OpenAI reste non lucratif : une décision courageuse de Sam Altman

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opan AI non profit

Par un retournement aussi inattendu que révélateur, Sam Altman a récemment confirmé que l’association à but non lucratif OpenAI Inc. continuerait à contrôler l’entreprise commerciale OpenAI LP, malgré les pressions croissantes d’investisseurs et de collaborateurs. Ce choix, apparemment conservateur, soulève en réalité des questions profondes sur le sens même du progrès technologique, sur les garde-fous idéologiques de l’intelligence artificielle, et sur la viabilité d’un modèle hybride dans un secteur dominé par les logiques extractives du capital-risque.

Fondée en 2015 comme un laboratoire de recherche à but non lucratif, OpenAI avait pour ambition de développer une intelligence artificielle générale (AGI) qui profite à toute l’humanité. En 2019, pour attirer des financements massifs, elle crée une structure hybride : OpenAI LP, entité « à profit plafonné » (capped-profit), contrôlée par OpenAI Inc., toujours association sans but lucratif. Ce compromis est censé concilier levée de fonds privée et mission d’intérêt général.

Mais fin 2023, une crise de gouvernance éclate : Sam Altman est évincé par le conseil d’administration, avant d’être réinstallé quelques jours plus tard sous la pression de Microsoft, des employés et du public. Depuis, la légitimité de la gouvernance associative a été remise en question, certains plaidant pour une évolution vers un modèle plus classique, aligné avec les intérêts des investisseurs.

Dans une lettre ouverte publiée début mai 2025, Sam Altman affirme qu’OpenAI Inc. restera aux commandes, car seule une structure non lucrative peut garantir l’alignement de l’AGI avec l’intérêt public. Cette décision est justifiée par plusieurs raisons fondamentales :

  • Limiter les conflits d’intérêts : dans une société purement capitalistique, les obligations fiduciaires envers les actionnaires pourraient l’emporter sur la sécurité, la transparence ou l’équité.
  • Préserver une gouvernance éthique : le maintien d’un conseil indépendant, même imparfait, permet d’imposer des garde-fous non dictés par les logiques de rentabilité.
  • Conserver une autorité morale face aux régulateurs et à la société civile : dans un contexte où l’IA fait l’objet de craintes massives (biais, désinformation, perte d’emplois, militarisation), OpenAI tente de rester un pôle crédible de responsabilité.

Ce choix est aussi idéologique. Il oppose deux visions du futur :

  • Le techno-libéralisme, porté par de nombreux acteurs de la Silicon Valley, pour qui l’AGI est un objet de compétition mondiale, de rentabilité maximale, et d’accélération transhumaniste.
  • Le techno-humanisme, incarné ici par OpenAI Inc., qui plaide pour un déploiement contrôlé, équitable et réfléchi de l’IA, quitte à freiner son adoption ou à en limiter l’usage commercial.

Sam Altman marche ici sur une ligne de crête. Lui-même fondateur de start-up, ancien patron de Y Combinator, et promoteur d’un capitalisme réformiste, il tente de ménager l’idéalisme fondateur d’OpenAI et les nécessités pragmatiques du marché.

Mais ce pari comporte des fragilités structurelles :

  • Tensions avec les investisseurs : Microsoft, qui a injecté plus de 10 milliards de dollars, reste minoritaire au conseil de gouvernance. Sa patience pourrait s’amenuiser si les décisions ne servent pas ses intérêts commerciaux.
  • Risque de fuite des talents : dans un secteur où les ingénieurs IA sont courtisés à prix d’or, le modèle non lucratif peut apparaître moins attractif à long terme.
  • Opacité de la gouvernance : malgré son engagement moral, OpenAI est critiquée pour son manque de transparence et la concentration de pouvoir autour de quelques figures-clés, dont Altman lui-même.
  • Vulnérabilité face aux géants du secteur : face à Google DeepMind, Meta ou Anthropic, OpenAI risque de se retrouver désavantagée si elle se refuse à certaines innovations à haut risque mais à forte valeur commerciale.

La décision de Sam Altman réaffirme un postulat central : l’AGI est une puissance qui doit rester gouvernable. En maintenant la tutelle d’une structure non lucrative, OpenAI tente de s’ériger en contre-modèle à l’accaparement technologique par les intérêts privés.

Mais ce choix n’est pas une garantie : il soulève de redoutables questions de pérennité économique, de transparence démocratique, et d’efficacité opérationnelle dans un domaine où la vitesse d’innovation est déterminante.

OpenAI ne cesse de naviguer entre utopie régulée et capitalisme contraint. La décision de maintenir une gouvernance associative n’est ni neutre, ni sans conséquence. Elle pourrait bien devenir le précédent historique — ou le dernier sursaut — d’une tentative de réconcilier intelligence artificielle et intérêt général dans un monde qui peine à les conjuguer.

Rocky Brokenbrain
Notoire pilier des comptoirs parisiens, telaviviens et new-yorkais, gaulliste d'extrême-gauche christo-païen tendance interplanétaire, Rocky Brokenbrain pratique avec assiduité une danse alambiquée et surnaturelle depuis son expulsion du ventre maternel sur une plage de Californie lors d'une free party. Zazou impénitent, il aime le rock'n roll dodécaphoniste, la guimauve à la vodka, les grands fauves amoureux et, entre deux transes, écrire à l'encre violette sur les romans, films, musiques et danses qu'il aime... ou pas.