Du mardi 20 juin au 8 juillet 2014, le Musée des Beaux-Arts de Rennes expose une œuvre singulière : La Nona Ora (La Neuvième heure). Elle a été réalisée en 1999 par Maurizio Cattelan, secondé par Daniel Druet. Vendue à un prix (relativement) modique par son auteur avant de crever les plafonds (dorés) au détour de quelques reventes, c’est François Pinault qui en est l’actuel propriétaire. Ce dernier a accepté de la prêter à l’évêché de Rennes dans le cadre d’une exposition « Libre ! » consacrée au pape Jean-Paul II qui vient d’être canonisé par l’Église catholique.
L’intitulé de cette oeuvre et installation d’art contemporain renvoie à l’heure même de la mort de Jésus sur la croix. « À la neuvième heure, Jésus clame d’un grand cri : Éli, Éli, lama sabachthani – Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Marc, XV, 34). Référence et contexte soulignés par la disposition de l’œuvre devant l’immense descente de croix de Charles Le Brun.
Sur le sol entièrement recouvert d’un tapis rouge, le visiteur distingue de loin une masse dorée posée à même le sol. En approchant, il distingue un corps habillé de somptueux vêtements liturgiques. Sa partie inférieure est écrasée contre le sol par un énorme rocher ou plutôt un météorite. La partie supérieure, les yeux fermés et le visage crispé de douleur, bien que sans vie apparente, est encore comme soulevée, accrochée à une crosse épiscopale surmontée de l’effigie de Jésus en croix. On reconnait immédiatement le visage, c’est celui de Jean-Paul II.
À la vue de l’œuvre, les commentaires vont bon train. Les hypothèses fusent. Beaucoup pensent, à l’instar de l’archevêque de Rennes Mgr d’Ornellas, que le pape a été écrasé par le ou les péchés du monde ; mais, si l’on suit cette interprétation, pourquoi une météorite alors que tant d’autres objets auraient fait l’affaire ? D’autres hypothèses fusent, prouvant que toute œuvre d’art, même la plus réaliste, est fondamentalement plurivoque.
Personne, toutefois, dans les commentaires entendus ou lus, ne fait référence au verset 18 du chapitre 16 de l’Évangile de Matthieu, généralement traduit de manière erronée : par « tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église ». Le pape Jean-Paul serait alors écrasé par… l’Église.
Hypothèse hardie, mais en accord avec la pensée bien souvent provocatrice de l’auteur. Une église catholique romaine prise dans les paradoxes d’une société post-moderne – aussi bien institutionnels, sociétaux, éthiques que médiatiques – incarnés par Jean-Paul II.
Quelle que soit l’intention de l’auteur ou ce que l’oeuvre, échappant à ce dernier, suggère aux différents regards, il est une chose certaine : le visiteur est conduit à contempler ce qui git à ses pieds en recevant un choc qui n’est pas seulement esthétique. Il lui reste à l’accepter dans sa brutalité ou à l’apprivoiser par le raisonnement. Une expérience puissante et une réussite pour le Musée des Beaux-Arts de Rennes.