicole Mossoux : Un chemin dynamique était nécessaire dans la suggestion des idées. Le spectacle commence par Alecto (2018), une pièce très sombre où l’image est centrée sur la déesse vengeresse pour ensuite passer à Vice Versa (2015) et au cheminement de ces deux femmes avant de retourner à Alban (2017) l’image de l’homme fleur, prisonnier de ses pulsions de vie et de mort.
Le trio de (At) the Crack of Dawn (2018) vient en fin de spectacle comme il arrive en fin de soirée. Notre vision n’est peut-être pas celle du spectateur et ce point-là nous intéresse particulièrement, mais l’idée générale se résume à trois femmes qui se retrouvent sur la plage après une nuit improbable. Elles vont dépenser leurs dernières énergies dans un espace ouvert au lever du soleil – At crack of dawn se traduit par « À l’aube » en français.
« Sans parler d’optimisme, peut-être que (At) the Crack of Dawn agit comme une lueur, une ouverture sur la fin. Ça me plaît qu’elle se place en quatrième et dernière position… Nicole Mossoux (2018)
Unidivers : Quelle a été la réception du spectacle auprès du public ?
Nicole Mossoux : Vice Versa a déjà fait son chemin tout seul alors que les quatre ont été créés plus tardivement. Une session a été réalisée à Paris et Bruxelles. Les spectateurs n’ayant pas les mêmes histoires à raconter, les ressentis sont vraiment divers. Le mouvement lancinant de Vive Versa transporte les gens, mais il y a une chose très étrange, car au final, le public n’écoute pas vraiment le texte de la chanson. Ça n’a jamais gêné personne puisque c’est de l’ancien français et certains mot n’existent plus. L’histoire n’est qu’en arrière-plan et devient un support pour les danseuses et les spectateurs pour plonger dans un univers plus sensuel, la connivence de ces femmes plus que focalisé par le tragique de l’histoire. Si vous avez l’occasion de lire le texte intégral, vous vous rendrez compte à quel point l’histoire est horrible. Ce n’était pas rigolo à l’époque, mais en même temps cela rappelle des faits d’aujourd’hui…
Jeudi 17 janvier 2019 à 20 h au Triangle – Les Miniatures, Compagnie Mossoux-Bonté (Belgique). Durée 1 h 10
Vice Versa
Production : Compagnie Mossoux-Bonté, avec le soutien des Brigittines – Centre d’Art contemporain du Mouvement de la Ville de Bruxelles, de la Fédération Wallonie-Bruxelles, service de la danse et de Wallonie-Bruxelles International. Alban – Production : Compagnie Mossoux-Bonté, avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles, service de la danse de Wallonie-Bruxelles International. Conception et chorégraphie Nicole Mossoux / mise en scène Nicole Mossoux en collaboration avec Patrick Bonté / interprétation et participation à la chorégraphie Frauke Mariën, Shantala Pèpe / musique Les anneaux de Marianson, interpretation Michel Faubert – orchestration Jérôme Minière / montage son Thomas Turine / lumière Patrick Bonté / assistanat Julie Goldsteinas / directeur technique Jean-Jacques Deneumoustier
Alecto
conception Patrick Bonté / chorégraphie Patrick Bonté en collaboration avec Nicole Mossoux et Vilma Pitrinaite / interprétation Vilma Pitrinaite / lumière et bande son Patrick Bonté / maquillage et prothèse Rebecca Florès-Martinez / assistanat Wendy Toussaint / direction technique Jean-Jacques Deneumoustier
Alban
conception et chorégraphie Nicole Mossoux / mise en scène Nicole Mossoux en collaboration avec Patrick Bonté / participation à la chorégraphie Victor Dumont / interprétation Ives Thuwis / lumière Patrick Bonté / directeur technique Jean-Jacques Deneumoustier
(At) the Crack of Dawn
concept et chorégraphie Nicole Mossoux / mise en scène Nicole Mossoux, en collaboration avec Patrick Bonté / interprétation et participation à la chorégraphie Frauke Marlën, Shantala Pèpe, Vilma Pitrinaite / musique interprétations diverses des Gnossiennes d’Erik Satie / lumière Patrick Bonté
Site de la Compagnie Mossoux-Bonté / Facebook
TARIFS
18€ plein
13€ réduit
6€ -12 ans
4€ / 2€ SORTIR !
PASS Triangle :
13€ plein
10€ réduit
5€ -12 ans
AUTOUR DE
JEU. 17 JANV.
Culture Chorégraphique
Ciné Cité Danse