Tout va très bien, le monde vacille… tel était le nom de cette soirée de mercredi à Mythos qui a vu le Cabaret botanique faire salle comble… Tout va très bien, tout le monde était fébrile à l’heure où débutait le concert de Dominique A. tant l’affluence était imposante. Tant et si bien que la musique débuta même… avant que l’ensemble du public ait pu entrer sous l’agréable mythomaniaque chapiteau. Un tel accroc mineur et impromptu peut-il faire chavirer l’alchimie fragile entre un artiste et son public ?
Toujours est-il que la « sauce » tarda à prendre malgré une fameuse et sérieuse entrée en matière. Les temps sont durs et les poètes ne peuvent rien à l’affaire. Malgré l’humeur affable du chanteur, une partie du public se composait pour l’essentiel des auditeurs de la dernière heure, ils étaient venus pour entendre le charmeur récent album « Vers les lueurs »…
La déclamation fut moins hypnotique, le charme moins ravageur que lors du dernier passage à Rennes qui fut littéralement exceptionnel. Cela fait seulement et à peine neuf mois que Dominique A a incendié notre bonne ville avec cet ébouriffant spectacle aux Tombées de la Nuit (voir notre vidéo). Depuis lors a eu lieu toute une tournée. Et, certainement, plein de bordées, de quarts, d’exils et d’exit… Alors, on peut comprendre que l’exécution fut moins tendue, voire mécanique.
À Unidivers, nos lecteurs le savent, nous l’aimons bien (beaucoup ?) monsieur A. Alors, qu’il soit un peu fébrile et pas trop « bavard » (« toi tu n’as pas d’histoire on t’entend pas beaucoup » La Relève), on le lui pardonnera facilement. Bien qu’il était hier, comme il le souligna lui-même, l’invité d’un festival des arts de la parole ! Mais surtout, parce qu’il sait toujours, avec le même zèle électrexpresionniste, nous fondre en limpides luminobscurités aussi glaçantes que chaleureuses dans des monde-moments de pure fébrilité réalistonirique !
Toujours, son bras mi-serpentin mi-aile de sombre archange intime l’ordre métronomique des histoires qu’il nous conte depuis sa stature paradoxale de perpétuel poète statique et gesticulant… Et quel voyage tout de même, glacial et glaçant, crépitant et haletant, que L’Horizon toujours proche et toujours fuyant comme cette voix qui serpente et s’affirme, s’élève et tambourine… On s’accroche alors. Sur la scène, là, il y a vraiment quelqu’un ! Une parole sonique dans un corps presque insensé… (« des transactions se font presque sur notre dos, nous n’en retirons rien que le goût de la peau… » Le Commerce de l’eau)
Ce ne fut pas le feu grégeois de la furie sonique du dernier juillet rennais… Non ! Ce fut plus mécanique dans le déroulé… Mais ce fut, quand même, un électrique incendie de mots serpentant et percutant l’acier d’une instrumentation… orpheline de ces instruments à vent sur les titres du dernier album. Et ce, jusqu’à une interprétation malheureuse du commerce de l’eau qui a connu la crise……
Mais ce fut également un énergétique instant de poésie à haute teneur tectonique avec les revisitations des « classiques » : Le Courage des oiseaux (en mode électro), Bowling (quelle fougue romanesque dans cette fade histoire de banale soirée hystérique…) Le faussaire (aux accents contre-toniques) ou, encore, la si coupante et sensuelle Pour la peau. Au final, les lueurs nouvelles tranchent… mais moins qu’avec l’appui des incisifs vents de l’album… Quant aux « classiques » (trop attendus peut-être ?) se sera surtout l’acuité des mots – que Dominique A. sait si bien faire notes acérées et claquantes – qui emporteront l’adhésion (mention spécialement incendiaire à la version éclatante du Faussaire)…
Qu’est-ce qui peut faire vaciller un monde ? Une salle comble du Cabaret botanique serait susceptible de répondre à cette question (à l’exception des enquiquinants parleurs et passeurs qui semblent venir aux concerts pour le plaisir de bavasser ou de girovaguer sur fond sonore) ! Oui, vraiment l’alchimie entre un public et un poète est bien complexe. À quoi et qui tient l’envie ? Voilà une fructueuse thématique pour un festival des arts de la parole…
Thierry Jolif