À l’occasion du festival des Tombées de la Nuit 2021, l’association lagencevoid, fondée par Nicolas Goujon et Gwenn Pacotte, proposait une expérience inédite de cartographie sensible, Moshi Moshi. Du 2 juillet au 26 septembre, Rennais et touristes peuvent découvrir ou redécouvrir des lieux de la ville à travers un concept original : sur chaque lieu, un cartel avec un numéro de téléphone permettra d’écouter un message téléphonique d’un artiste racontant l’histoire personnelle qu’il entretient avec cet endroit.
Rennes, sa convivialité, sa vie animée, ses lieux emblématiques… Rien d’exceptionnel si l’on connaît déjà la ville comme sa poche. Maintenant, imaginez Rennes, sa convivialité, sa vie animée, ses lieux emblématiques… racontés en exclusivité par un artiste au téléphone. C’est le concept proposé par Moshi Moshi, la dernière création de lagencevoid. Créée en 2010 par Nicolas Goujon et Gwenn Pacotte, tous deux issus du monde de la musique, cette association a pour but de « produire des projets hybrides, entre arts vivants et numérique », selon la dernière nommée. Avec un mot d’ordre : mettre en valeur les processus créatifs plutôt qu’un résultat fini et définitif.
Au cœur du processus créatif
« Le but est d’éclairer les coulisses du travail artistique, de permettre au spectateur d’avoir accès à la démarche », abonde Gwenn Pacotte, par ailleurs chargée de projet éducation et numérique à la Ville de Rennes. « Beaucoup de temps est nécessaire pour faire émerger un projet. La phase de création donne à comprendre les projets, elle les fait évoluer, permet d’affiner les idées. C’est également une phase très coopérative, où l’on travaille avec d’autres. » Pour cela, lagencevoid ne se fixe aucune limite. « On prend le temps qu’il faut pour mener à bien les projets, les faire maturer, on ne se fixe pas d’échéance et on n’en fixe pas aux artistes avec qui on travaille », complète Nicolas Goujon, qui travaille comme régisseur général au Conservatoire à rayonnement régional de Rennes. « On ne sort un projet que lorsque l’on sent que l’on ne peut rien lui apporter de plus ».
Et Moshi Moshi ne déroge pas à la règle : il a maturé durant un an, passant par des phases de « haute technicité » dixit Gwenn Pacotte, pour revenir à des choses « plus simples ». « L’idée première de ce projet était de faire se raconter par eux-mêmes les jardins, les bâtiments de Rennes », précise Nicolas Goujon. Pour tester cette idée, lui et Gwenn envoient à des artistes une proposition : enregistrer un message téléphonique dans lequel ils racontent une anecdote ou un souvenir en lien avec un lieu de la ville, qu’ils soient Rennais de naissance ou d’adoption, qu’il aient vécu à Rennes ou y soient simplement passés le temps d’une tournée.
Le réel sous le prisme des sens
Une expérience de cartographie sensible, donnant à voir le réel sous le prisme des perceptions et des sens, et qui constitue l’un des thèmes de prédilection de lagencevoid. L’association avait mis sur pied en 2014 une installation revisitant les Chants d’Oiseaux d’Olivier Messiaen, en donnant à écouter non pas l’œuvre finie, mais le processus de captation : une partie avec des chants d’oiseaux, une partie où le spectateur pouvait entendre des transcriptions musicales de ces chants, et une partie où était jouée l’œuvre originale de Messiaen. « On aime bien faire remonter des choses qui ne sont pas visibles, mettre en avant ce qui n’apparaît pas comme une évidence première », explique Nicolas Goujon.
Au total, une quarantaine d’artistes, principalement musiciens, ont joué le jeu. Si les racines musicales des deux fondateurs de lagencevoid ont incontestablement joué un rôle dans la mise en valeur d’artistes musiciens et compositeurs, c’est surtout le hasard qui a bien fait les choses. « Très vite, on s’est rendu compte que beaucoup d’artistes musiciens avaient une anecdote à raconter, donc le projet a évolué vers ce qu’il est aujourd’hui », explique Gwenn Pacotte. « Mais dans un second temps, on a en quelque sorte extrapolé vers des personnalités issues plus largement du monde de la production musicale : photographes, producteurs… » « À l’avenir, on aimerait revenir à l’idée originelle, c’est-à-dire se concentrer sur les créateurs et créatrices à Rennes : architectes, designers, auteurs… » , complète Nicolas Goujon.
La démocratisation de l’expérience sensible
Concrètement, Moshi Moshi consistera en des cartels posés devant chaque lieu raconté, indiquant le nom de l’artiste et le numéro de téléphone à contacter (un pour chaque artiste). Le choix du téléphone comme médium répond à la volonté de rendre l’expérience accessible à tous. « Ce qui nous importait était de permettre une relation sensible avec l’artiste », détaille Nicolas Goujon. « À partir de là, on s’est demandés comment rendre accessible au plus grand nombre cette relation. On avait imaginé un temps mettre en place un système de casques Bluetooth, puis on s’est recentrés sur le téléphone, car presque tout le monde en possède un, et l’on n’est pas obligé d’avoir du réseau ». « Cela permet également d’avoir une équité dans la réception des récits sensibles : chacun a accès au même message », ajoute Gwenn Pacotte.
Les artistes parlent plus du bien-être qu’ils ressentaient lorsqu’ils étaient dans ces lieux, qui symbolisent pour certains un début, une naissance, que de leur musique à proprement parler
Nicolas Goujon, co-fondateur de lagencevoid
Toujours dans un souci de démocratisation de l’accès à la relation sensible, une plateforme numérique sera ouverte en plus du format déambulatoire et proposera une cartographie interactive aux spectateurs qui ne voudront ou ne pourront pas se déplacer. Le format numérique présente aussi l’avantage d’offrir un taux de compression moindre que celui du format téléphonique et permettra ainsi d’accompagner les messages d’un fond sonore ou musical.
Authenticité et mémoire collective
Le titre Moshi Moshi renvoie à la culture japonaise. Dans la mythologie locale, le renard Kitsune, un démon très facétieux, a le pouvoir de se faire passer pour un être humain. Pour le démasquer, et prouver que l’on est de bonne foi, il est d’usage au Japon de dire « moshi moshi » lorsque l’on décroche le téléphone, car cette formule est impossible à prononcer pour le renard. Un message d’authenticité qui caractérise la démarche de Moshi Moshi. « L’idée est de donner à comprendre que ce sont de vrais messages, faits par les artistes eux-mêmes, qui ont carte blanche. On est vraiment dans l’intimité des artistes », précise Gwenn Pacotte. « Les artistes parlent plus du bien-être qu’ils ressentaient lorsqu’ils étaient dans ces lieux, qui symbolisent pour certains un début, une naissance, que de leur musique à proprement parler. Ils ne sont pas là pour faire leur promotion », complète Nicolas Goujon.
Moshi Moshi, c’est aussi une histoire collective, qui fait écho à la diversité créative de la ville, comme le souligne Gwenn Pacotte : « Tous les messages font l’histoire de la ville à différentes périodes, sur une temporalité assez longue, en mélangeant les esthétiques. On pourrait presque imaginer conserver ces messages comme une sorte de mémoire collective, autour de la musique en ville. »
ON PENSAIT TRAVAILLER AVEC DIX ARTISTES, ON en a eu quarante-cinq !
Gwenn Pacotte, co-fondatrice de lagencevoid
Une réédition prévue en septembre
Les lieux choisis sont à la fois des lieux emblématiques de la ville et des lieux plus inattendus mais avec lesquels les artistes entretiennent une histoire particulière. « Les lieux emblématiques ont été ceux qui ont mis le plus de temps à émerger », constate Nicolas Goujon. « Comme les lieux sont très liés à l’intime, on a plutôt des endroits communs : appartements, lieux de vie, de rencontre. Les artistes ont pris du temps entre la commande et la restitution, pour réfléchir, faire, refaire, être rassurés, envoyer des messages… En général, on leur dit que c’est bien, car on veut qu’ils fassent comme ils le sentent ! » ajoute-t-il en riant.
Côté artistes, motus et bouche cousue sur leur identité : il faudra prendre son mal en patience jusqu’au 2 juillet ! Une chose est sûre, ni Nicolas Goujon ni Gwenn Pacotte ne s’attendaient à un tel engouement des participants pour le projet. À tel point qu’une réédition de Moshi Moshi sera présentée au festival I’m from Rennes en septembre avec une programmation complémentaire, fait rare car lagencevoid attache une grande importance à l’unicité de ses travaux. « On pensait travailler avec dix artistes, on en a eu quarante-cinq ! » s’exclame Gwenn Pacotte. Et Nicolas Goujon de renchérir : « Très peu ont dit non. Quand il y a eu des refus, ce n’était pas parce que le projet ne les intéressait pas, mais parce qu’ils n’étaient pas très à l’aise avec la parole enregistrée. C’est tendu quand même, de se raconter au téléphone… » Gageons que le même engouement soit au rendez-vous côté public.