Face à l’obscurantisme woke, un débat sur la liberté académique et la censure

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Le « wokisme » est un concept qui suscite de vives controverses en Occident. Né aux États-Unis comme une prise de conscience des injustices systémiques, notamment raciales et de genre, il s’est progressivement exporté vers l’Europe, où il a été reçu avec des réactions contrastées. En France, en particulier, le mouvement a été perçu comme une importation américaine inadaptée aux spécificités de l’histoire et de la société françaises.

L’un des principaux apports du wokisme est la visibilisation des inégalités sociales et des discriminations structurelles qui persistent dans les sociétés modernes. Aux États-Unis, ce mouvement a permis une remise en question des violences policières, des pratiques discriminatoires et des inégalités socio-économiques subies par les minorités, notamment afro-américaines.

Sur le plan universitaire et intellectuel, il a aussi engendré une réflexion plus poussée sur l’héritage colonial, le racisme systémique, et les biais inhérents aux institutions publiques et privées. En France, certains universitaires et militants voient dans le wokisme une opportunité de revisiter l’histoire nationale sous un prisme critique. Objectif : mettre en lumière les mécanismes d’exclusion qui ont été à l’œuvre dans la construction de la République.

Cependant, ses critiques soulignent les effets potentiellement dangereux du wokisme sur le débat intellectuel et politique. Certains dénoncent une forme de « censure préventive » ou « annulation » (“cancel culture”), où des universitaires, journalistes ou intellectuels se retrouvent mis au ban de la société pour avoir exprimé des opinions perçues comme contraires aux dogmes du mouvement woke.

De plus, le wokisme est parfois accusé de segmenter la société en identités rivales, ce qui va à l’encontre de la vision universaliste de la citoyenneté républicaine, notamment en France. Par exemple, les tenants d’une approche décoloniale et intersectionnelle considèrent que l' »homme blanc cisgenre » est structurellement avantagé dans la société, ce qui peut mener à des tensions sociales accrues plutôt qu’à une réconciliation.

Un des intellectuels les plus critiques est sans doute Jean-François Braunstein qui a critiqué le wokisme en le qualifiant de nouvelle forme de religion. Son argument : le wokisme repose sur une critique du rationalisme et des Lumières. Dans son ouvrage « La Religion woke », Braunstein défend l’idée que le wokisme est une religion, notamment car il voit dans la théorie du genre un refus de la réalité physique et de ses limites.

Une réception différente du wokisme en France et aux États-Unis

L’une des principales difficultés dans l’importation du wokisme en France réside dans les différences historiques entre les deux pays en matière de reconnaissance des droits des minorités. Aux États-Unis, l’abolition de l’esclavage date de 1865, mais la ségrégation raciale légale a persisté jusqu’aux années 1960. Ce n’est que très récemment que les Noirs américains ont obtenu une égalité de droits réelle, même si les inégalités systémiques subsistent.

En revanche, en France, les Noirs sont officiellement libres et égaux depuis 1794 (définitivement en 1848 avec l’abolition de l’esclavage). Cette divergence historique explique pourquoi le discours identitaire du wokisme, très marqué par l’histoire américaine, entre en conflit avec la conception universaliste française de la citoyenneté.

Suspension du livre « Face à l’obscurantisme woke » de Pierre Vermeren

L’ouvrage collectif intitulé « Face à l’obscurantisme woke », dirigé par Pierre Vermeren, devait initialement être publié par les Presses Universitaires de France (PUF). Ce livre rassemble une vingtaine de contributions centrées sur les enjeux liés à la diffusion des idéologies décoloniales, des théories de la race et du genre dans les milieux académiques et scientifiques. Cependant, sa parution, prévue pour le 9 mars 2025, a été suspendue par les PUF. Une suspension qui a suscité un débat sur la liberté académique et la censure. 

Pierre Vermeren est un historien français, professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne depuis 2012, spécialiste du Maghreb et des sociétés arabo-berbères. Il est également membre de l’Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires, un collectif d’universitaires qui critique l’influence croissante des théories décoloniales dans le milieu académique français. ​

La décision des PUF de suspendre la publication de l’ouvrage a été motivée par des pressions en provenance de certains intellectuels et journalistes, notamment l’historien Patrick Boucheron, qui a exprimé des réserves quant à la qualité scientifique du livre. Cette situation a relancé le débat sur la liberté d’expression et la place des controverses idéologiques au sein de l’université.

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