En 1925, une jeune Parisienne de 22 ans fait trembler les murs de l’Académie des beaux-arts : Odette Pauvert devient la première femme peintre à décrocher le Grand Prix de Rome. Un exploit dans un univers encore verrouillé par les hommes. Mais qui était cette artiste audacieuse, à la fois mystique et moderne, qui traversa la première moitié du XXe siècle avec une palette pour boussole ?
Imaginez l’atelier du 109 rue du Cherche-Midi à Paris, en 1907 : sur la toile, un père portraitiste, une mère miniaturiste, deux fillettes qui pataugent dans les pinceaux. L’une d’elles s’appelle Odette. Elle a quatre ans. Déjà, elle pose pour son père, Henri Pauvert, qui la représente en petite fille sérieuse au regard volontaire. es étés se passent en Bretagne, à Saint-Pierre-Quiberon. Là, la maison familiale – surnommée La Palette – devient un refuge et un laboratoire d’images. Odette peint la mer, les pardons, les légendes bretonnes. Ses toiles de jeunesse, comme Invocation à Notre-Dame-des-Flots, respirent une ferveur mystique. La critique compare déjà ses compositions à celles de Puvis de Chavannes.

Le coup d’éclat du Prix de Rome
À 20 ans, Odette entre aux Beaux-Arts de Paris. Les femmes y sont encore des intruses tolérées. Elle s’accroche, enchaîne les concours. En 1925, le miracle se produit : pour son sujet libre, elle choisit une légende bretonne – La Légende de saint Ronan. Résultat : 22 voix sur 32. Elle devient la première femme Grand Prix de Rome en peinture. Lors du dîner des lauréats, elle raconte qu’on la fixa, médusé : « Une femme ! Qu’est-ce qu’une femme venait faire là ? » L’anecdote dit tout de l’époque. Mais Odette s’en amuse et file en Italie.
Rome, « un enivrement »
À la Villa Médicis, Odette découvre les fresques du Campo Santo de Pise, les visages hiératiques de Piero della Francesca, la rigueur de Raphaël. Elle écrit : « Ce fut un enivrement. » Dans ses toiles, le style change. Fini l’élan romantique, place à un archaïsme assumé, nourri par le Quattrocento. Elle peint Au pays des semailles fécondes, La Dernière visite du Poverello à sainte Claire, et jusqu’à sa famille costumée en Florentins du XVe siècle, dans un tableau savoureux où elle se met elle-même en profil à la Pisanello. À Rome, elle croise aussi le sculpteur Évariste Jonchère, qui exécute son buste. Le cliché de l’artiste posant pour lui dans les jardins de la Villa Médicis reste l’une des images les plus vivantes de cette période.
Paris, entre Art déco et art sacré
De retour à Paris, Odette s’installe à la Cité des Fusains, haut-lieu des artistes de Montmartre. Ses œuvres frappent par leur étrangeté : archaïques mais modernes, décoratives mais intimes. Elle s’essaie à tout : tapisseries commandées pour la Casa de Velázquez, fresques religieuses à l’église du Saint-Esprit aux côtés de Maurice Denis, grands décors pour des écoles parisiennes.
Elle se passionne pour la peinture murale, qu’elle juge « l’art le plus noble », et répète que ses ambitions sont « vastes ». Dans les années 1930, son pinceau croise même celui d’Habib Benglia, danseur et modèle, qu’elle immortalise dans un grand nu sensuel et puissant.
L’Espagne et la lumière sombre
En 1933, Odette décroche une bourse pour la Casa de Velázquez à Madrid. L’Espagne la marque profondément. Elle sillonne l’Andalousie et la Castille, croque au fusain les visages des habitants, ramène des toiles aux tonalités brunes et sévères. « Elle s’apparente aux mystiques primitifs », écrit alors un critique. De retour à Paris, elle expose ses œuvres espagnoles à la galerie de la Renaissance. Le public découvre une artiste qui sait passer de la Bretagne brumeuse aux clartés ibériques, de la légende religieuse à l’instantané populaire.
L’intimité après l’ambition
Mais l’histoire rattrape la peintre. Mariée en 1937 à André Tissier, mère de famille, Odette se heurte à la guerre, à l’Occupation, puis à la raréfaction des grandes commandes. Dans les années 1950, elle peint dans son salon, sans atelier. Ses toiles se font plus modestes, centrées sur la maternité, les scènes familiales, les paysages de Bretagne revisités avec nostalgie.
Elle continue à exposer au Salon des Artistes français, mais dans un relatif silence médiatique. Son parcours illustre cette bascule : l’ambition monumentale d’une pionnière, puis l’effacement discret d’une femme artiste dans la société d’après-guerre.
Une redécouverte bienvenue
Après sa mort en 1966, Odette Pauvert tombe dans l’oubli. Il faut attendre 1986 et une rétrospective au musée Sainte-Croix de Poitiers pour que son nom ressurgisse. En 2025, le musée La Piscine de Roubaix lui consacre une grande exposition, inscrivant enfin son œuvre dans la diversité des modernités. Ni tout à fait Art déco, ni avant-gardiste, ni seulement académique, Odette Pauvert demeure une figure singulière : une artiste qui voulut traverser la vie « une palette à la main », sans autre ambition que la peinture, mais avec l’audace de tracer sa propre voie. Un bel exemple de femme accomplie.
Données pratiques
Exposition
Odette Pauvert (1903-1966). La peinture pour ambition au temps de l’Art déco
Du 11 octobre 2025 au 11 janvier 2026
La Piscine – Musée d’art et d’industrie André-Diligent, Roubaix
Catalogue de l’exposition
Odette Pauvert. La peinture pour ambition au temps de l’Art déco
Sous la direction d’Adèle Taillefait
Éditions La Piscine / Snoeck, 2025
224 pages, richement illustré
Format : 230 x 305 mm, reliure cartonnée,
240 pages, 250 illustrations environ – Français, anglais
Prix : 39 €
Parution : 17 octobre 2025








