Le mercredi 30 mars 2016 sera sans doute pour l’Opéra de Rennes un jour à marquer d’une pierre blanche, il signale en effet un pas en avant décisif vers la découverte de musiques totalement extra ordinaires, au sens le plus littéral du terme.
L’Oresteïa de Iannis Xenakis mériterait de figurer en tête de liste, tant elle nous a obligés à vivre une expérience aussi déroutante que stupéfiante. Composée entre 1965 et 1966 pour illustrer la trilogie du tragédien grec Eschyle, cette œuvre s’est enrichie postérieurement de « Kassandra » en 1987 et de « La déesse Athéna » en 1992.

Le drame ne peut s’exprimer par de la musique tonale, atonale ou sérielle, ceci en raison de leurs filiations trop fortes avec des époques spécifiques. De plus la sensibilité sonore de l’antiquité ne s’accommode pas du tout avec les atmosphères sonores des Wagner, Schoenberg et de leurs successeurs. Celles de Debussy ou de Ravel peut-être davantage. Mais comment imaginer le Kabuki ou le Nô joué avec de la musique occidentale ?
Dans ce commentaire un mot doit retenir notre attention, l’évocation au théâtre japonais le Nô. Le mode de diction utilisé par le chœur des hommes, notamment dans « Agamemnon » rappelle tout à fait celui utilisé par les acteurs nippons, sans toutefois les fortes variations d’intensité et de célérité imposées par Iannis Xenakis. Ils n’en contiennent pas moins le même pouvoir hypnotique. L’évocation n’en est pas absente ; au moment du retour triomphal d’un Agamemnon vainqueur de Troie, on entend parfaitement la démarche lente et lourde des éléphants, leurs barrissements de satisfaction et les danses frénétiques qui entourent le cortège.

Féminité oblige, c’est le chœur des femmes, dans « les Choéphores » (porteurs ou porteuses d’offrandes dans la Grèce antique, NDLR), qui nous apportera un peu d’apaisement avec des mélodies plus douces et parfois plus proches d’une esthétique musicale familière. Ce répit sera de courte durée, puisqu’avec la mort d’Egisthe et de Clytemnestre nous sommes entraînés dans un nouvel épisode empreint de tension.
Le chœur d’hommes envahit les travées et les loges du premier balcon de l’opéra et ponctue au moyen de petits accessoires sonores les phrases des choristes. Cette technique d’immersion des intervenants au sein du public, sera reprise lors de la troisième partie « Les Euménides », par les membres de la maîtrise de Bretagne qui apportent de leurs voix cristallines une nouvelle dimension au travail de Xenakis. N’allez pas penser que l’œuvre, à cet instant, s’assagisse, peu s’en faut, et nos jeunes chanteurs sont obligés de chanter, mais également de crier, d’invectiver, de mélanger toutes sortes de phrases musicales évoquant une foule en plein débat, celui d’un tribunal public. Le verdict ne se fera pas attendre. Les Érinyes, divinités infernales qui poursuivent de leur fureur, Oreste, puisqu’il est matricide, reçoivent d’Athéna le titre d’« Euménides », les bienfaisantes, qui en échange apaisent leur colère. C’est donc dans une sorte de paroxysme sonore que se termine cette œuvre, laissant toute une assistance médusée et un peu groggy.

Voilà, vous l’aurez compris, même si elle ne se laisse pas apprécier avec facilité, la musique de Xenakis constitue une expérience, qui de manière contradictoire, peut s’avérer éprouvante, mais n’en reste pas moins enrichissante, en ce qu’elle oblige à la réflexion. Dommage pour ceux qui n’étaient pas là, ils ont sans doute raté une des manifestations musicales de cette saison des plus stimulantes. Alain Surrans, directeur de l’opéra de Rennes, à l’occasion du verre de l’amitié offert aux jeunes intervenants, soulignait, avec une émotion visible et peu courante chez cet homme discret, quel pas avait été franchi ce jour-là. Il est indiscutablement considérable. Tant pis pour ceux qui n’étaient pas là ce soir-là, ils ont vraiment manqué quelque chose.
P.S. Suite à ce concert, nous nous sommes rendus à l’auditorium du tambour pour assister au « projet-concert » du très sympathique Mélaine Gaudin, lequel, avec ses camarades percussionnistes, nous a initié a différents instruments de son registre. Il a tenu tous les rôles avec aisance, démontrant s’il en était besoin que talent et gentillesse n’ont aucun problème pour cohabiter. Bravo à tous !
La vidéo de L’Oresteïa sur le site de L’Aire d’U
Photographies : Laurent Guizard
Iannis Xenakis est un compositeur, architecte et ingénieur d’origine grecque, naturalisé français, né le 29 mai 1922 à Braïla en Roumanie et décédé le 4 février 2001 à Paris marié à la femme de lettres Françoise Xenakis, avec qui il a eu une fille, la peintre et sculpteur Mâkhi Xenakis. 
