Rennes regorge d’illustrateurs et illustratrices aux univers multiples. Unidivers vous présente une série de portraits avec, aujourd’hui, Minuit Studio. Depuis 2017, le duo composé de Corentin et Paul propose un univers acidulé organique et géométrique à l’empreinte résolument artistique. Rencontre avec les deux graphistes et illustrateurs.
Unidivers — Quelle est votre histoire avec l’illustration ?
Corentin — Paul et moi travaillions déjà en binôme sur les projets de groupe quand nous étions en Licence Arts plastiques (Université Rennes 2). On avait la même conception du travail plastique et, en même temps, on était complémentaires sur certains points. Petit à petit, nous nous sommes intéressés aux logiciels de création numérique afin d’intégrer le Master Création et Management Numérique. Cette formation nous a montré les possibilités professionnelles dans les domaines du web, du numérique, du design et de l’illustration.
Paul — À l’issue du master, chacun a réalisé des stages afin de se forger une expérience professionnelle. Corentin s’est formé dans la conception d’interfaces auprès d’une agence de web design à Nantes et j’ai travaillé dans la communication interne et externe au siège Auchan à Lille – impressions grands formats et illustrations. L’idée de créer un projet à deux est venue après quelques expériences professionnelles et Minuit Studio a été lancé. Au début, il s’agissait uniquement de graphisme, web design et identité visuelle. L’illustration et le design n’ont été intégrés que plus tard à notre activité.
Peu importe l’école d’où tu viens, c’est la pratique personnelle qui fait la différence. La licence nous a appris à expérimenter et, finalement, c’est ce qu’on continue de faire.
Unidivers — À quel moment l’illustration et le design se sont-ils ajoutés à vos propositions justement ?
Paul — Cette envie est née de nos projets personnels. Notre formation de plasticiens est importante pour nous, on ne voulait pas seulement donner la priorité aux commandes professionnelles. Comme nous postions notre travail personnel — plus plastique — sur les réseaux sociaux, notre style et notre univers ont commencé à se faire connaître et à intéresser. Comme nos dernières commandes ne concernent que de l’illustration, cela nous permet de créer une patte artistique dans ce domaine en particulier.
Unidivers — Pourquoi Minuit Studio ?
Paul — Nous voulions un mot français et chantant. L’univers nocturne nous a toujours inspirés et les couleurs crépusculaires sont une palette colorimétrique qui se retrouve souvent dans nos créations.
Corentin — Le mot studio était important, on ne cherche pas à se revendiquer comme une agence. Nous essayons d’être un maximum polyvalent, mais Minuit Studio ne regroupe pas tous les corps de métier qu’une agence de communication peut avoir. Nous avions pensé à « Atelier » aussi, mais le mot sonnait trop plasticien… Studio était un bon entre-deux.
Unidivers — Comment est né votre style graphique ?
Paul : Le style de Minuit Studio est né de notre travail, aussi bien personnel que professionnel. On est tombés dans l’illustration un peu par hasard. On voulait travailler autour du design et du graphisme, mais nos projets tendaient naturellement vers des propositions illustrées, en s’éloignant des jeux de police au profit des jeux d’illustrations.
Corentin — On fait régulièrement des veilles graphiques à la recherche d’inspirations toujours plus actuelles. Il peut s’agir de studios ou d’agences dont le style nous parle particulièrement comme Graffiquants, le studio londonien La boca ou Parade Studio. À côté de ça, on adore la bande dessinée. Personnellement, je suis fan de Moebius ou des dessinateurs comme Peter Elson, connu pour ses couvertures de livres de science-fiction dans les années 70-80. C’est d’ailleurs un thème qui revient souvent dans nos créations.
Paul — Notre style ne cesse d’évoluer selon les inspirations, qui ne sont pas forcément des artistes d’ailleurs. Personnellement, j’aime beaucoup m’inspirer des choses simples, comme la nature, remplie de détails auxquels on ne prête pas attention. J’essaie de m’approprier tout ce que je peux voir.
Nous tendons de plus en plus vers des univers où des paysages mystérieux, qu’ils soient abstraits ou figuratifs, flirtent entre la réalité et la fiction.
Unidivers — L’exposition Archi-texture à l’Orangerie du Thabor a permis de découvrir cet univers dont vous parlez. Comment est née l’envie d’exposer votre travail ?
Corentin — On a toujours eu une pratique à côté de notre activité professionnelle et au final, on avait un corpus de créations suffisamment conséquent pour les mettre en valeur dans le cadre d’une exposition afin que les gens puissent les voir. Nous restons attachés au côté print et palpable de la création même si nous travaillons le numérique. La ville de Rennes a accepté de nous laisser l’Orangerie pour deux semaines.
Paul — Nous voulions exposer nos créations depuis longtemps, mais sans se précipiter. On peut s’attendre, en toute légitimité, à des affiches dans des cadres, mais une exposition avec des affiches simplement encadrées et accrochées au mur n’était pas le but. L’architecture et la géométrie étant une de nos sources d’inspiration, l’idée principale était donc de ne rien accrocher. Des structures en bois que l’on a conçues ont servi à exposer nos affiches, en papier. Elles sont simplement posées contre le mur afin de représenter une mise en relief.
Il y a un côté frustrant à travailler seulement sur de la 2D, nous voulions apporter du relief aux affiches, tout en étant ludique. En plus d’exposer nos projets, nous avons créé une structure avec des panneaux dont le public a pu moduler chaque pan et faire une proposition. Il s’agissait de motifs abstraits peints en noir et blanc sur le recto et le verso afin que la manipulation des panneaux donne toujours un résultat.
Corentin — Faire participer les gens était un travail inédit. Les gens adorent participer, cette constatation nous conforte dans l’idée de réaliser des projets plus interactifs. Quand l’œuvre a été pensée, on a imaginé deux compositions de base. On s’est rapidement rendu compte que le public était bien meilleur que nous en ce qui concerne les propositions (rires). On s’était laissé cette liberté de ne pas savoir ce que ça donnerait pour découvrir nous-mêmes ce que les gens pouvaient faire avec notre travail de base.
Unidivers — Privilégiez-vous les matériaux numériques ou papiers dans votre processus créatif ?
Paul — Corentin et moi avons une approche plutôt vintage, le crayon et le papier sont nos meilleurs amis. Tous nos projets naissent du dessin. On utilise une feuille pour deux ou chacun la sienne et on griffonne. L’un de nous peut avoir la première idée, puis on en discute ensemble. L’idée de base peut donner de nouvelles idées à l’autre et le projet évolue de cette manière, en se renvoyant la balle.
Corentin — Tous les projets sont réalisés à deux. Une fois que le dessin semble abouti, on passe au logiciel de création numérique. Les idées vont beaucoup plus vite sur papier et c’est une étape à laquelle on tient. Le logiciel numérique nous permet d’ajouter tout ce qui donne du relief : couleurs, textures, profondeur et ombres.
Paul —C’est l’étape la plus amusante, le logiciel offre une palette de couleurs infinie. On expérimente en se laissant la liberté de ne pas savoir jusqu’où on va. On ne pensait pas que la couleur prendrait autant de place, mais au final, c’est ce qui nous prend le plus de temps. On se retrouve parfois avec trois versions de la même affiche, mais avec des couleurs différentes. La couleur est devenue une caractéristique de notre travail.
Unidivers — Pouvez-vous me parler d’une de vos dernières créations, l’affiche de la Garden au château d’Apigné qui se déroule le 30 juin prochain ?
Corentin — L’association organisatrice Bre.Tone a l’habitude de changer de graphistes à chaque événement. Quand ils nous ont demandé de travailler sur le visuel de cette année, il nous a semblé important de mettre en avant l’endroit, magnifique en soi, et de l’illustrer dans une atmosphère estivale.
Des recherches en amont nous ont permis de ne pas tomber dans le cliché et l’illustration. L’idée générale est venue rapidement. J’ai commencé par l’ambiance générale de l’affiche, mais je restais bloqué sur le château. Paul est venu m’aider et s’est chargé de l’architecture du bâtiment. Le dessin a fait plusieurs allers-retours entre nous afin qu’on soit autant satisfait l’un que l’autre. L’affiche reste figurative, mais nous voulions conserver une atmosphère mystérieuse et irréelle, de par la taille du soleil et les couleurs surréalistes. Le toucan rappelle le côté exotique de la programmation et le feuillage au premier plan donne l’impression de pénétrer dans la scène. Cet univers nocturne devient un peu notre marque de fabrique.
Unidivers — Une marque de fabrique qui se confirme et que l’on effleurait déjà, de manière plus abstraite, dans les deux affiches pour le Festival Rituel…
Corentin —Le projet Rituel est très abstrait, à la demande des commanditaires. La liberté est quasi totale et permet de travailler des formes pures : sphères, carrés, etc.
Paul : La composition vient de la perspective, elle représente le pilier du projet. Avec des projets comme Rituel où l’abstraction est totale, on peut se lâcher, il faut seulement penser à une globalité cohérente. On navigue entre deux univers qui nous plaisent autant l’un que l’autre, entre la figuration architecturale et l’abstraction géométrique.
« Pour chaque projet, on essaie de donner à voir du visuellement beau, sans pour autant tout révéler, que les personnes fassent parler leur imagination et s’approprient l’illustration afin de se créer une histoire » Corentin.
Unidivers — Une petite anecdote sur votre premier projet en tant que professionnel ?
Paul — On s’en souvient très bien (rires). On a mis beaucoup trop de temps sur un tout petit projet. C’était la réalisation d’une carte de visite pour une paysagiste rennaise. Quand on commence, on a envie d’atteindre la perfection, mais cinq mois pour une carte de visite, c’est peut-être beaucoup…
Corentin — Dix versions ont dû être réalisées au total, on voulait tellement bien faire qu’on a noyé le client. Au bout de quatre mois, on est reparti sur une composition très simple et c’est ce qui a fonctionné.
Unidivers — Des projets personnels ou professionnels à venir ?
Corentin — On a commencé à travailler le bois avec l’exposition Archi-texture à l’Orangerie du Thabor et approfondi cette recherche avec une structure à base de planches de bois, découpées et peintes, pour une exposition à la galerie Capsule. On aimerait continuer dans cette direction et aller plus loin dans le travail tridimensionnel. On a découvert il y a peu la découpe au laser, ce qui nous a donné envie de travailler sur une série d’affiches en bois constituées de pièces noires de 5 mm d’épaisseur collées sur une planche de bois.
Paul — En gardant l’illustration comme activité principale, l’évolution en 3D semble la suite logique. L’Orangerie du Thabor présentait des affiches papier sur des supports en bois et la galerie Capsule nous a permis d’exposer une véritable installation en bois. La planche la plus haute mesurait 2 m 50 sur une envergure de 2 m 30. La structure change du format conventionnel de l’affiche (A1, A2,…). Le public pouvait tourner autour de l’œuvre et a pu appréhender notre pratique de manière différente avec ce même côté frontal et plat que l’on retrouve dans nos affiches. En relief : l’architecture, l’organique, etc.
Contact
Corentin Vigneron : 06 63 96 48 90
Paul Perretti : 06 12 75 21 34
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