Jusqu’au 2 novembre 2025, la Villa Les Roches Brunes à Dinard accueille l’exposition Voyages en abstraction, un hommage somptueux à l’œuvre d’Olivier Debré (1920-1999), figure essentielle de l’abstraction lyrique française. Sous la houlette de la commissaire Laura Goedert, cette exposition propose plus qu’un accrochage : une immersion dans la respiration même de la peinture.
Une abstraction habitée
Peut-on voyager dans l’abstraction comme on explore des paysages ? Chez Olivier Debré, oui — et l’exposition dinardaise en fait magistralement la démonstration. Plus de soixante-dix œuvres, issues de collections publiques et privées, tracent un itinéraire autant intérieur que géographique. On y perçoit l’évolution sensible d’un peintre dont l’abstraction ne fut jamais coupée du monde, mais au contraire pétrie de paysages, de climats, de lumière. « Je ne peins pas le paysage, je peins son émotion en moi », disait-il. C’est cette émotion que restitue Voyages en abstraction.
Loin des canons formalistes, Debré développe une peinture charnelle et méditative, où la matière semble traversée par l’air, l’eau, le vent. Ses toiles maçonnées des années 1950, denses, presque telluriques, font progressivement place à une gestuelle plus ample, à des formes ouvertes, presque musicales. L’artiste ne cherche pas à figer une vision, mais à traduire un souffle, un passage : celui du monde à travers lui, celui de lui-même à travers le monde.
Des fjords à la Loire, d’un monde à l’autre
L’exposition se structure autour d’un parcours chrono-thématique où chaque salle est pensée comme une escale sensorielle. Norvège, Jordanie, Inde, Japon… Autant de territoires qui nourrissent sa palette, mais dont il ne retient ni l’exotisme ni la topographie. Debré ne peint pas ce qu’il voit, mais ce qu’il ressent. Les fjords deviennent des vertiges de bleu ; le désert, un tremblement d’ocre ; la Loire, un horizon vibrant de silence.
Et pourtant, c’est sans doute dans la familiarité de la Touraine natale que son abstraction atteint sa densité la plus dépouillée. Là, dans l’épure des grands formats peints au bord du fleuve, la peinture semble respirer au rythme du monde. Les formes s’effacent presque, ne laissant que la trace d’un regard dilaté.
Un art total, une présence élargie
Ce que révèle aussi Voyages en abstraction, c’est le lien d’Olivier Debré avec les autres arts : théâtre, architecture, danse. On se souvient qu’il créa les décors et costumes du ballet Signes pour l’Opéra de Paris, en collaboration avec Carolyn Carlson — un ballet qui sera projeté le 23 août au Palais des Arts et du Festival dans le cadre de l’exposition. Là encore, il ne s’agit pas de juxtaposer disciplines, mais de laisser la peinture contaminer l’espace, le mouvement, le souffle.
La conférence de Marine Rochard, prévue le 20 septembre, prolonge cette réflexion avec un titre évocateur : « Déborder la toile : la peinture comme espace à habiter ». Tout est là. Chez Debré, peindre, c’est habiter — un lieu, une couleur, une émotion. Et inviter l’autre à y entrer.
Une scénographie en résonance avec le lieu
Accueillir une telle œuvre dans un tel écrin n’est pas anodin. Perchée sur la pointe de la Malouine, la Villa Les Roches Brunes dialogue puissamment avec la mer, avec l’air, avec la lumière — autant d’éléments constitutifs de la peinture de Debré. Cette demeure historique, léguée à la ville de Dinard pour devenir un lieu ouvert à la culture, trouve ici une forme d’accomplissement : un espace de rencontre entre la mémoire du lieu et la modernité d’une œuvre.
Les nocturnes organisées en juillet et août (9 et 23 juillet, 9 et 16 août) permettront d’approfondir cette expérience, dans une lumière rasante qui révélera sans doute d’autres dimensions des toiles. Car la peinture de Debré n’est jamais la même selon l’heure, selon l’œil, selon l’instant.
Un voyage à vivre
Loin du spectaculaire, cette exposition invite à une forme de lenteur, d’écoute, d’attention. Elle convoque le regard, mais aussi le corps et la mémoire. Elle ne dit pas, elle suggère. Elle ne montre pas, elle fait sentir. Comme une marche dans un paysage sans fin.
À une époque saturée d’images, de messages et de bruit, Voyages en abstraction propose une autre relation au monde : celle du sensible, du respiré, de l’invisible. Olivier Debré ne nous guide pas, il nous laisse trouver notre propre chemin — dans la matière, dans la couleur, dans le silence.
Informations pratiques
Villa Les Roches Brunes, 1 Allée des Douaniers, 35800 Dinard
Du 29 juin au 2 novembre 2025
Du mardi au dimanche
- du 29 juin au 28 septembre : 11h-18h
- du 30 septembre au 2 novembre : 14h-18h
Tarifs : 8 € / 6 € / gratuit – 18 ans
Nocturnes : 9 & 23 juillet, 9 & 16 août
Projection Signes : 23 août à 19h – Palais des Arts (entrée libre)
Conférence : 20 septembre à 18h – Palais des Arts (entrée libre)
Accès libre pendant les Journées du Patrimoine : 20-21 septembre