Publié en juin 2024 chez Peninsula Press et rapidement distingué par une sélection au Walter Scott Prize for Historical Fiction, Mother Naked s’impose comme l’un des romans les plus singuliers de ces dernières années dans le champ de la fiction historique. Glen James Brown, déjà remarqué pour Ironopolis, confirme ici sa capacité à puiser dans les silences de l’Histoire pour inventer une parole qui n’appartient qu’à lui. Il parait fin août traduit en français aux éditions du Typhon.
Le récit prend la forme d’un monologue scénique, prononcé en 1434 par un vieux ménestrel réfugié dans la cathédrale durant la la fête des marchands et des nobles de Durham par une nuit d’orage. Alors qu’ils s’attendaient à ce que le ménestrel Mother Naked s’en tienne à son rang, c’est une tout autre attitude qu’il adopte à mesure des histoires contées. Celles de la famille Payne et de la famille Deepslough, celles des mauvaises récoltes et des rivalités grandissantes, celles d’un spectre et de la peur qu’il sème. Mais eux, ces puissants, qui plus que de raison s’enivrent, quel rôle tiennent-ils dans ces histoires troublantes ?
Son nom improbable – Mother Naked – est tiré d’un registre ancien, trace infime que Brown exhume et magnifie. En choisissant la voix d’un conteur marginal pour s’adresser aux puissants du clergé, l’auteur brouille les frontières entre théâtre, sermon et roman. Tout le texte respire l’oralité : rythmes syncopés, images brutales, récits enchâssés. Lire Mother Naked, c’est assister à une performance imaginaire où le verbe claque comme un fouet sur les pierres gothiques.
Par une nuit d’orage de l’an 1434, l’arrivée d’un étrange musicien perturbe la fête des marchands et des nobles de Durham. Alors qu’ils s’attendaient à ce que le ménestrel Mother Naked s’en tienne à son rang, c’est une tout autre attitude qu’il adopte à mesure des histoires contées. Celles de la famille Payne et de la famille Deepslough, celles des mauvaises récoltes et des rivalités grandissantes, celles d’un spectre et de la peur qu’il sème. Mais eux, ces puissants, qui plus que de raison s’enivrent, quel rôle tiennent-ils dans ces histoires troublantes ?
Au cœur de cette improvisation se déploie la légende du Fell Wraith, spectre sanglant des collines, figure à la fois folklorique et politique. Brown ne cède pas au pittoresque médiéval : il rappelle que ce monde sort à peine de la peste noire et des révoltes paysannes. La rumeur du surnaturel n’est ici qu’un voile posé sur des réalités de violence sociale et de domination. Ainsi, derrière la parabole du “walking ghost” se lisent les humiliations, les famines, la colère rentrée des sans-voix. L’auteur réussit à faire parler l’Histoire depuis ses marges, avec une vigueur qui n’est pas sans rappeler Hilary Mantel, mais dans une langue plus abrasive, plus musicale.
Ce qui emporte le lecteur, c’est le style incandescent de Brown. Sa prose, tendue entre érudition et gouaille, mêle archaïsmes et fulgurances contemporaines. Le narrateur oscille entre le grotesque et le sublime : une trivialité charnelle voisine avec des visions quasi mystiques. Cet alliage donne au texte une densité rare, où l’on perçoit les échos du théâtre élisabéthain comme des éclats de poésie moderne. On y retrouve aussi une veine rabelaisienne, portée par une énergie verbale qui refuse l’aseptisation du passé.
Au-delà de l’expérience esthétique, Mother Naked interroge le rapport entre récit et pouvoir. Que se passe-t-il lorsqu’un homme pauvre, vieilli, brisé, prend la parole devant ceux qui règnent sur son monde ? Le roman devient alors une réflexion sur la fonction même de la littérature : dire ce qui n’a pas été dit, arracher à l’oubli les existences écrasées. Brown réinvente une archive fictive pour combler un gouffre de silence.
Mother Naked est un roman d’une audace formelle et d’une humanité vibrante, une pièce immersive à apprivoiser, sauvage, à la fois érudite et viscérale.

