Par petites touches et autant de brefs récits, Naomi Fontaine nous raconte dans ce livre, publié aux éditions Mémoire d’encrier, plus que son histoire, plus que la mémoire et la vie de son peuple. Son héritage et ses espoirs. Elle vient d’Uashat, une modeste baie dans le golfe du Saint Laurent au Québec. Là se situe le Nitassinan, une terre Innue.
Ce livre est une peinture réalisée au nom des petits, des laissés pour compte, des effacés, de celles et ceux qui ont porté longtemps la honte de leurs origines. Des enfants qui apprendront à désapprendre ce qu’ils étaient, dans des pensionnats, loin des leurs familles et de leurs terres. Ou à courir dans la cour de l’école de jour séparant les peaux brunes des blanches sous les regards imperturbables des frères et des bonnes sœurs quand se crient les mots, maudits sauvages. Dans un froid si froid. Des enfants qui ne reconnaîtront plus à leur retour chez eux les leurs, ne sauront plus d’où ils viennent. De loin, de si loin. Des silences, de ce si grand silence, il fallait bien un jour convoquer la parole, rompre la dépossession de soi.

Et cette parole est authentique, elle est partage et dépasse la colère. Elle raconte sans hausser le ton un espace de culture, de résistance et de dignité où se retrouver ensemble et lire sur les visages ce que les yeux des aînés ont vu, ont appris. Cet espace de mille rivières et de forêts premières, de pêche et de trappe où chacun doit bûcher le bois pour l’hiver, tirer les outardes, les lièvres et jusqu’aux caribous afin de se nourrir au plus juste. Là où les vents plient les arbres et chantent. Ce territoire et cette nature fondent l’identité Innue, nous dit-elle. Et la liberté n’est écrite sur aucune carte, ajoute-t-elle aussi. Comment ne pas retrouver ici les accents de Kuessipan ?
De ces courts extraits de vie – instants suspendus, témoignages, anecdotes à valeur universelle par leur simplicité même, entrelacés de passages autobiographiques faits d’autant de bonheurs que de blessures et de vérités sans concession, nous entendons cette fierté des siens, de ces femmes aux corps épuisés par trop de naissances, de ces maisons ouvertes aux souffles du nord où survivre malgré et contre tout. Et même contre soi. Nous apprenons comment la pauvreté s’installe sans bruit dans les réserves, des lieux de misère dans les regards des Blancs voilà encore à peine vingt ans.
« Rien n’indiquait que notre histoire nous survivrait mais nous avons cru. Là, dans nos cabanes en bois, privés de nos enfants, enfermés dans ces réserves que nous n’avons pas choisies, c’est tout ce qu’on avait, tout ce qui nous restait.
Croire en l’impossible.
Espérer. »
Les Innus ont plus à dire au monde qu’ils ne l’ont dit encore pour peu que l’ancien et le moderne se parlent, pour peu qu’ils fassent langue et culture. Et si Naomi en fait ici la promesse à son peuple, elle n’oublie jamais au fil des pages de rendre un vibrant hommage à sa mère et aux siens. Voilà à mon sens de quel bois est fait Eka Ashate.
Eka ashate, ne flanche pas, éditions Mémoire d’encrier, 180 pages, 19€, en librairie le 2 septembre.
Rencontre littéraire avec Naomi Fontaine à la Médiathèque de la Canopée le 27 septembre 2025, Paris.
PS : Un mot encore. Je n’ai cessé de penser en lisant Naomi Fontaine à Elicura Chihuailaf, cet écrivain Mapuche de l’autre bout du monde, et à ce bleu du ciel et des rêves qui l’accompagne chaque jour dans un même combat. Une invitation à une rencontre ?
