La basilique engloutie du lac d’Iznik : une énigme byzantine qui refait surface

2941
iznik nicee basilique

Sous les eaux tranquilles du lac d’Iznik, en Turquie, sommeillaient depuis des siècles les vestiges oubliés d’un édifice religieux chrétien orthodoxe. Découverte par hasard en 2014, cette basilique immergée réveille aujourd’hui les passions des archéologues et des historiens. Un voyage captivant aux confins de l’histoire byzantine.

Tout commence en 2014, lors d’un banal survol du lac d’Iznik — l’antique Nicée — situé à 200 km à l’est d’Istanbul. En mission d’inventaire culturel, les autorités turques repèrent sous les eaux peu profondes des formes régulières, presque géométriques : les contours d’une basilique antique apparaissent distinctement sur les clichés. Le réchauffement climatique et la baisse progressive du niveau du lac auront, sans le vouloir, permis à ce trésor submergé de refaire surface.

Rapidement, la communauté archéologique s’empare de la découverte. Car cette basilique ne gît pas n’importe où : à Iznik, berceau du premier concile œcuménique de 325, lieu fondamental du christianisme primitif orthodoxe et du monde byzantin.

Sous la direction du professeur Mustafa Şahin (Université Uludağ), une équipe internationale de chercheurs s’engage dans une vaste enquête multidisciplinaire. Turquie, France, Italie, Vatican, Angleterre : historiens de l’art, archéologues, sismologues, paléoenvironnementalistes conjuguent leurs savoirs pour percer les mystères de cet édifice.

L’analyse des structures indique que la basilique daterait du IVe ou du Ve siècle, en pleine période de consolidation du christianisme dans l’Empire romain d’Orient. Elle aurait probablement été dédiée à saint Néophyte, martyr de Nicée, très vénéré dans la région. Plusieurs hypothèses sont avancées quant à sa destruction : un séisme majeur survenu en 740, mentionné dans les sources byzantines, pourrait être responsable de son effondrement puis de son engloutissement progressif.

La localisation de la basilique à proximité immédiate du rivage antique nourrit aussi des spéculations passionnantes. Était-elle édifiée sur un site paléochrétien majeur, à l’endroit même où le martyre de Néophyte aurait été perpétré ? Servait-elle de monument commémoratif aux premières communautés chrétiennes de Bithynie, persécutées avant Constantin ?

Le travail minutieux des chercheurs combine plongées sous-marines, modélisations 3D et analyses de fragments architecturaux. L’enquête réactive également l’histoire complexe d’Iznik elle-même : tour à tour centre théologique, bastion byzantin, puis joyau ottoman sous le nom de Nicaea.

Aujourd’hui, la basilique d’Iznik rejoint le cortège des vestiges archéologiques engloutis qui fascinent le grand public : à l’image d’Héracléion au large de l’Égypte ou de Baïes sous les eaux de la baie de Naples. Ces cités englouties incarnent une archéologie du vertige, où le passé ressurgit littéralement à la surface.

Le documentaire Iznik, les mystères de la basilique engloutie, réalisé par Pascal Guérin pour Les Batelières Productions, raconte avec rigueur et souffle cette aventure scientifique exceptionnelle. Diffusé sur histoire.tv, il témoigne de la puissance de fascination de ces ruines submergées, vestiges d’un monde disparu qui continue de nous parler, à travers les reflets tremblants des eaux du lac.

Iznik, entre histoire et spiritualité

  • Antique Nicée (Iznik) : fondée au IVe siècle av. J.-C., célèbre pour avoir accueilli le premier Concile de Nicée en 325, qui fixe les fondements du dogme chrétien.
  • La basilique : vraisemblablement érigée au IVe ou Ve siècle, dédiée à saint Néophyte.
  • Découverte : janvier 2014, lors d’un vol d’inventaire culturel.
  • Enquête : menée par une équipe internationale dirigée par Mustafa Şahin.
  • Documentaire : Iznik, les mystères de la basilique engloutie, à voir sur histoire.tv.

Bibliographie scientifique sélective

Sur les basiliques paléochrétiennes :

  • Krautheimer, R. (1986). Early Christian and Byzantine Architecture. 4th edition, Yale University Press.
    — Une référence incontournable sur l’évolution architecturale des basiliques chrétiennes du IVe au VIIe siècle.
  • De Blaauw, S. (1994). Cultus et decor: Liturgia e architettura nella Roma tardoantica e medievale (IV-XIII secolo). Città del Vaticano: Biblioteca Apostolica Vaticana.
    — Une étude détaillée sur la relation entre liturgie et architecture dans les premières basiliques chrétiennes.
  • Mathews, T. F. (1999). The Early Churches of Constantinople: Architecture and Liturgy. University Park: Penn State Press.
    — Excellent sur le contexte byzantin et les fonctions des espaces basilicaux.

Sur l’archéologie subaquatique byzantine et méditerranéenne :

  • Bass, G. F. (Ed.). (1988). Ships and Shipwrecks of the Americas: A History Based on Underwater Archaeology. Thames & Hudson.
    — Un panorama fondateur sur l’archéologie subaquatique, avec plusieurs chapitres relatifs aux sites méditerranéens antiques et byzantins.
  • Marriner, N., Morhange, C., & Kaniewski, D. (2017). « Geoarchaeology of ancient harbours in the Mediterranean: The legacy of the ‘Harbours in the Mediterranean’ project. » Journal of Archaeological Science, 86, 40-49.
    — Présente les méthodes interdisciplinaires appliquées aux sites littoraux et immergés.
  • Stanley, D. J., & Bernasconi, M. P. (2006). « Holocene depositional patterns and human impact in the Iznik Lake basin, Turkey. » Quaternary International, 150(1), 19-34.
    — Spécifique à la région d’Iznik, utile pour comprendre les dynamiques géologiques et hydrologiques locales.

Sur la basilique d’Iznik (spécifique) :

  • Şahin, M., & Akyol, O. (2015). « Discovery of an Early Byzantine Basilica in Lake İznik (Nicaea), Turkey. » Mediterranean Archaeology and Archaeometry, 15(3), 1-11.
    — L’article scientifique princeps rédigé par les découvreurs de la basilique.
Eudoxie Trofimenko
Et par le pouvoir d’un mot, Je recommence ma vie, Je suis née pour te connaître, Pour te nommer, Liberté. Gloire à l'Ukraine ! Vive la France ! Vive l'Europe démocratique, humaniste et solidaire !