Erell Duclos aux élections municipales de Rennes de mars 2026. Étudiante en master à Rennes 2, assistante d’éducation et élue au conseil d’administration de l’université, elle mènera une liste estampillée Révolution Permanente qui est composée de travailleurs de la santé, de la culture, de l’éducation, de la restauration et d’étudiants rennais.
Le mouvement organise un premier comité de campagne le 3 décembre, à 19 h, au Bâtiment à modeler, 2 rue de Trasbot à Rennes, pour lancer la dynamique militante.
Dans son clip de campagne, la candidate et son organisation annoncent la couleur :
– dénonciation de la « gentrification », de « l’explosion des loyers », de la « répression » à Rennes ;
– critique frontale du bilan de Nathalie Appéré (PS) et plus largement de « la gauche institutionnelle » ;
– promesse d’« un projet de gauche de combat », pensé comme rupture avec le capitalisme et non simple alternance gestionnaire.
À gauche, cette candidature vient s’ajouter à un paysage déjà très fragmenté :
– la maire sortante Nathalie Appéré repart avec une large coalition PS–PCF–écologistes–UDB,
– Marie Mesmeur représente La France insoumise,
– l’insoumis dissident Ulysse Rabaté mène sa propre liste « Rennes Commune ».
Révolution Permanente s’inscrit donc à l’extrême gauche de cet ensemble, avec une ambition déclarée : se poser en pôle révolutionnaire distinct des forces de gauche dites « institutionnelles ».
De tendance interne du NPA à parti révolutionnaire
Révolution Permanente n’est pas un « simple » média militant. C’est d’abord un courant politique précis :
- Issu du Courant Communiste Révolutionnaire (CCR), tendance trotskiste interne du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) jusqu’à la scission de 2021.
- Devenu organisation autonome, puis parti politique à part entière en 2022, avec l’ambition de construire un « parti révolutionnaire de masse ».
- Adossé à un réseau international trotskiste (Fraction trotskyste – Quatrième Internationale), avec des sites frères en Amérique latine, en Europe et aux États-Unis.
- Porté en France par des figures comme le cheminot Anasse Kazib, candidat malheureux à la présidentielle de 2022 faute de parrainages.
Le site revolutionpermanente.fr est le porte-voix de cette organisation. C’est un quotidien politique assumé qui revendique un point de vue situé « du côté des travailleurs, de la jeunesse, des femmes, des personnes LGBT, des quartiers populaires et de tous les exploités et opprimés ».
Une identité idéologique nette : marxisme, léninisme, trotskisme et rupture révolutionnaire
Sur le plan doctrinal, Révolution Permanente revendique sans ambiguïté son inscription dans l’extrême gauche révolutionnaire trotskiste. Les références affichées forment un bloc cohérent :
- Communisme, marxisme, léninisme, trotskisme : référence à la tradition de la Quatrième Internationale, à la théorie de la révolution permanente et à la centralité politique du prolétariat.
- Anticapitalisme radical : il ne s’agit pas d’« aménager » le capitalisme, mais de le renverser ; l’horizon n’est pas un gouvernement de gauche gestionnaire, mais une rupture révolutionnaire.
- Internationalisme et anti-impérialisme : refus de choisir un camp entre les blocs impérialistes (ni OTAN ni Poutine, par exemple), soutien prioritaire aux luttes des peuples opprimés et des travailleurs.
- Forte critique de la gauche institutionnelle : PS, PCF, écologistes, mais aussi La France insoumise sont accusés de réformisme, de gestion loyale du cadre capitaliste ou de dérives « institutionnelles ».
- Centralité des luttes sociales : grèves, blocages, occupations, coordinations interprofessionnelles sont conçus comme la matrice de la transformation politique, plus que les campagnes électorales.
La candidature rennaise s’inscrit dans cette logique. L’élection municipale est d’abord envisagée comme une tribune pour un discours de rupture, un moyen de rendre visibles des militants et des secteurs sociaux (cheminots, soignants, étudiants, travailleurs de la restauration, etc.), plutôt qu’une perspective d’entrée dans une majorité de gestion.
Un trotskisme « post-68 » : féminisme, antiracisme et LGBTQI+ au cœur du discours
L’un des points qui peut surprendre, compte tenu de l’histoire des régimes communistes, est l’importance donnée par Révolution Permanente aux luttes féministes, à la défense des personnes LGBTQI+ et à l’antiracisme. Le mouvement dispose par exemple d’une organisation féministe associée, Du Pain et des Roses, et consacre de nombreuses rubriques aux violences sexistes et sexuelles, aux discriminations, au racisme structurel ou aux violences policières. Ce positionnement tranche nettement avec le conservatisme moral des anciens États communistes (encore aujourd’hui en Russie, Chine et Corée du Nord) où :
- la famille nucléaire est valorisée comme cellule de base de la société socialiste ;
- l’homosexualité est souvent criminalisée ou psychiatrisée ;
- les féminismes autonomes et les mouvements gays/lesbiens sont réprimés comme déviances « petites-bourgeoises ».
La clé, c’est que Révolution Permanente va revendiquer appartenir non pas à ce marxisme d’État conservateur, mais au courant du trotskisme occidental “post-68” :
- Ce courant s’est construit contre les bureaucraties soviétiques et chinoises, qu’il considère comme des trahisons de la révolution.
- Il a intégré progressivement les luttes issues de Mai 68 et des décennies suivantes : féminisme radical, mouvements gays et lesbiens, luttes antiracistes post-coloniales, puis revendications trans et queer.
- Il lit les oppressions de genre, de race et de sexualité comme des outils de division de la classe ouvrière, qui doivent être combattus de front pour permettre une véritable unité de classe.
D’où un discours aujourd’hui très affirmé :
– soutien aux luttes féministes contre les violences sexistes,
– dénonciation de « l’islamophobie d’État »,
– défense des droits des personnes LGBTQI+,
– critique des lois sécuritaires (loi « séparatisme », lois immigration) comme instruments combinés de contrôle social et de stigmatisation.
Ce n’est pas un prolongement naturel du marxisme historique, mais une réinterprétation contemporaine du marxisme à la lumière des nouveaux mouvements sociaux.
À Rennes, gentrification, loyers et gestion PS dans le viseur
Sur le terrain rennais, la campagne de Révolution Permanente se structure autour de quelques axes principaux, déjà visibles dans leurs textes et dans les prises de position locales d’Erell Duclos ces dernières années :
- Gentrification et explosion des loyers : critique de la hausse des prix du logement, de la transformation du centre-ville et de certains quartiers populaires, du rôle des grands investisseurs et des politiques urbaines jugées trop favorables aux classes moyennes supérieures.
- Précarité étudiante et jeunesse : à partir de l’ancrage de la candidate à Rennes 2, dénonciation de l’austérité universitaire, des conditions de vie étudiante (logement, bourses, jobs précaires), du tri social à l’université.
- Violences policières et restriction des libertés : critique de la gestion policière des manifestations, des occupations étudiantes, des rassemblements dans les quartiers populaires ou autour des hôpitaux.
- Bilan de Nathalie Appéré et du PS : le long règne socialiste sur la ville est présenté comme un “pseudo modèle de gauche” qui accompagne en réalité les logiques de marché et de sécurité tout en se parant d’un discours progressiste.
Dans cette optique, la mairie de Rennes apparaît comme un laboratoire local de ce que Révolution Permanente critique à l’échelle nationale, autrement dit une gauche de gouvernement qui, selon eux, parle d’écologie, de solidarité et de féminisme, mais reconduit les structures économiques et policières du capitalisme.
Une candidature-tribune dans un champ politique déjà saturé
Que peut réellement peser une liste Révolution Permanente dans une ville où le bloc PS–écologistes–alliés est historiquement dominant et où la gauche se présente très divisée ?
Au plan électoral, le seuil de 5 % est nécessaire pour être pris en compte dans la répartition proportionnelle des sièges, et celui de 10 % pour se maintenir au second tour. Pour l’instant, il est impossible de mesurer le potentiel de Révolution Permanente à Rennes, mais on peut l’estimer à moins de 1%. Ainsi l’hypothèse la plus probable, au regard des précédents nationaux, est celle d’une candidature qui vise d’abord à :
- installer un nom et une identité politique dans le paysage rennais ;
- faire exister un discours de rupture à la gauche de LFI, du PCF et des écologistes ;
- servir de relais aux luttes locales (étudiantes, hospitalières, du secteur culturel, etc.) en leur offrant un porte-voix institutionnel potentiel au conseil municipal.
Dans la logique de Révolution Permanente, l’enjeu n’est pas de participer à une coalition municipale autour du PS ou d’une gauche élargie, mais de construire un pôle strictement d’opposition de classe. Même en obtenant aucun élu, l’organisation considère la campagne comme un moment de politisation, de recrutement militant et de structuration d’un courant durable.
Un test grandeur nature pour un trotskisme “nouvelle génération”
La candidature d’Erell Duclos à Rennes constituera donc un test double :
- Test local : le discours d’une « gauche de combat », très ancré dans les luttes sociales, antiracistes, féministes et LGBTQI+, peut-il trouver un écho significatif dans une ville où la gauche de gestion est solidement installée et où les habitants sont déjà très sollicités par plusieurs listes de gauche ?
- Test national : Révolution Permanente parviendra-t-elle à s’implanter durablement comme nouvel acteur de l’extrême gauche, distinct à la fois du NPA, de Lutte ouvrière et de La France insoumise, en assumant un trotskisme occidentale nouvelle génération qui combine lutte de classes et luttes contre les oppressions ?
Le premier comité de campagne du 3 décembre au Bâtiment à modeler donnera un premier indice. La capacité de mobilisation de cette jeune candidate rennaise dira beaucoup de la place qu’un tel discours, radical, très théorisé et très théorique, peut prendre aujourd’hui dans une métropole marquée à la fois par son dynamisme universitaire, sa tradition de gauche et ses tensions sociales croissantes. A voir.
Un « parti révolutionnaire de masse » au XXIe siècle : pari héroïque ou anachronisme assumé ?
Derrière la candidature d’Erell Duclos se profile un projet plus vaste : « construire un parti révolutionnaire de masse ». La formule, héritée du vocabulaire du XXe siècle, résonne étrangement dans un monde où les grandes appartenances politiques se délitent, où les partis perdent des adhérents, où les engagements passent plus volontiers par des collectifs éphémères, des réseaux sociaux ou des causes ponctuelles que par l’encartement durable. À l’ère des trajectoires individuelles fragmentées, des sociabilités numériques et de la défiance envers toute organisation « lourde », le rêve d’un grand parti discipliné, implanté dans toutes les strates du salariat, semble relever autant de la nostalgie que de la prospective.
Les militants de Révolution Permanente défendront au contraire l’idée d’un pari à contre-courant. Les crises sociales, écologiques et géopolitiques à venir pourraient re-massifier les comportements politiques, susciter des blocs antagonistes plus nets, et rendre à nouveau pensable un parti enraciné dans des secteurs entiers de la population. Reste que l’histoire du XXe siècle pèse de tout son poids. Partout où des partis se réclamant du communisme ont conquis l’État, ils ont rapidement basculé dans des formes de pouvoir autoritaire, si ce n’est totalitaire. Dans une ville comme Rennes, au XXIe siècle, la question demeure donc ouverte, et même brûlante : que signifie encore vouloir bâtir un « parti révolutionnaire de masse » alors que les sociétés contemporaines se vivent au pluriel, en archipels, et se méfient autant des dérives bureaucratiques que des promesses de salut historique ?
Alors, que changerait vraiment l’accession au pouvoir d’une telle formation ?
En l’état, la probabilité que Révolution Permanente dépasse le seuil de 1 % à Rennes reste objectivement faible. Mais la question mérite d’être posée, précisément parce qu’elle oblige à sortir du seul registre de la posture : que changerait concrètement, pour la ville, l’accession au pouvoir d’une formation communiste révolutionnaire de ce type ?
Sur le papier, un pouvoir municipal porté par Révolution Permanente signifierait :
- une confrontation assumée avec l’État et les préfets sur les questions de logement, de police, de sans-papiers, de gestion des espaces publics ;
- une volonté de remettre en cause des pans entiers de la propriété privée urbaine (foncier, immobilier, grandes enseignes), avec tout ce que cela suppose de conflits juridiques et politiques ;
- une municipalité pensée comme instrument de mobilisation et non comme simple appareil de gestion : budgets participatifs de lutte, soutien direct aux grèves, aux occupations, aux collectifs de quartier.
Mais cette projection théorique se heurte à une autre question, lourde, inévitable, que l’histoire impose à toute formation qui se revendique du communisme. Car, comme nous l’avons dit, aucun régime se réclamant du communisme arrivé au pouvoir au XXe siècle n’a su tenir la promesse proclamée d’un gouvernement “par et pour le peuple”. De Moscou à Pékin, de Phnom Penh à Bucarest, toutes ces expériences ont dérivé – plus ou moins rapidement – vers des formes de pouvoir autoritaire ou totalitaire :
– parti unique,
– État policier,
– criminalisation de l’opposition,
– emprisonnements massifs, tortures et exécutions d’opposants.
Le bilan humain des régimes communistes du XXe siècle, tel qu’il est avancé par certains travaux (notamment ceux popularisés par le Livre noir du communisme), se chiffre en dizaines et dizaines de millions de morts, parfois résumés par la formule de “près de 100 millions”, toutes causes confondues (famine politique, répression, camps, purges, guerres civiles).
Certes, les militants de Révolution Permanente répondent qu’ils ne se réclament pas de ces expériences étatiques, qu’ils s’inscrivent dans une autre tradition – celle d’un trotskisme anti-stalinien, “démocratique”, qui prétend éviter la dérive bureaucratique. Il n’empêche. Pour beaucoup de citoyens de gauche ou non, la question philosophique et morale demeure, brutale dans sa forme :
Peut-on vraiment continuer à se dire communiste après que tous les régimes qui ont mis en pratique cette idéologie ont laissé derrière eux un tel cortège de morts, de dictatures et d’États policiers ?
En posant cette question en bout de course, il ne s’agit pas de disqualifier d’emblée la candidature d’Erell Duclos ni d’interdire à quiconque de se revendiquer d’une tradition théorique. Il s’agit de rappeler que, derrière les slogans séduisants de « gauche de combat » et de « pouvoir au peuple », se joue une tension qui traverse tout le XXe siècle et qui se prolonge aujourd’hui jusque dans les municipales rennaises. À chacun, à Rennes comme ailleurs, de mesurer ce paradoxe avant de glisser un bulletin dans l’urne.
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